“L'opération du 13 novembre constitue assurément la plus grosse opération de secours par le nombre de victimes depuis les années quatre-vingt et peut-être la plus importante jamais effectuée par les pompiers de Paris si l'on exclut les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui est certain, c'est que jamais nous n'avions dû traiter autant de victimes en aussi peu de temps” explique sans détour, le général Philippe Boutinaud. Le silence se fait dans la salle de la Commission. Pour prendre en charge les blessés des sept attentats simultanés perpétrés à Saint-Denis d'un côté, et dans les Xème et XIème arrondissements de Paris de l'autre - six sites d'interventions répartis sur à peine quatre kilomètres carrés -, « la BSPP a dépassé les exigences posées par son contrat opérationnel » poursuit son commandant qui rappelle aussi que « ces attaques ont été concentrées en 40 minutes. L'ensemble de l'opération a duré huit heures puisqu'elle a débuté à 21h19, heure de la première explosion au Stade de France pour s'achever à 5h30, le 14 novembre au moment où nous avons clos les opérations de secours au Bataclan ». Précis, l'officier indique avoir transmis au préfet de police, « à 4 heures 21 », le bilan de 381 victimes comptabilisées par les pompiers, dont 124 décès, 100 urgences absolues et 157 urgences relatives. Bilan qui s'alourdira au fil du temps pour finir à 130 morts. Au total 430 pompiers de Paris et 125 engins ont été dépêchés sur les lieux des attentats ; 250 personnes travaillaient derrière eux dans la chaîne de commandement et de soutien. « Plusieurs véhicules ont essuyé des tirs dont deux sont sévèrement impactés par balles » précise encore le général. « Globalement, cette opération de secours fut réussie grâce à notre anticipation, notre organisation, notre préparation opérationnelle et nos décisions planifiées et prises durant l'intervention » se félicite le patron de la BSPP. Anticipation d'abord. La BSPP a tiré les enseignements des attentats survenus à Madrid en 2004, à Londres en 2006 et à Bombay en 2011 en élaborant un « plan rouge alpha » en 2005, permettant à la Brigade d'agir sur plusieurs sites simultanément. Il se trouve par ailleurs, que depuis l'été dernier, les pompiers de Paris étudiaient le scénario « d'une course mortifère » à travers Paris. L'organisation ensuite. Le général met en avant le statut militaire de la BSPP qui lui garantit « une forte discipline » et l'articulation du commandement mise en place « qui a permis de faire face efficacement aux événements de cette soirée ». Le troisième facteur de succès réside dans la préparation opérationnelle des pompiers qui s'entraînent tous les samedis au centre opérationnel avec des scénarios qui changent à chaque fois. Un entraînement qui, dans le cadre du scénario de « la course mortifère », s'est déroulé le matin même des attentats avec le SAMU. Quant aux décisions anticipées ou prises en conduite, le général cite plusieurs exemples comme l'anticipation des besoins en hélicoptères, en véhicules, la désignation d'un commandant des opérations des cours sur chaque site et même la modification du message d'accueil du 18 pour éviter la saturation…
Mieux assurer la protection des pompiers et des victimes
Pour autant, le général Boutinaud reconnaît qu'un « certain nombre de frottements ont entraîné quelques dysfonctionnements » comme le manque relatif de brancards ou le fait de savoir si les terroristes étaient toujours dans la zone « car on ne peut pas être pompier et tenir une arme ». Le commandant de la Brigade demande alors à ce que l'on travaille en plus étroite relation avec les forces de sécurité « pour mieux assurer la protection des pompiers et des victimes ». Le général a également regretté, sans vouloir critiquer, la moins grande réactivité du SAMU pour faire monter en puissance son centre d'appels, « si bien qu'il fut plus difficile de se coordonner rapidement avec nous dans la soirée du 13 novembre ». Autre exigence, celle d'une identification plus forte, par le port d'une chasuble d'identification par exemple, du commandant des opérations de police (COP) qui est « responsable des plans rouges alpha circulation qui ouvrent les itinéraires et donc les axes d'arrivée et d'évacuation pour les secours ». Autre point de frottement, les trop nombreuses sollicitations qui ont visiblement agacé le général qui demande pourtant, sans trop y croire, « aux médias et aux autorités d'attendre un peu pour disposer de bilans fiables et vérifiés ».
Pour plus de coordination entre tous les acteurs
De manière générale, la revendication de la BSPP est celle d'une plus grande coordination entre tous les services, police, secours, associations, etc. et une multiplication des exercices « pour que les différents acteurs s'approprient de façon réflexe les plans ».
« Nous avons été efficaces le 13 novembre dernier, et il aurait été difficile de faire mieux. Il ne s'agit pas d'une autocélébration et nous devons nous pencher non pas sur la guerre que nous venons de vivre, mais sur la prochaine. Il faut se préparer à toutes les hypothèses, même les pires, afin de garantir la capacité à mener des opérations de secours dans des contextes très complexes. Il faut continuer à réfléchir, à s'entraîner et à s'adapter, car ce n'est pas à un risque que nous devons faire face, mais à une menace, ce qui change tout » a conclu le général Boutinaud. ■
La BSPP a été créée en 1811 par Napoléon Ier avec le bataillon de pompiers de Paris et le plaça sous l'autorité du préfet de police. La BSPP est aujourd'hui forte de 8 600 hommes et femmes, dont 8 000 à Paris. Elle est chargée de la sécurité des personnes et des biens dans la capitale et les trois départements de la petite couronne. Elle constitue la plus grosse unité de sapeurs-pompiers en Europe et la troisième dans le monde après celles de Tokyo et de New York. Elle effectue près de 460 000 interventions annuelles, soit environ 1 250 par jour.
Auditionnés par la Commission d’enquête parlementaire sur les « moyens mis en oeuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme » depuis les attentats de janvier 2015, les victimes et leurs proches ont dans la plus grande dignité fait part de leur désarroi et de leur incompréhension. Les témoignages mettent en cause des dispositifs d’aide et d’information pas à la hauteur et pointent la responsabilité de l’Etat. « Nous avons mille questions et nous attendons des réponses » a lancé le père d’une victime qui a appris la mort de sa fille, présente au Bataclan, par des tweets d’inconnus. Les annonces de décès sont allées « au-delà de tout ce qu’on peut imaginer comme ratage » a-t-il ajouté. Il y a aussi le témoignage de cette otage barricadée avec d’autres dans une loge du Bataclan s’est faite raccrochée au nez par une policière parce qu’elle « chuchotait » au téléphone, alors que derrière la porte se tenait un terroriste. A l’institut médico-légal (IML), une proche venue identifier le corps de son père s’est vue répondre « ne vous inquiétez pas si on ne vous montre pas la tête, vous verrez un pied ». « Inadmissible » s’emporte-elle. Tous ont également dénoncé le marathon administratif et judiciaire subi. Les carences des services de renseignement et les réponses politiques aux attentats ont également été épinglées.