Sur le papier, le projet de Grand stade de rugby de 82 000 places au toit amovible et pelouse rétractable a tout pour plaire. Initié et porté à bout de bras par Pierre Camou, le président de la Fédération de Rugby (dont le mandat arrive à échéance à la fin de l’année) et son vice-président, l’ancien international Serge Blanco, ce projet répond à l’ambition de la FFR de se doter de son propre stade « pour accompagner sportivement et économiquement le formidable engouement du rugby en France et se donner les moyens de remplir les missions de service public qui lui sont confiées ». Pour la FFR, ce projet plus large que la simple enceinte sportive s’inscrit dans une vision de long terme qui entend répondre à deux grands besoins identifiés depuis plusieurs années : Garantir l’indépendance logistique de la FFR, notamment pour les rencontres du XV de France. « Aujourd’hui, la FFR est trop dépendante des autres contraintes (autres disciplines sportives, événements culturels, etc.) propres aux stades susceptibles d’accueillir les matchs internationaux en France. Le rugby français doit avoir « son jardin » au même titre que les autres grandes nations du rugby mondial » énonce Pierre Camou ; et doter la Fédération des moyens nécessaires pour assurer le développement du rugby et mener à bien ses missions de service public.
La Fédération a donc fait le choix de s’engager dans un projet de Grand stade. Son lieu d’implantation : l’ancien hippodrome de Ris-Orangis dans l’Essonne à 25 km de Paris. Un site préféré à Thiais-Orly à seulement 6 km de la capitale. Pour la FFR, la superficie de 133 hectares a été privilégiée par rapport à la proximité de Paris. Même si la question épineuse de l’adaptation des transports publics et des aménagements a sans doute été sous-estimée estiment plusieurs observateurs. Reste qu’après un débat public organisé par l’autorité de la Commission national du débat public (CNDP) en 2014, la FFR et les collectivités parties prenantes ont malgré tout décidé de poursuivre le projet d’implantation.
Un recours à l’emprunt de 400 millions d’euros
Se pose aussi la question de son coût : 600 millions annoncés (hors abords et viabilisation). Son financement repose à 90 % sur un appel de fonds extérieurs, sur fonds propres de la FFR et un recours à l’emprunt de 400 millions. Un montage qui selon le plan d’affaires établi en 2010/2011 « pourrait être garanti par le département de l’Essonne jusqu’à un plafond de 450 millions d’euros ». Or, la Cour des comptes dans une évaluation pour l’Etat de l’impact du projet de construction de Grand stade, réalisé à la demande du Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, montre alors que « l’amortissement de cet emprunt et la rémunération d’autres ressources, notamment en capital, sur 20 ans exigent un rendement élevé et régulier du stade, pour ne pas pénaliser les moyens de la FFR en faveur du sport de haut niveau (entraînement des équipes olympiques et nationales) et de la pratique du rugby par tous ». « L’État, insistent les Sages, ne peut ignorer, au-delà du risque de dégradation du soutien à la discipline sur une aussi longue période, un risque pour les finances de la collectivité locale qui apporterait sa garantie ». Un risque visiblement (en tout cas pour le moment) assumé par le nouveau président du Conseil départemental, François Durovray, qui assure que « tout le monde autour de la table veut que ce projet aboutisse » Une situation délicate qui incite la Cour à réclamer une « actualisation et une clarification » du plan d’affaires. Dans leur réponse, le Ministre des Sports, Patrick Kanner et son Secrétaire d’Etat aux sports, Thierry Braillard assurent qu’ils veilleront à cette « actualisation » du plan d’affaires afin qu’il soit « solidement étayé et offre un rendement suffisamment élevé pour sécuriser sur le long terme l’amortissement et l’investissement ». Dans le même temps, ils rappellent, bottant en touche, que « ce projet de stade de la FFR est porté par elle en tant qu’entité privée ».
Dans son référé, la Cour s’inquiète aussi des répercussions d’une telle construction pour l’Etat en tant que propriétaire et concédant du Stade de France. En effet, La Cour démontre que la concrétisation d’un tel projet pourrait bouleverser « l’économie des manifestations sportives et événementielles de grande ampleur en Île-de-France ». « Il se doit de prendre en compte deux risques, l’un budgétaire, l’autre patrimonial » explique le Premier président, Didier Migaud.
Un bouleversement de l’économie des manifestations sportives et événementielles de grande ampleur en Île-de-France
En avril 2015, l’État confiait par contrat, la conception, la construction et l’exploitation du Stade de France à un consortium jusqu’en 2025 (Consortium Stade de France), un contrat de concession fondé sur un niveau d’activité prévisible et pour partie garanti, incorporant les compétitions organisées par la FFR. Or, note la Cour, le retrait des manifestations de rugby du programme du Stade de France entraînerait pour l’État de lourdes conséquences financières. Par le contrat de concession et ses avenants, l’État garantit en effet au concessionnaire (Stade de France) l’organisation chaque année de neuf à dix matchs, dont quatre à cinq manifestations rugbystiques, dites « réservées ».
Un risque budgétaire certain pour l’Etat d’au moins 23 Me par an
Ainsi, en cas de retrait du Stade de France de la FFR, l’Etat serait contrait de verser au Consortium Stade de France, une indemnité annuelle de 6,3 Me, au double titre de la non-tenue des manifestations réservées et du non-renouvellement des accords avec une fédération contractante. « L’État, ajoute la Cour, deviendrait également à nouveau redevable envers le concessionnaire de l’indemnité d’absence de club résident, soit 17 Me par an ». Jusqu’à maintenant, l’Etat pouvait ne pas verser cette somme en échange de la tenue de matches de rugby…
Les Sages ont encore identifié d’autres zones de risques qui pourraient se dessiner selon l’interprétation faite des différents articles de la convention de concession. Le Consortium pourrait , notamment évoquer la situation de « déséquilibre financier » qui naîtrait des conséquences de la concurrence entre les deux stades, notamment pour les manifestations non sportives, dont le nombre au Stade de France pourrait être divisé par deux, avec des tarifs diminués.
Au total, conclut la Cour, « le retrait de la FFR de l’utilisation du Stade de France provoquera une charge supplémentaire annuelle minimale de l’ordre de 23 Me pour l’État, jusqu’au terme de la concession (mi-2025), soit entre 161 Me et 186 Me suivant la date d’entrée en fonctionnement du stade de rugby. Ce risque budgétaire pourrait s’avérer supérieur selon l’intensité des revendications du concessionnaire, déjà très actif au plan contentieux à l’encontre de l’État » pointe la rue Cambon..
Enfin, avec la concurrence d’une deuxième enceinte sportive dans le sud francilien, la valeur patrimoniale du Stade de France, propriété de l’Etat et dans lequel 760 Me de dépenses publiques ont été engagées depuis 1998 (au titre de la construction du stade, de ses équipements de desserte et des indemnités versées au concessionnaire).
Face à cet imbroglio, la Cour évoque plusieurs pistes déjà esquissées par d’autres : la recherche d’un nouvel exploitant généraliste, voire la vente du stade lui-même. D’autres solutions nécessitent une modification des intentions de la FFR (report ou abandon de son projet) : la prorogation au-delà de 2018 de la convention d’utilisation du Stade de France par la FFR, au moins jusqu’en 2025 ; un nouveau régime de concession à de meilleures conditions pour la fédération (participation au consortium délégataire) ; la vente du Stade de France à la FFR - « la valeur d’assurance du Stade de France est de l’ordre de 400 Me » précise la Cour, soit 200 millions de moins que le Grand stade de Rugby.
Les préconisations de la Cour des comptes
Contre vents et marées, Pierre Camou et Serge Blanco maintiennent pourtant le cap. « On veut investir le stade en 2021. Donc poser la première pierre en 2017 » affirme Serge Blanco. Face à eux, Bernard Laporte, candidat à la présidence de la Fédération veut, s’il est élu mettre un terme à ce projet. Le stade de Ris-Orangis ? « Ce n’est pas qu’il me préoccupe. C’est qu’il va nous mettre en faillite » expliquait-il en janvier dernier au magazine Rugby entre Rhône et Alpes. « Je ne veux pas que ma fédération s’endette de 600 millions d’euros. Je veux arrêter les frais de suite ». Suite au prochain épisode. En décembre prochain pour l’élection du nouveau comité directeur et d’un nouveau président. ■