Les vendanges sont (déjà) finies. Des vendanges toujours plus précoces d’année en année en raison d’une élévation des températures qui amène le raisin à maturité plus tôt. Pointé du doigt, le réchauffement climatique est pris très au sérieux par la filière vitivinicole. Plusieurs études ont déjà attiré l’attention sur l’incidence du réchauffement climatique sur les vignes donc sur le vin. Il y a deux ans, le climatologue américain Lee Hannah avait jeté un pavé dans la mare en arrivant à la conclusion que, d’ici 2050, les surfaces agricoles dédiées à la vigne allaient peu à peu reculer de 25 à 75% dans les neuf grandes régions de production mondiale (1). Une mise en garde sérieuse mais sans doute à tempérer même si, les rapports successifs du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) tendent à montrer que la température à la surface du globe devrait augmenter de 1,5° à 2° d’ici à 2050. Bien avant ce rapport, en 2009, Greenpeace avait publié une étude tout aussi alarmiste sur les effets du réchauffement climatique sur la viticulture française. L’ONG estimait, au regard des niveaux actuels d’émissions, que nous étions sur la voie d’une augmentation des températures de 4, voire 6° d’ici à 2100. « Un tel scénario climatique entraînerait un report des vignes de 1000 km au-delà de la limite traditionnelle : 60ème parallèle nord et 50ème sud seront atteints. Ainsi, une grande partie des vignobles traditionnels, comme les vignobles méditerranéens pourraient disparaître » soulignait Greenpeace.
Des climatologues français ont à leur tour démontré que les conditions climatiques des années 70 en Bourgogne se retrouvent aujourd’hui 100 km plus au nord et à 200 mètres d’altitude. On constate un peu partout dans nos vignobles une avancée du calendrier viticole. La période de maturation s’approche de la fin du mois de juillet ou de début août alors qu’elle se situait traditionnellement dans la deuxième quinzaine d’août ou début septembre. Toutes les études vont donc dans le même sens : le vignoble français tel qu’il existe aujourd’hui va, sinon disparaître, du moins connaître de sérieux bouleversements.
L’exception viticole française en danger
« Avec l’augmentation de la température, le cycle de la vigne se décale. Il est de plus en plus précoce. La maturité survient plus tôt, durant des périodes plus chaudes, ce qui est source de déséquilibres au niveau du raisin. Les grains devenant plus sucrés, cela entraîne un degré en alcool plus élevé. Ils perdent en acidité et le vin manque donc de fraîcheur en bouche. Le manque de maturité modifie aussi la structure, la capacité en garde et les arômes » décrit parfaitement dans le Figaro Agnès Destrac-Irvine, ingénieur à l’INRA de Bordeaux, au sein de l’Institut des sciences de la vigne et du vin. Il n’y a d’ailleurs qu’à voir les étiquettes des bouteilles de vin pour constater que trouver des vins à moins de 12° devient presque mission impossible. « Depuis 30 ans, le vin a gagné un degré d’alcool par décennie et cela va continuer » constatent Valéry Laramée de Tannenberg et Yves Leers, auteurs de Menace sur le vin (2) Trop sucrés ou trop forts en teneur en alcool certains vins ont déjà perdu de leur typicité, constate-on peu à peu. Et puis, le changement climatique pourrait aussi favoriser l’apparition de nouvelles maladies.
« L’exception viticole française est en danger, n’hésite pas à écrire Greenpeace, les grands vins français révèlent toute leur finesse grâce au terroir, une notion qui fait référence à un climat spécifique et à un sol bien délimité, parfois seulement de la taille d’une simple parcelle. Autant d’éléments qui, associés à des pratiques et à des savoir-faire mis en place depuis des siècles aboutissent à des vins d’exception. Ce qui a mis des siècles à se bâtir est maintenant en péril et pourrait même disparaître entièrement ».
L’heure est à la mobilisation
L’heure est maintenant à la mobilisation. Côté vignerons, on cherche à s’adapter en travaillant sur la vigne elle-même, sur sa hauteur – plus la grappe de raisin est élevée moins elle souffrira de la chaleur du sol -, sur l’emplacement, en replantant dans des zones géographiques plus fraîches, en altitude, ou encore sur le pied de vigne constitué d’un porte-greffe (racine) et d’un greffon. Des scientifiques s’intéressent par exemple à des variétés de porte-greffes mieux adaptés pouvant aller puiser de l’eau plus en profondeur, ou en valorisant la diversité génétique.
Des adaptions techniques sont aussi mises en œuvre (irrigation, gestion des sols, densité des plantations, etc.). Enfin, il y a sans doute des pistes à explorer du côté institutionnel avec la révision du cahier des charges, parfois contraignant, de chaque appellation (AOC) pour permettre d’intégrer des innovations techniques ou des modifications de zonage. D’aucuns suggèrent la mise en place d’un système régional d’assurance permettant de limiter les risques et d’aider les viticulteurs à faire face au changement climatique. Plusieurs chambres d’agricultures se sont également lancées, avec l’aide d’exploitants, dans leurs propres expérimentations et études. Il y a enfin, le projet Laccave (Long-Term Impacts and Adaptations to Climate Change in Viticulture and enology), un projet d’animation scientifique piloté par l’INRA qui rassemble 23 laboratoires de recherche de l’INRA, du CNRS et de plusieurs universités qui est destiné à étudier les impacts à long terme du changement climatique sur la vigne et le vin et les voies d’adaptation possibles de l’ensemble de la filière. L’approche est pluridisciplinaire et mobilise les travaux de climatologie, génétique, écophysiologie, agronomie, œnologie, économie et sociologie. Les chercheurs planchent sur quatre scénarii à l’horizon 2050 : un scénario « conservateur » qui n’intègre que des changements à la marge, permettant d'évaluer les impacts de l'adaptation passive ; un scénario « innovation pour rester » qui ouvre l’ensemble des vignobles à une large gamme d’innovations techniques ; un scénario « vignobles nomades » qui met en avant les possibilités de relocalisation des vignobles en fonction des conditions climatiques ; un scénario « libéral » qui permet de tester une situation où « tout est possible partout ». « Dans tous les cas, l’adaptation se fera en plusieurs étapes qui pourront se combiner différemment dans chaque région. Quant aux solutions proposées, loin d’être définitives, elles sont à considérer comme des outils pour aider les producteurs, la recherche et les pouvoirs publics à élaborer leurs stratégies d’adaptation » précise l’INRA.
Et le consommateur dans tout ça ?
Reste que toutes les innovations, recherches et autres avancées pour limiter l’impact du réchauffement climatique sur la vigne et le vin vont se heurter à un paramètre incontournable : le consommateur suivra-t-il ces évolutions ? Achètera-t-il ces nouveaux vins, au goût et à des prix différents de ce qu’il connaît ? Rien n’est moins sûr. Quant aux acteurs de la filière sont-ils prêts à ces bouleversements à venir ? Pas facile à savoir. Une petite note d’optimisme tout de même, si l’on ne doit pas se réjouir des difficultés des autres, la France n’est évidemment pas le seul pays touché. Sont également concernés par le changement climatique les vignobles concurrents du nouveau monde : Chili, Argentin, Australie, Nouvelle-Zélande, Australie, Afrique du Sud, Etats-Unis verront eux aussi leurs vignobles souffrir de la chaleur… ■
1. Etude publiée le 7 avril 2013 Lee Hannah dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Science
2. Menace sur le vin – Le défi du changement climatique – Valéry Laramée de Tannenberg et Yves Leers -Editions Buchet-Chastel – 128 pages
Chiffres clés de la filière vin
• 558 000 acteurs de la vigne et du vin
• 760 000 ha, soit 10% de la surface mondiale de vigne
• 66 départements viticoles
• 86% de ménages français ont acheté du vin pour leur consommation à la maison, soit 23,3 millions de ménages
• 7,4 milliards d’euros, la valeur des exportations pour les vins en 2014
• 2ème secteur d’exportation excédentaire français
• La France produit près de 17% du vin de la planète, soit 46,7 millions d’hectolitres
• 10 millions d’oenotouristes par an en France, dont 39% d’étrangers
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