Remettre à plat la fiscalité : dans le contexte économique actuel, n'est-ce pas vouloir changer la coque du navire en pleine mer et par gros temps ? On rétorquera que c'est précisément le marasme économique et la défiance des ménages envers les politiques fiscales qui rendent urgent un ensemble cohérent de réformes structurelles, où la fiscalité a toute sa place car elle se situe au cœur de la relation entre l'Etat et le citoyen. L'exemple des réformes réalisées en Suède à partir de 1991 nous montre que l'on peut redynamiser l'économie par une simplification et une rationalisation de la fiscalité, sans accroitre par ailleurs les inégalités sociales.
Le système fiscal actuel, qui n'est que la juxtaposition d'impôts successifs sans logique d'ensemble, profondément complexe et illisible, trop instable, doit être entièrement repensé. Au bas de l'échelle sociale, les incitations au travail sont trop faibles. Pour les hauts salaires, la fiscalité, souvent perçue comme confiscatoire, décourage et parfois incite à l'exil. Et tous les ménages ont l'impression de servir de variable d'ajustement à des pouvoirs publics qui vivent au-dessus de leurs moyens depuis plusieurs décennies.
Plus de 360 milliards d'euros ont été payés par les ménages en 2012 aux comptes publics, en impôts directs (CSG, impôt sur le revenu, ISF, successions, impôts locaux, etc) et impôts indirects (essentiellement la TVA). Nous excluons ici les cotisations sociales à la charge des salariés (138 milliards d'euros en 2012), car même si leur financement est problématique, elles relèvent essentiellement de l'assurance (santé, chômage et vieillesse) et non pas des prélèvements obligatoires. On pourrait arguer que toute activité gouvernementale tient de l'assurance (au sens de la mutualisation des risques), mais il y a tout de même une différence importante de nature entre une assurance de type régalien (sécurité, justice, armée) et donc collective, qui ne pourrait être prise en charge par le marché, et l'assurance sociale individuelle, qui elle pourrait être privatisée (le fait que les comptes sociaux soient en moyenne dans le rouge indique que les ménages payent un prix en dessous du prix « du marché »).
Trop souvent, le débat public se focalise sur les impôts les plus visibles, en général ceux qui ne sont pas prélevés à la source, comme l'impôt sur le revenu, l'ISF ou les impôts locaux. Or ces impôts ne représentent guère plus d'un quart de la fiscalité totale des ménages ! La première règle que nous nous fixons est de baser nos analyses sur la fiscalité dans son ensemble, c'est-à-dire sur le total des prélèvements directs et indirects, ajustés des prestations sociales et aides à l'emploi reversées aux ménages.
Il faut en second lieu séparer le problème de la structure de l'impôt de celui du niveau de l'impôt. Même si par ailleurs nous jugeons que les prélèvements obligatoires doivent baisser de concert avec les dépenses publiques, nous considérerons ici la réforme de l'impôt à rendement constant.
Trois critères de choix nous paraissent essentiels dans le dosage d'une bonne réforme. Tout d'abord la simplicité : la fiscalité est devenue bien trop compliquée pour le citoyen comme pour les administrations fiscales. Comme le souligne un rapport récent au Premier ministre (1), « le bas de barème de l'impôt, au sens large, est devenu illisible, pour les contribuables comme pour les meilleurs spécialistes, et grevé par les effets de seuil qui doivent être atténués pour éviter des ressauts d'imposition brutaux pour les contribuables ». La complexité fiscale peut aussi être un facteur d'inégalités puisque ce sont les familles les plus modestes qui typiquement auront le plus de mal à comprendre les avantages offerts par certaines niches.
Deuxièmement, la fiscalité doit être stable de façon à encourager les décisions des ménages dans le long terme et donc renforcer leur confiance dans l'économie du pays. Or la politique budgétaire est forcément volatile : de nombreux imprévus peuvent creuser les déficits au-delà des limites fixées par nos obligations européennes et forcer le gouvernement à augmenter la pression fiscale. Il serait donc utile qu'un mécanisme puisse amortir les chocs fiscaux de manière à ce que les prélèvements directs soient épargnés. Il nous semble que c'est la TVA, à défaut d'une solution plus indolore (mais la France ne peut plus faire marcher la planche à billet), qui pourrait jouer ce rôle et donc subir des augmentations ou baisses temporaires.
Troisièmement, une bonne fiscalité doit être la plus neutre possible, c'est-à-dire modifier le moins possible le comportement des agents économiques. Une fiscalité qui décourage la reprise d'un emploi ou l'enrichissement n'est clairement pas neutre.
Dans le cadre fixé par ces principes, nous pouvons maintenant imaginer un impôt nouveau universel, qui puisse reproduire la politique actuelle de redistribution et de progressivité de la fiscalité, mais qui puisse aussi s'adapter facilement à d'autres politiques sociales.
Lorsqu'un pays consacre autant de moyens à la redistribution (plus de 40% du revenu disponible des Français les plus modestes provient des aides sociales ou à des aides l'emploi), il devrait au moins exister une obligation de résultats, notamment en termes d'amélioration de la mobilité sociale par de plus grandes incitations au travail.
C'est pourquoi il nous parait important de remplacer toutes les prestations sociales par deux nouveaux instruments : d'une part un revenu minimum universel, tel qu'il est envisagé notamment en Finlande, et qui contrairement aux allocations éviterait les effets de seuil (puisqu'il serait perçu par tous) ; d'autre part un impôt négatif, qui rendrait l'aide reçue de l'Etat plus incitative car proportionnelle au travail accompli – de la même manière que dans un impôt positif l'impôt augmente en fonction des revenus déclarés.
Quel est le système le plus simple possible permettant de préserver la progressivité actuelle ? De façon surprenante une seule tranche à taux positif suffirait à remplacer l'IRPP, mais aussi la CSG et l'ISF, et éventuellement les impôts locaux. Nous proposons également la suppression de 27 milliards de niches fiscales ne remplissant aucun rôle social et permettant une trop grande optimisation fiscale surtout au bénéfice des ménages les plus aisés, tout en nuisant à la lisibilité du système fiscal.
Dans ce nouveau système, l'impôt deviendrait donc universel et comprendrait
1. un revenu minimum qui permettrait à tous de naviguer des carrières qui seront de plus en plus aléatoires.
2. un impôt progressif avec deux taux négatifs, fonctions du nombre d'enfants et de certains critères de pénibilité, et un taux positif unique – s'apparentant à une « flat tax », mais partie intégrante d'un système qui reste progressif.
Comme le montre le graphe ci-contre (2), les gagnants de la nouvelle fiscalité sont la plupart des ménages modestes, notamment ceux proches du revenu médian. Les (légers) perdants sont le top 20% des ménages, sauf le top 1%, qui certes perdrait l'avantage de nombreuses niches fiscales mais bénéficierait de taux moyens nettement en baisse.
Dans un système fiscal redevenu lisible pour tous, stable et relativement neutre, il y aurait moins d'obstacles à ce que l'ascenseur social se remette en marche et de meilleures incitations à travailler et à faire fructifier son patrimoine. C'est ce qu'un nouveau rapport du Club Praxis (www.clubpraxis.com) vient proposer. ■
* Le Club Praxis est un think tank transatlantique basé à New York
@ClubPraxis www.clubpraxis.com
(1) Lefebvre, D., & Auvigne, F. (avril 2014). Rapport sur la fiscalité des ménages.
(2) Il n'existe pas de données de l'INSEE plus récentes pour les très hauts revenus