Au printemps 2024, les sénateurs Étienne Blanc (Les Républicains) et Jérôme Durain (Parti socialiste) dressaient, dans un rapport qui a fait date, un constat alarmant sur l’état de la France face à l’explosion du narcotrafic dans notre pays. L’actualité ne cesse de leur donner raison. Le constat n’était donc dans leur esprit qu’une première étape qui s’est concrétisée par une proposition de loi toute aussi choc contenant des mesures d’importance rendues nécessaires par un trafic hors de contrôle. Les mesures adoptées ont été présentées et voulues par les élus comme « une boîte à outils » judiciaire et policière sensée « répondre à la menace » et permettre le « réarmement » de la France. Pour les sénateurs, il s’agit surtout, avec ce texte, de tenter de rétablir la « symétrie » entre les moyens de la justice et ceux des narcotrafiquants.
Et cela commence par le renforcement de l’Office antistupéfiants (Ofast) qui tend à se métamorphoser en une véritable « DEA à la française » (l’agence américaine de lutte contre la drogue, ndlr). Placé à l’origine sous la double tutelle des ministères de l’Intérieur et de Bercy avec « une compétence exclusive sur les crimes liés au narcotrafic, ainsi qu’un pouvoir d’évocation sur l’ensemble des enquêtes », en séance le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau a précisé que l’état-major de l’Ofast serait composé de services de quatre ministères, l’Intérieur, Bercy, la Justice et l’Armée. « Vous vouliez l’interministérialité, il ne faut pas deux ministères il en faut quatre [… ] le patron sera désigné par la DNPJ avec un adjoint de la gendarmerie et un adjoint douanes, Bercy [… ] » a précisé Bruno Retailleau expliquant avoir aussi voulu sortir l’Ofast du domaine de la loi pour le placer dans celui du réglementaire : « Ça ne peut pas être inscrit dans la loi, il faut de la souplesse. C’est de l’ordre du réglementaire. Sinon, si demain on change le nom, il faudra changer la loi ».
Autre mesure phare, la création du nouveau parquet national anticriminalité (Pnaco) qui devrait voir le jour au 1er janvier 2026. Sa localisation n’est pas encore assurée. Gérald Darmanin a indiqué qu’il devrait être « par défaut » à Paris, « mais ça ne veut pas forcément dire que ce sera à Paris » a-t-il tenu à préciser. Sa localisation pourrait encore bouger avec la navette et pourquoi pas être installé à Marseille. Le Garde des sceaux a indiqué aux sénateurs ne pas vouloir attendre le vote de la loi pour « doubler, dès cette année, les effectifs de magistrats dans les juridictions pénales spécialisées et la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) ». « Le monopole qu’il était envisagé de confier au Pnaco » a été supprimé par un sous-amendement de la commission des lois. Le nouveau parquet national pourra ainsi définir ses propres compétences, dans un dialogue avec les JIRS et les parquets locaux afin de ne pas priver les juridictions de toute possibilité de se saisir d’affaires graves.
Parce que l’argent est le nerf de la guerre, les sénateurs se sont employés à couper les vivres par tous les moyens possibles aux narcotraficants en luttant notamment contre le blanchiment d’argent. Ainsi, l’article 4 systématise les enquêtes patrimoniales dans le cadre des investigations relatives au narcotrafic et crée une nouvelle procédure d’injonction « pour richesse inexpliquée ». Plusieurs amendements identiques actent également la confiscation de biens dont le propriétaire ne peut justifier l’origine, et condamné pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Autre mesure « radicale », celle d’interdire le paiement en liquide des voitures de location. « La location de voiture, c’est une plaie. C’est une aide considérable aux narcotrafiquants [… ] ça facilitera le travail de l’autorité judiciaire puisque ce sera traçable » a défendu Bruno Retailleau qui présentait cet amendement, contre l’avis de la commission des lois. Le rapporteur LR de la commission d’enquête, Étienne Blanc a proposé de fixer un seuil par décret, « 200 ou 250 euros au-delà duquel, le paiement en espèce serait interdit ».
Le débat a été un peu plus tendu lorsqu’il s’est agi de discuter d’un statut du repenti. L’estimant sous-exploité en France, les sénateurs ont souhaité s’approcher au plus près du modèle italien « anti mafia ». Parce qu’un « informateur n’est pas celui qui est innocent de toute infraction », les sénateurs ont voulu élargir les statut de repenti à des criminels (crimes de sang) en proposant une immunité de poursuites. Pas franchement convaincu, le Garde des sceaux s’y est opposé. « Est-ce que les crimes de sang sont compris dans cette immunité ? Sans doute non [… ] Si notre dispositif n’est pas assez audacieux, selon vous. Le vôtre l’est peut-être trop » a justifié le ministre qui trouverait plus juste une remise de peine pour les repentis. « Dire à nos compatriotes que nous abandonnons toutes les poursuites parce que quelqu’un aura parlé. Ce n’est pas évident non plus. Le garde des Sceaux est aussi le ministre des victimes » a mis en garde Gérald Darmanin qui a finalement obtenu la garantie du rapporteur PS, Jérôme Durain de « retravailler le texte » pendant la navette parlementaire.
Le débat est encore monté d’un cran avec la discussion de l’article 16 sur « le dossier coffre ». Ce « procès-verbal distinct » permet de soustraire au principe du contradictoire et ne pas montrer à la défense certains éléments obtenus grâce à des techniques d’enquête de pointe (balisage, écoute, agent infiltré…). Ce « dossier coffre » serait placé sous le contrôle d’une collégialité de magistrats. Pas suffisant aux yeux des avocats qui évoquent comme le vice-président de l’association des avocats pénalistes, un « permis de tricher ». Le Conseil national des Barreaux a pour sa part dénoncé « une atteinte au principe du contradictoire et aux « droits de la défense ». Les avocats devraient se concentrer sur le fond de la procédure, et ils ne le font pas. La première chose qu’ils regardent, c’est la nullité de procédure, et notamment via les heures, est-ce qu’on a immédiatement avisé un médecin, un avocat, etc. Je ne conteste pas leur position et leur rôle, mais je regrette qu’ils soient choqués sur les techniques précises. Ça ne va rien changer sur le déroulé de la procédure, sur le fond du sujet, et les moyens de défense » leur a répondu Bruno Bartocetti, secrétaire national délégué zone sud du syndicat Unité. L’amendement adopté prévoit que le dossier coffre a pour seule fonction d’orienter l’enquête. Les éléments incriminants issus d’actes ultérieurs d’enquêtes seront versés au contradictoire.
En ligne de mire des sénateurs aussi, les méthodes parfois limites de certains avocats cherchant à tout prix la nullité de la procédure. Un amendement interdit par exemple la désignation de l’avocat « chef de file » par lettre recommandée avec accusé de réception, dans les affaires de criminalité organisée.
Un amendement du président de la commission des affaires étrangères et de la Défense, Cédric Perrin (LR) a été également adopté non sans mal. Il vise à permettre aux services de renseignement d’accéder aux échanges cryptés sur messageries des trafiquants. « Je ne vois pas en quoi on ferait une différence entre ce qui est fait aujourd’hui avec les SMS et les mails et ce qui serait fait demain avec WhatsApp, Signal et Telegram » s’est-il expliqué en défendant son amendement. L’accès sera limité et fera l’objet « d’une autorisation spécifique de mise en œuvre des techniques de recueil de renseignement », après avis de la CNCT (commission nationale de contrôle des techniques de renseignement). En cas de non coopération de la messagerie, un système d’amende est aussi prévu. L’amendement a été soutenu par le ministre de l’intérieur. « On n’a plus affaire à des enfants de chœur. Ces gens-là se cachent derrière les chiffrements [… ] Pensez-vous un seul instant que les policiers et les gendarmes s’amusent à intercepter des conversations privées ? ils le font dans le cadre d’enquêtes et dont les moyens sont proportionnés à la finalité. L’idée c’est demander des clés de déchiffrement sans que les opérateurs nous opposent des clauses contractuelles parce que c’est ce qu’ils font actuellement » a indiqué Bruno Retailleau. Pas certain toutefois que l’amendement passe à travers les mailles des oppositions à l’Assemblée. ■