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SNCF et EDF, deux entreprises publiques à la dérive

Par Christian Gerondeau, Ingénieur Général des Ponts et Chaussées

Il fut un temps où la SNCF et EDF étaient des sujets de fierté nationale, avec le TGV d’une part et le programme électronucléaire de l’autre. Ce temps est révolu, et les deux entreprises publiques sont devenues de graves objets de préoccupation pour les pouvoirs publics actuels et futurs.

SNCF

Le 11 mars 2016, les chiffres suivants relatifs à l’exercice 2015 de la SNCF étaient rendus publics par les dirigeants de l’entreprise avec une grande satisfaction :

Chiffre d’affaires : 31,4 milliards d’euros.

Marge opérationnelle : 4,6 milliards.

Bénéfice avant dépréciation : 377 millions.

Investissements : 8,2 milliards d’euros.

Tout irait donc pour le mieux si ces chiffres traduisaient la vérité.

Malheureusement, celle-ci est tout autre, comme en témoignent les véritables comptes de nos chemins de fer, tels qu’ils résultent de l’examen des données émanant de la SNCF elle-même :

Recettes effectivement acquittées par les usagers (c’est-à-dire véritable chiffre d’affaires) : 10,0 milliards.

Subventions des pouvoirs publics (c’est-à-dire déficit) : 13,8 milliards.

Dépenses totales : 23,8 milliards.

Investissements : 8,2 milliards.

Il n’y a que sur le montant stupéfiant des investissements qu’il y a accord.

Comment peut-on laisser croire que les chemins de fer français ont un chiffre d’affaires trois fois supérieur à la réalité et qu’ils font un bénéfice de plus de 370 millions d’euros alors qu’ils coûtent 13,8 milliards aux contribuables ?

Pour arriver à ce résultat, le processus est double. Tout d’abord, l’essentiel des subventions reçues du contribuable sous une dizaine d’appellations différentes est intitulé « recettes ».

Ensuite, les activités des multiples filiales que la SNCF a créées en France et à l’étranger dans des domaines autres que le chemin de fer, filiales routières par exemple, sont également prises en compte pour arriver au total affiché d’un « chiffre d’affaires » de 31,4 milliards, que tout le monde croît être celui des activités ferroviaires en France.

Tant que l’on restera à ce degré de travestissement, avalisé par les administrations et les gouvernements successifs, rien ne sera possible. Comment le cheminot de base pourrait-il avoir la moindre idée de la situation réelle de l’entreprise quand on lui dit que la SNCF fait des bénéfices dont il réclame sa part, alors qu’elle perd plus de 10 milliards ? Il n’y a pas à chercher ailleurs la cause d’une incompréhension dont il n’est pas responsable. Le résultat est catastrophique.

Selon les calculs du Professeur Rémy Prud’homme réalisés dans le cadre du Cercle des Transports : « Le transport ferroviaire a creusé depuis trente ans la dette publique française d’environ 500 milliards. Les chiffres relatifs aux transports collectifs urbains y ajoutent 200 milliards. La politique française des chemins de fer et des transports collectifs urbains explique donc à elle seule environ 700 milliards d’euros, soit plus du tiers de la dette nationale ».

C’est que beaucoup de nos trains de marchandises et de voyageurs circulent à vide ou presque sur des milliers de kilomètres de voies qui ne répondent plus aux besoins de notre époque. Quel responsable osera dire un jour la vérité, et reconnaître que nous vivons à une époque où chacun peut disposer d’une voiture et où les camions livrent sur tout le territoire en quelques heures, ce qui a enlevé au chemin de fer l’essentiel de son activité historique ?

QUE FAUT-IL FAIRE ALORS ?

Un préalable

Rien ne sera possible tant que tout continuera à être organisé pour que la vérité ne soit pas connue du grand public, des médias, et des responsables politiques. Pour le constater, il suffit de poser une simple question. On a vu que les dépenses ferroviaires de la SNCF s’élevaient annuellement à 23,8 milliards d’euros. Comment ces dépenses se répartissent-elles entre les deux seules activités de la SNCF : marchandises et voyageurs ?

Personne n’a jamais obtenu de réponse à cette question, car cette réponse permettrait notamment de mettre en évidence le déficit du fret ferroviaire. Les recettes de celui-ci, qui déclinent d’année en année, sont aujourd’hui inférieures à 1 milliard d’euros (contre 70 milliards pour le transport routier de marchandises !), alors que les dépenses excèdent sans doute plusieurs milliards. Mais personne n’en sait rien : une PME en sait et en dit plus sur ses comptes.

Une action concrète parmi d’autres : les TER

L’analyse des comptes des régions montre que celles-ci consacrent chaque année 3,7 milliards d’euros aux TER ferroviaires. Or les neuf dixièmes de ceux-ci, qui nécessitent l’entretien de plus de 15 000 kilomètres de voies et la pérennité pour eux seuls de plus de 2 000 gares, ont un trafic dérisoire qui s’élève à moins de 50 voyageurs par train et bien souvent à une poignée seulement.

Au total, moins de 2 % des habitants de province sont des usagers réguliers des TER (1 fois par semaine ou plus), alors que 98 % ont recours à la voiture qui assure ainsi 95 millions de déplacements quotidiens. En regard les 260 lignes de TER totalisent à elles toutes 900 000 voyageurs par jour seulement, soit le trafic de la ligne A du RER parisien !

Pour de tels trafics, la solution est l’autocar. Mais la loi « Macron » a spécifié que la liberté d’ouverture des lignes d’autocars ne s’appliquait qu’aux trajets de plus de 100 kilomètres afin de protéger le monopole des TER ferroviaires. Faire sauter ce verrou permettrait des économies de l’ordre de 3 milliards d’euros par an lorsque les régions constateraient que des lignes d’autocars peuvent rendre de meilleurs services que la plupart des TER ferroviaires, et bien souvent sans rien coûter au contribuable.

Considérations sur l’emploi

La SNCF compte environ 150 000 cheminots au statut spécifique et privilégié, alors que son volume d’activité en justifierait la moitié. Elle investit en outre le montant invraisemblable de plus de 8 milliards d’euros par an, et finance ainsi de l’ordre de 80 000 emplois du secteur privé pour des opérations non justifiées économiquement comme le rappelle régulièrement la Cour des Comptes.

Au total, ce sont de l’ordre de 150 000 emplois économiquement injustifiés qui sont à la charge du contribuable dans le seul secteur des chemins de fer, et dont personne ne parle jamais.

EDF

La France s’est dotée depuis 10 ans et continue à se doter d’énergies renouvelables intermittentes et imprévisibles dont elle n’a aucun besoin, qui coûtent à son économie et au consommateur des sommes considérables, et qui condamnent EDF.

Grâce à une génération d’ingénieurs qui suscitent toujours l’admiration, la France a mis en chantier de 1970 à 1985 54 tranches nucléaires d’une puissance de 900 ou 1300 mégawatts (MW). Bien entretenues depuis lors ces installations continuent à fonctionner de manière optimale et produisent en moyenne 420 Térawattheures (TWH) chaque année. En outre, le parc hydroélectrique fournit 60 TWH. Enfin, compte tenu des variations de la demande, il est nécessaire d’avoir recours de manière épisodique à des centrales thermiques classiques (gaz ou charbon) pour un total de l’ordre de 30 TWH.

Ces trois sources nous assurent donc 510 TWH à un coût moyen très faible en regard des autres pays, les centrales nucléaires et hydrauliques étant amorties depuis longtemps.

Pour sa part, la consommation nationale annuelle est de l’ordre de 470 TWH, niveau auquel elle est stabilisée depuis plusieurs années du fait des progrès des économies d’énergie.

Il en résulte que la France ne nécessite aucun investissement de capacité supplémentaire et a seulement besoin de moderniser progressivement ses centrales nucléaires existantes, opération incomparablement moins coûteuse que de construire des centrales neuves, quelles que soient les technologies de celles-ci.

La France s’est pourtant couverte au cours des années récentes pour des raisons idéologiques et politiques de milliers d’éoliennes et de centaines de milliers de panneaux voltaïques pour une dépense globale de l’ordre de 45 milliards d’euros qui accroît en 2016 la facture électrique des consommateurs individuels et des entreprises de 5 milliards d’euros, pour rien. Et elle continue !

Selon les prévisions officielles (arrêté du 24 avril 2015), elle va construire de 2018 à 2023 des milliers d’éoliennes, dont une partie en mer, pour une puissance de l’ordre de 15 000 MW, et des dizaines de milliers de panneaux photovoltaïques d’une puissance totale de 28 000 MW.

Au total, si rien ne change, la France va ainsi dépenser en pure perte 50 milliards d’euros de plus en 5 ans, à nouveau entièrement inutiles, soit plus chaque année que le budget de la Justice (8 milliards) et presqu’autant que celui de l’Enseignement Supérieur.

En 2023, les sommes qui pèseront sur la facture électrique des ménages et des entreprises du fait des énergies renouvelables intermittentes s’élèveront ainsi à plus de 10 milliards d’euros par an, qui réduiront d’autant leur pouvoir d’achat et leur compétitivité, et ceci uniquement au profit de promoteurs qui agissent efficacement pour faire croire qu’il s’agit d’investissements conformes à l’intérêt général, alors qu’ils lui sont profondément nuisibles et in fine destructeurs massifs d’emplois comme toute dépense inutile.

Un certain nombre d’autres considérations doivent être ajoutées.

• Se substituant en France au nucléaire qui n’émet pas de Co2 les énergies renouvelables intermittentes ne peuvent évidemment réduire les émissions nationales. Dans la mesure où elles vont nécessiter la construction de centrales à gaz pour pallier leurs brusques variations, elles ne peuvent avoir au contraire qu’un effet négatif de ce point de vue.

• Les équipements éoliens et photovoltaïques sont pour l’essentiel importés de pays qui les produisent en grande série (Danemark, Allemagne, Chine), au détriment de notre balance des paiements et de l’emploi en France.

• Le réseau de transport d’électricité se trouve déséquilibré par le développement des énergies renouvelables intermittentes et va nécessiter de ce fait des investissements supplémentaires très lourds pour faire face aux fluctuations de leur production.

• Les éoliennes défigurent progressivement des pans entiers des paysages français.

• Sans que nous en soyons conscients, de nombreux autres pays européens freinent aujourd’hui brutalement ou arrêtent entièrement l’implantation d’énergies renouvelables intermittentes du fait de leur coût et des problèmes d’écoulement de leur production : Danemark, Allemagne, Grande-Bretagne, Pologne, Espagne, etc.

• Lorsqu’on ne leur dit rien, 87 % des Français se déclarent favorables aux énergies renouvelables. Lorsqu’on leur dit que leur facture pourrait s’accroître de 40 %, 68 % s’y déclarent opposés !

• Enfin, EDF se trouve désormais dans une situation financière catastrophique qui défraie la chronique, ce qui ne serait pas le cas si les sommes versées inutilement aux promoteurs des énergies renouvelables intermittentes.-5 milliards par an et bientôt 10-lui revenaient.

En conclusion, la SNCF et EDF témoignent de la disparition du bon sens au sein de nos sphères dirigeantes, mais aussi du silence assourdissant des organisations nationales représentatives des entreprises qui laissent perdurer sans réagir des situations qui vaudraient à n’importe quel pays en voie de développement d’être sanctionné par les instances financières internationales.

Dans un cas comme dans l’autre, il faut commencer par dire la vérité. 

 

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