Alors que d'autres pays se sont montrés moins précautionneux, l'exploitation des hydrocarbures de schiste par fracturation hydraulique est interdite en France depuis la loi Jacob de 2011.
Les arguments en faveur des hydrocarbures dits « non conventionnels » sont pourtant nombreux : indépendance énergétique, état de l'économie française, objectifs de réduction du nucléaire et des émissions de CO2. Alors que de nouvelles études montrent que les risques liés à cette technique ne sont pas supérieurs à ceux résultant de l'exploitation des puits conventionnels, il convient de rouvrir objectivement le débat sur ce sujet.
Les États-Unis premier producteur de pétrole au monde grâce au schiste
Dépassant l'Arabie Saoudite, les USA sont devenus l'an dernier le premier producteur mondial d'hydrocarbure(1). Ce succès s'explique notamment par l'exploitation de ces nouveaux gisements qui en 2014 a apporté 430 milliards de dollars au PIB Américain et généré plus de 2,7 millions d'emplois.
Si le schiste a bénéficié aux filières pétrolières, la baisse des prix du gaz (divisé par trois entre 2008 et 2012) a favorisé les foyers américains mais également l'industrie, qui a bénéficié d'une énergie à bas coût par rapport notamment à l'Europe où les prix ont continué d'augmenter (2). À titre d'exemple, l'industrie pétrochimique y est redevenue compétitive et a investi plus de 138 milliards de dollars sur le sol américain.
Les bénéfices géopolitiques ont été immédiats : amélioration de la balance commerciale (les importations de pétrole aux USA ont diminué de 28% en dix ans), sécurisation des approvisionnements, renforcement de l'indépendance énergétique et forte réduction des émissions de CO2, alors même que les États-Unis n'ont pas ratifié le protocole de Kyoto (3).
Des risques comparables à ceux d'une exploitation classique du pétrole
Alors que plus de 2,5 millions de puits ont été forés dans le monde depuis 1947, les risques de pollution à long terme résultant de la méthode dite par fracturation hydraulique, sont régulièrement mis en avant par les médias et les associations.
Néanmoins, le 5 juin 2015, l'Agence américaine de protection de l'environnement (Environmental Protection Agency), réputée proche des Démocrates, a publié un rapport (4) concluant que la fracturation hydraulique n'entraînait pas de pollution, sauf dans de rares cas où de mauvaises techniques de forage et d'étanchéité étaient utilisées.
Ce rapport se fonde sur l'étude de milliers de gisements et précise que très peu de puits ont entraîné des épisodes de pollution. Ces derniers étant d'ailleurs inhérents à tout type de forage pétrolier, et donc non spécifiques à la fracturation hydraulique. Ainsi il ressort que les problèmes liés à la pollution des nappes phréatiques sont inexistants si la cimentation du puits est faite dans les règles de l'art.
Pourquoi dès lors interdire la fracturation hydraulique, celle-ci n'étant finalement qu'une méthode de forage comme une autre ?
De la nécessité d'une prise de conscience française à exploiter ses réserves
En 2014, un rapport d'experts commandé par Arnaud Montebourg (5), recommandait l'expérimentation en France de l'exploitation du schiste. En précisant combien la France pourrait en tirer parti, en termes de croissance, d'emplois, de compétitivité ou d'indépendance énergétique, ce rapport était l'argument phare face aux objections qui empêchent la France de tenter l'aventure du schiste. L'Exécutif a néanmoins enterré consciencieusement le dossier suite au veto absolu des Verts et du ministère de l'Écologie.
L'Agence Internationale de l'Énergie estime pourtant que les ressources de la France en gaz de schiste, parmi les plus importantes d'Europe, s'élèvent à 3.836 milliards de m3 (6). En effet, la France compte trois grands bassins (7) contenant des hydrocarbures, dont certains ont déjà été forés.
Exploiter ces ressources serait sans nul doute bénéfique pour le pays. En effet, en 2012, notre facture énergétique s'élevait à 69 milliards d'euros (8), dont 20% étaient imputables au gaz pour lequel nous dépendons à plus de 95% d'importations. Ainsi, l'exploitation des schistes à hauteur de 10% de la consommation domestique permettrait de réaliser une économie de 2,8 milliards d'euros sur la facture gazière. Par ailleurs elle pourrait permettre de réduire de 10% le coût des importations de gaz (soit une économie de 2,5 milliards d'euros).
Dès lors, on comprend difficilement le refus catégorique des gouvernements français à œuvrer en faveur d'une exploitation réglementée, d'autant plus que la France dispose d'une industrie de pointe dans le secteur. L'Hexagone est en effet le 3e pays étranger ayant le plus investi dans le schiste américain. L'expérience acquise outre-Atlantique par les acteurs français serait sans nul doute bénéfique à d'éventuels projets domestiques et contribuerait à la baisse des coûts d'exploitation.(9)
Faire tomber les barrières à l'exploitation des hydrocarbures de schiste en France
Alors que la loi Jacob de 2011 (10) a interdit le recours à la fracturation hydraulique mais aussi toute exploration, et que le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif législatif considérant qu'il ne violait ni la liberté d'entreprendre, ni le droit de propriété, pourtant constitutionnellement garantis (11), une autre barrière entrave plus avant la recherche en France : le principe de précaution(12) selon lequel « l'absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ».
Ainsi il revient au Juge de sanctionner ce qui aurait dû être fait (ou ne pas être fait) en se fondant sur un ensemble d'informations qui n'était pas disponible au moment où l'action a été entreprise. L'insécurité juridique résultant de ce principe bride dès lors toute prise de risque (y inclus le risque de se tromper) nécessaire au processus d'expérimentation. Revenir sur ce principe pourrait ainsi libérer les énergies créatrices et permettre l'innovation.
Plus spécifiquement, un autre obstacle se dresse encore contre l'exploitation du schiste : en Europe, la propriété du gaz du sous-sol n'est pas dans les mains du propriétaire du sol, mais dans celles des États.
Le droit du sol en France prévoit que la propriété du sol « emporte la propriété du dessus et du dessous » (13). Toutefois, par dérogation à cet article, les substances qui relèvent de la classe des mines appartiennent à l'État. Le propriétaire du sol ne dispose donc d'aucun droit sur un gisement minier ou gazier.
Cette spoliation légale au profit de l'État apparait comme un frein à l'exploitation des ressources naturelles. En effet, tout propriétaire de terrain ne pourra que s'opposer à ce que l'État capte ses ressources tout en subissant les contraintes liées à leur exploitation (Puits sur son sol, allers et retours de camions de transports, risque de pollution, etc.).
Si l'indemnisation du propriétaire du tréfonds par le titulaire d'une concession est prévue légalement (14), les mouvements d'opinion des propriétaires terriens, largement en défaveur d'une exploitation du gaz de schiste, montrent bien que cette indemnisation n'est pas une incitation suffisante. La France pourrait sur ce point s'inspirer des États-Unis où les propriétaires possèdent également le sous-sol et les ressources s'y trouvant. La perspective de percevoir une partie des revenus liés à l'exploration et l'exploitation de ces ressources (15) a été un facteur significatif contribuant au développement massif du gaz de schiste. Les particuliers dont les terrains étaient situés sur des zones potentiellement riches en hydrocarbures avaient tout intérêt à faire sonder leur sol (16).
Permettre aux propriétaires français de rester propriétaires de leur sous-sol serait une incitation importante au développement de l'exploitation du gaz de schiste. Ce n'est malheureusement pas la voie empruntée par le projet de réforme du Code minier qui a été déposé au Parlement au dernier trimestre 2014. ■
* Résumé d'une étude publiée par la Fondation iFRAP, Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques Publiques
1. Voir "BP's statistical-review-of-world-energy " 2014
2. Notamment du fait de la baisse de la production de gaz conventionnel
3. Depuis 2005 leurs émissions de CO2 ont diminué de 25% (“U.S. Greenhouse Gas Inventory Report: 1990-2013,” Environmental Protection Agency, 2015) dont 25% sont imputables à l'exploitation du gaz de schiste. (“Lower Electricity-Related CO2 Emissions Reflect Lower Carbon Intensity and Electricity Use,” Energy Information Administration website, 2014.)
4. "Hydraulic fracturing study", 2015.
5. Rapport Montebourg sur le gaz de schiste, 2014
6. AIE, World Shale Gas and Shale Oil Resource Assessment, 2013.
7. Le bassin aquitain, le bassin Sud-Est et le bassin parisien.
8. Soit davantage que le déficit de la balance commerciale. « Quel est le montant de la facture énergétique française ? », www.connaissancedesenergies.org, 2013.
9. Aux USA, la courbe d'expérience a permis de diminuer jusqu'à 21 % les coûts de certains puits.
10. n° 2011-835 du 13/07/2011 « visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique »
11. Décision n° 2013-346 du 11/10/2013 suite à une Question prioritaire de constitutionnalité de la société Schuepbach Energy LLC, titulaire d'un des permis abrogés
12. Introduit par la loi Barnier de 1995
13. Article 552 du Code civil
14. L. 132-15 du Code minier
15. redevance d'exploration pouvant aller jusque 28 000$/ha ou d'exploitation de 12% à 25%
16. Le fort intéressement des propriétaires de terrains est une des raisons du succès des éoliennes terrestres en France