“Il y a quelque chose que l’on sait produire en France, ce sont les candidats à l’élection présidentielle. Mais je ne suis pas sûr que nous soyons exportables” a lancé un Bruno Le Maire tout sourire et pas fâché de son trait d’humour. Pas faux. Pour la deuxième édition des « Assises du Produire en France », une manifestation organisée par l’association “Pro France” créée en 2010 par Yves Jégo, ils n’étaient pas moins de quatorze candidats (ou leurs représentants) à avoir fait le déplacement à Reims pour évoquer devant un parterre de chefs d’entreprises leur vision de l’entreprenariat français, de l’industrie française et de la meilleure façon de les défendre selon eux. Si l’an dernier, aucun de ceux-là n’avait pris le temps de venir, cette année, échéances électorales obligent, toutes les sensibilités politiques étaient représentées, de la gauche de la gauche, à la droite de la droite. Le ton était sérieux, didactique mais guère innovant. En une dizaine de minutes, les candidats devaient répondre à la question « Comment promouvoir l’entreprise française ? », dresser un constat et proposer des solutions.
Un village gaulois
En introduction de ce Grand Oral, Yves Jégo a commencé par un simple et triste constat, celui de la perte « de savoir-faire dans notre pays ». Pour l’ancien Secrétaire d’Etat, « la recherche du low cost nous a coûté très cher. Nous devons constater une perte de notre savoir-faire industriel. Mais un village gaulois résiste : celui du produire en France ». « Mes positions, poursuit Yves Jégo, ne vont pas exactement dans le sens du patronat qui prétend que si le design et la recherche et le développement sont faits en France et le reste ailleurs, ce n’est pas grave. Mais si on perd la chaîne de production, les usines, le savoir-faire, on perdra un jour aussi le design. Il faut se battre pour garder un outil complet en France » s’époumone celui qui n’hésite pas à se présenter comme un « soldat du patriotisme économique ». Cette volonté de sauvegarder et/ou de rapatrier les unités de production en France a également été celle des orateurs. Sans toujours convaincre le parterre de chefs d’entreprises venus surtout échanger sur des retours d’expériences.
L’esprit patriotique d’Arnaud Montebourg
C’est Arnaud Montebourg qui était l’an dernier encore, partenaire d’Yves Jégo sur les Assises mais qui en raison de sa candidature à la présidentielle s’est mis en retrait, d’ouvrir le bal des prétendants. L’ancien ministre du Redressement productif qui parle du “made in France” comme de « l’œuvre d’une vie et aussi une passion » rappelle que « produire en France, c’est avoir l’esprit patriotique ». Mais s’il veut bien « ne pas être protectionniste », il ne faut pas pour autant « être naïfs ». « On parle de politique de compétitivité pour certains, de protectionnisme pour d’autres. (…) Il faut se battre pour garder ce que l’on a et aller conquérir ce que l’on n’a pas. Défendre nos intérêts ce n’est pas être un méchant de la communauté internationale » lâche celui qui ne veut plus de « cette mise à l’exposition mondiale et au libre-échange dérégulé » voulus par Bruxelles entre autres.
« L’idée de protectionnisme intelligent et de patriotisme » de Marine Le Pen
« La libéralisation mondiale des échanges est la cause de nos maux. Le libre-échange généralisé est un échec. Le peuple français est à 70 % pour le protectionnisme car la mondialisation provoque des injustices, du désordre et des inégalités. Il faut retrouver notre indépendance comme l’ont fait les Britanniques. Si l’on refuse l’idée de protectionnisme intelligent et de patriotisme, on n’arrivera à rien. » a embrayé Marine Le Pen. La présidente du Front national a alors enfourché son cheval de bataille, la sortie de l’euro : « Prétendre faire du patriotisme économique en ne voulant pas sortir des interdits de l’Europe est un vaste enfumage ». Une sortie qui a eu le don d’énerver Jean-François Copé (LR), « dire que tout est de la faute de l’euro est facile et faux ». Le mal n’est pas là, il est ailleurs. « Comment voulez-vous que l’on produise en France quand on croule sous les taxes, les charges et les réglementations ? Le made in France a une chance à condition de sortir des démagogies sans pour autant fermer les frontières ». « Produire en France, ce n’est pas vendre l’illusion de fermer les frontières. Retrouvons un esprit de conquête » a, à son tour, lancé Christian Estrosi (LR), porte-parole du candidat Nicolas Sarkozy, absent. Opposé à toute idée de protectionnisme, « une idée folle, le protectionnisme c’est refuser de voir le monde tel qu’il est, c’est une réalité », Alain Juppé (LR) estime que si l’on veut produire en France, « il faut recréer un environnement plus compétitif avec moins d’impôts, de normes, de droit social et de politique commerciale trop naïve ». Et justement, pour le maire de Bordeaux, « la France et l’Europe ne peuvent pas ouvrir leurs marchés sans contreparties ». Une logique qui pousse donc à renégocier le Tafta qui n’est « pas acceptable », « il faut savoir dire non à un mauvais accord ».
« Pour exporter, il faut être les meilleurs » souligne Bruno Le Maire
Lyrique, Bruno Le Maire a caressé les entrepreneurs présents dans le sens du poil vantant « le génie français de la production industrielle, agricole qui ne demande qu’à s’exporter ». Pour aider ces jeunes qu’il a croisés et qui « veulent prendre des risques, qui veulent innover », Bruno Le Maire veut « simplifier, alléger les réglementations ». « Si nous voulons que nos productions soient exportées, il faut que l’on soit les meilleurs, avec des produits de haut de gamme pas de milieu de gamme ; il faut réaliser les meilleurs produits au monde » conclut-il.
« Produire en France, explique Jérôme Chartier (LR), venu au nom de François Fillon en déplacement aux Etats-Unis, ce n’est pas du chauvinisme, c’est offrir un réveil au pays et aussi lui donner de la vigueur et de l’allant ». Il milite alors pour la suppression « des charges exorbitantes (40 milliards pour les entreprises), des impôts et des réglementations ». « Il faut aussi baisser le taux sur les sociétés. [..] Il faut également assouplir les contrats de travail et les caler sur les nécessités de l’entreprise ». Bref, un discours identique à quelques nuances près à celui de ses petits camarades de droite présents ce jour-là à Reims.
Mélenchon pour un « protectionnisme normatif »
A gauche, Jean-Luc Mélenchon a pour sa part marqué sa préférence pour un « protectionnisme normatif ». « Le consommateur a une morale, explique le leader du Parti de Gauche, il comprend une taxation normative ». « Le protectionnisme est solidaire avec des marchandises qui n’ont pas à entrer car elles participent d’une concurrence déloyale » détaille Jean-Luc Mélenchon qui, dans la foulée, exige la sortie « des traités européens qui organisent le dumping social et fiscal ».
Enfin, chez les Verts, le message est simple : « la France doit devenir la première république écologique du monde ». « Produire en France, veut dire produire différemment, explique Cécile Duflot, avec de la production durable contre l’obsolescence programme. Il faut produire sans porter atteinte à la santé des citoyens ni à celle de la planète. Pour résister à l’aspirateur de la mondialisation, il faut réintroduire le local chaque fois que c’est possible ». Une relocalisation de l’économie qui passe par « la valorisation du savoir-faire français » tout en s’appuyant dans chaque territoire sur les ressources des producteurs locaux. « Produire en France, c’est produire partout ». ■