Parler de ce projet « très ambitieux » qui pourrait devenir à terme une source majeure de croissance et d’emplois pour l’Île-de-France et même la France et en faveur duquel l’Etat a déjà investi 4,5 milliards d’euros depuis 2005 exige que l’on se garde « de tenir un discours d’un optimisme béat ou d’un pessimisme catastrophique » avertit Michel Berson. Une mise en garde rendue nécessaire au regard des débats passionnés que ce projet de Silicon Valley à la française suscite depuis toujours.
Si ce pôle scientifique n’est pas un projet ex nihilo – le plateau accueille depuis l’après-guerre de grandes écoles et des centres de recherche -, il a connu ces dix dernières années un formidable élan impulsé par l’Etat, les collectivités et le monde scientifique et de la recherche, au point de devenir aux yeux de Michel Berson un projet, certes de « longue haleine » mais « emblématique pour la France, fondé sur une grande ambition ». Son objectif est de « donner naissance à un écosystème cohérent de recherche et d’enseignement supérieur, doté d’infrastructures modernes et adaptées » ajoute le rapporteur spécial.
S’inspirant du modèle de la Silicon Valley, le projet comporte trois grands volets rappelle le rapporteur :
• un volet scientifique, avec la constitution progressive de l’université Paris-Saclay, qui rassemble dix-huit universités, grandes écoles et organismes de recherche ;
• un volet économique, qui repose sur l’implantation des centres de R&D des grandes entreprises, la création d’un écosystème favorable aux jeunes entreprises innovantes et aux start-up et la valorisation commerciale des avancées scientifiques et technologiques réalisées sur le plateau ;
• un volet immobilier et aménagement du territoire, centré sur le déménagement de six établissements d’enseignement supérieur sur le plateau et la construction d’un grand campus urbain, moderne et attractif.
Une gouvernance complexe
Or, ce bel édifice paraît pourtant quelque peu branlant sur certains de ses piliers. Des dissensions entre établissements membres de l’université Paris-Saclay et leurs ministères de tutelle sont notamment apparues ces derniers temps. Mais pas seulement. Le rapporteur pointe également du doigt une gouvernance « complexifiée » par la nature transversale du projet et des financements très dépendants du Plan d’investissement d’avenir (PIA). Sa gouvernance est complexifiée par la multitude d’intervenants. Rien que son comité de pilotage réunit les représentants du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, du Ministère du Logement, du Budget mais aussi de la Défense, de l’Urbanisme, de l’Agriculture et de l’Economie… « et je ne suis pas certain de ne pas en avoir oublié » ironisait déjà en septembre dernier le rapporteur spécial devant ses collègues. A ce comité de pilotage, il faut ajouter pour la partie immobilière du projet, l’Etablissement public de Paris Saclay qui supervise l’ensemble des opérations mais qui laisse au contrôle du Ministère de l’Enseignement et de la Recherche, tout ce qui concerne le déménagement des grandes écoles et des instituts de recherche. Quant à la fondation de coopération scientifique, elle a en charge de veiller à la gestion financière des diverses structures (Labex, Idex) financées par le PIA. Enfin, concernant les transports, c’est la Société du Grand Paris (SGP) qui est compétente. Et bien évidemment, il faut aussi compter avec les collectivités territoriales du plateau aussi concernées par le projet ainsi que plusieurs acteurs privés. « L’ensemble de ces entités doit dialoguer et trouver des points de consensus, ce qui pose d’évidentes difficultés » note Michel Berson. Pour le rapporteur spécial, il est nécessaire de « faire émerger un véritable chef de projet, capable d’articuler la vision stratégique du Gouvernement aux problèmes concrets remontant du terrain, de renforcer le volet attractivité économique et implantation de nouvelles entreprises, de faciliter les compromis entre les établissements et le cas échéant d’arbitrer dans un sens ou un autre ». Et Michel Berson de suggérer la création d’un poste de délégué interministériel. Une proposition qui lui a valu une levée de boucliers de la part de Michel Bouvard qui juge que « cela ne règlera rien » qui par expérience a pu constater qu’une telle nomination n’a jamais rien apporté. « Par pitié que l’on donne ce dossier à un véritable chef de file » qui pourrait être la région ou bien le département de l’Essonne s’époumone Roger Karoutchi vent debout contre un « énième délégué ». « Qu’on demande à ce chef de file de réellement prendre en main ce dossier qui dure depuis de nombreuses années et dont les vicissitudes ont déjà coûté très cher » ajoute-t-il.
L’université à « la croisée des chemins »
Après examen de la situation, Michel Berson a également fait part de son inquiétude sur ce qui est « la pierre d’angle » du projet, le volet scientifique. Pour réussir, le cluster a besoin de s’appuyer sur une université de rang mondial. Or, après l’annonce fin avril des résultats « pour le moins décevants » obtenus par Paris-Saclay lors de l’évaluation des initiatives d’excellence (Idex), il apparaît que l’université Paris-Saclay se trouve aujourd’hui « à la croisée des chemins ». Un état de fait que déplore le rapporteur spécial qui pointe les bisbilles et les querelles d’égo entre universités et grandes écoles venues brouiller le projet. Une guerre intestine notamment née à la suite de la parution du livre de Bernard Attali « L’X dans une nouvelle dimension » qui prônait la mise en place d’un « pôle d’excellence » autour de l’Ecole Polytechnique au sein de l’université Paris-Saclay regroupant uniquement des grandes écoles d’ingénieurs. Par ce biais, il s’agissait pour ces grandes écoles de ne pas être noyées « dans un vaste ensemble dont les valeurs, la gouvernance et le processus de sélection des élèves seraient proches de ceux des universités » explique le sénateur qui trouve ces craintes pour la plupart injustifiées. A terme, cette idée soutenue par les ministères de la Défense et de l’Economie, « ne pouvait qu’entraîner la disparition de l’université » souligne l’élu qui considère « plus important que jamais de conforter le modèle d’intégration de l’université Paris-Saclay », de renoncer définitivement à ce pôle d’excellence tout en faisant le nécessaire « pour éviter que l’X ne prenne la tangente ». Il suggère alors la mise en place d’un diplôme de Bachelor à même d’attirer les meilleurs étudiants étrangers, la création d’une fondation universitaire abondée par les anciens élèves et par les entreprises du plateau, le renforcement des incitations financières à l’intégration de l’université et la désignation comme ambassadeur de l’université d’une personnalité scientifique de premier plan pour développer la notoriété.
Le volet immobilier présente de « vraies fragilités financières »
Sur le volet économique du projet, « l’un de ses relatifs points faibles », Michel Berson n’a pu que constater un « essoufflement » ces dernières années du nombre de grandes entreprises venant s’implanter sur le plateau. Pourquoi ne pas inviter, par exemple lors des conseils de l’attractivité qui se tiennent régulièrement autour du président de la République, les grandes entreprises françaises comme étrangères à installer leur centre de R&D sur le plateau de Saclay propose timidement le sénateur.
Le volet immobilier, celui qui concentre l’essentiel des financements n’est pas exempt de critiques. La question du déménagement des six établissements prévus pour s’installer sur le plateau « présente de vraies fragilités financières ». Alors que ces déménagements sont essentiellement financés par la cession des locaux et des terrains précédemment occupés par les établissements, « il est à présent quasi certain que ces retours de cessions seront beaucoup moins élevés qu’attendu » pour des raisons variées comme la présence d’amiante sur un site ou encore la décision de la ville de Paris de « pastiller » le bâtiment principal de l’Institut Mines-Telecom à Paris pour lui interdire tout autre vocation que l’enseignement supérieur. Inacceptable pour Michel Berson qui déplore un montant de retours de cessions probablement « mal évalué au départ ». Et il est d’autant plus furieux que le PIA a été à nouveau sollicité pour faire face à ces moins-values ; ces « 185,2 millions auraient été mieux employés à financer des projets de recherche scientifique qu’à voler au secours de projets immobiliers mal programmés ».
Les transports, un « handicap majeur »
Mais au fond tout cela n’est presque rien au regard du véritable sujet qu’est celui de l’accessibilité du plateau. Pour le cluster, la question des transports « demeure et demeurera encore plusieurs années son handicap majeur » pour attirer les entreprises, les meilleurs salariés, chercheurs et étudiants. Pour y répondre, la Société du Grand Paris a donc prévu la construction d’une ligne de métro automatique en rocade, la ligne 18 qui reliera l’aéroport d’Orly à la gare de Versailles-Chantiers en traversant le plateau d’est en ouest au long d’un parcours de 35 kilomètres et de dix gares. « Si l’entrée en service de la ligne 18 du Grand Paris express devrait reléguer l’enclavement du plateau de Saclay au rang de mauvais souvenir, force est de constater que celle-ci n’interviendra, si tous les délais sont tenus, que d’ici 8 ans au plus tôt. Dans l’intervalle, les difficultés rencontrées par ceux qui vivent et travaillent sur le plateau pour se déplacer risquent de perdurer » déplore Michel Berson. « Le risque est que la situation s’aggrave lorsque toutes les écoles en cours de déménagement auront ouvert leur porte » ajoute l’élu qui fait de l’ouverture de la ligne 18 une priorité. Une espérance immédiatement tempéré par Roger Karoutchi qui a pu constater avec sa collègue Marie-Hélène Des Esgaulx au cours d’une mission sur le financement des infrastructures de transport que « la ligne 18 dans le secteur de Saclay n’était pas considérée comme prioritaire en raison d’une rentabilité insuffisante ».
En conclusion de son rapport, Michel Berson a tenu à rappeller combien la réussite du cluster Paris-Saclay « ne représente pas seulement un enjeu universitaire et scientifique mais aussi un enjeu politique, à travers la nécessaire évaluation du système d’enseignement supérieur de recherche et d’innovation français, à laquelle justement, la réussite du cluster doit contribuer ». ■
Paris-Saclay
Pôle d’innovation du Grand Paris
• 650 000 habitants
• 350 000 emplois
• 30 % de la recherche et développement du Grand Paris
• 15 % de la recherche publique française
• 4,5 Mds€ dont :
• 2,1 Mds€ pour le volet immobilier et aménagement du territoire
• 1,7 Md€ pour le tronçon de la ligne 18 du Grand Paris Express
• 700 M€ pour le volet scientifique