“Nous avons tous besoin d’une quantité incompressible de sommeil de bonne qualité, en deçà de laquelle la santé et les capacités de travail ou d’apprentissage sont mises en cause”. Cette réflexion simple établie par les auteurs du rapport n’est pourtant pas partagée par tous aujourd’hui. L’idée d’une quantité de sommeil suffisante a même du mal à se faire une place dans une société de la performance qui en demande toujours plus et pour laquelle le sommeil est une variable d’ajustement. « Si la décision de dormir est éminemment personnelle, les conditions d’un bon sommeil sont largement conditionnées par l’environnement physique, culturel et social » s’accordent à dire les rapporteurs qui ont exploré le sommeil sous tous ces aspects : la santé publique et la sécurité (consommation de médicaments, sécurité routière), le travail de nuit, le sommeil des enfants et des adolescents, les effets du bruit et de la pollution lumineuse, ou encore les inégalités sociales produites ou révélées par le sommeil.
Si les Français dorment en moyenne 7 heures et 47 minutes par jour, les variations sont fortes d’une personne à l’autre. Selon une étude de l’Insee, à 23 heures, seule une personne sur deux est couchée. À une heure du matin, un Français sur dix ne dort pas. Le pic de sommeil se situe à 3h du matin, où 96 % des plus de 11 ans dorment. Aujourd’hui, ce sont donc 62 % des Français qui déclarent souffrir d’un manque de sommeil, 16 % ont des difficultés pour s’endormir, 42 % pour se rendormir pendant la nuit et 19 % pour récupérer pendant leur sommeil. La « dette de sommeil » touche un adulte sur cinq et un adulte actif sur trois.. « Le temps passé à dormir a baissé de 18 minutes en 25 ans. Cette baisse atteint 50 minutes pour les adolescents, signe qu’une évolution spécifique a eu lieu pour cette tranche d’âge » ajoute Terra Nova. Restait à savoir quelles étaient les raisons de ce déficit de sommeil. L’enquête sur les représentations, les attitudes, les connaissances et les pratiques du sommeil des jeunes adultes en France réalisée par l’Inpes révèle que le travail est la principale cause déclarée de manque de sommeil (53 %), suivie des difficultés psychologiques (40 %) et, dans une moindre mesure, les enfants (27 %), les loisirs (21 %), et le temps de transport (17 %). Par ailleurs, complète le rapport, « près de la moitié des Français déclaraient être dérangés pendant leur sommeil par des bruits à l’intérieur de la maison (25 %) ou à l’extérieur (21 %) ou encore par leur partenaire de lit (20 %) ». L’enquête de l’Inpes révèle que 45 % des personnes interrogées estiment dormir moins que ce dont elles ont besoin. De plus, un quart des personnes interrogées ne se sentent pas reposées lorsqu’elles se réveillent le matin (58 % chez les insomniaques). Une personne sur dix souffre également de troubles de somnolence diurne.
Les Français premiers consommateurs de somnifères
Ces troubles du sommeil ne sont pas anodins et sont à prendre au sérieux. Ils représentent notamment un enjeu majeur de santé publique. Avec 131 millions de boîtes de médicaments contenant des benzodiazépines (1) ou apparentées vendues en France en 2012 (dont 53 % d’anxiolytiques et 40 % d’hypnotiques), les Français sont les plus gros consommateurs de somnifères en France. Environ 11,5 millions de Français ont consommé au moins une fois une benzodiazépine en France en 2012 souligne l’étude de Terra Nova. « De la dépendance rapide et forte aux accidents en tous genres (iatrogénie, sevrage, rebond, accidentologie domestique ou routière, psychasthénie, troubles de la mémoire, effets adverses…), cette consommation n’est jamais innocente et porte à conséquence » s’alarme Terra Nova. Son rapport pointe notamment du doigt le lien entre somnolence et accidents de la route. Selon l’Observatoire National Interministériel de Sécurité routière (ONISR) 2015, près de 12 % des accidents en France sont attribuables en 2013 à une perte de vigilance. Sur autoroute, ce sont 33 % des accidents mortels qui seraient liés à la somnolence (première cause de mortalité, devant l’alcool et la vitesse) et 8 % de l’ensemble des décès sur la route, soit une évaluation à 260 morts et plusieurs milliers de blessés par an.
Le travail de nuit en hausse
Alors que le sommeil est une question centrale, « il est souvent peu abordé dans l’organisation du travail de nuit » regrettent les rapporteurs qui rappellent que plus de 6 millions de Français travaillent la nuit ou en horaires décalés, soit 20 % des travailleurs salariés et une proportion sans doute plus élevée de travailleurs indépendants. Et aujourd’hui contrairement à ce que l’on imagine pour travail de nuit (urgence, nécessité des 3x8 dans le secteur industriel), le profil des travailleurs de nuit change. On trouve de plus en plus de femmes et de plus en plus de secteur tertiaire, de la communication, des transports. « La proportion de salariés déclarant travailler habituellement de nuit (c’est-à-dire exclusivement) a plus que doublé en 20 ans : 3,5 % en 1991 et 7,4 % en 2012 » note encore Terra Nova. Des travailleurs de nuit qui décrivent des conditions de travail nettement plus difficiles que celles des autres salariés. Un travail de nuit et/ou en décalé qui n’est pas sans conséquence sur la santé. Le risque de somnolence peut ici entraîner des pertes de vigilances avec des risques d’accidents, notamment de circulation (trajet de retour après un poste de nuit) et de travail. On parle aussi d’anxiété et de dépression. Il peut être aussi considéré comme un facteur de risque cardiovasculaire. On parle encore de risques plus élevés de cancers et notamment de cancer du sein. Il présente aussi un risque pour la grossesse.
« Il n’y a pas d’enfance heureuse sans sommeil heureux »
Le manque de sommeil n’est pas sans conséquence non plus pour les enfants et les adolescents. On sait mais il est sans doute nécessaire de le rappeler le nouveau-né a un besoin impératif de sommeil pour son développement physique et cognitif. Quant aux adolescents, la préservation du sommeil est une priorité tant « Les troubles du sommeil peuvent affecter le fonctionnement de l’organisme et du psychisme, et de ce fait l’ensemble de la vie sociale, avec des conséquences telles que les difficultés à suivre le rythme scolaire et parfois les accidents liés à la somnolence ». Dans une tribune publiée par Libération, les auteurs rappellent qu’« il n’y a pas d’enfance heureuse, sans sommeil heureux » (2). Mais surtout, alors que l’on sait que « les enfants ont besoin de dormir et qu’ils ne dorment pas assez » le rapport met sur la sellette le mode de vie de nos adolescents avec une présence envahissante des écrans. Selon l’INSEE, le temps consacré à Internet et à la pratique des jeux vidéo a augmenté de 106 % entre 1999 et 2010 chez les 15 ans et plus. Les jeunes hommes de 15 à 24 ans sont ceux qui passent le plus de temps par jour (en moyenne 3h58 pour les hommes de 25-34 ans : 3h25 pour les jeunes femmes de 15 à 24 ans, 3h21). Ils regardent aussi beaucoup (trop ?) la télévision. Les jeunes âgés de 11 à 14 ans passent en moyenne deux heures par jour devant la télévision et cinquante minutes sur un ordinateur. A cela il faut ajouter les équipements nomades (smartphones et tablettes) qui sont de plus en plus utilisés par les enfants et qui s’immiscent dans les temps et les comportements alimentaires. « On observe de plus en plus ces outils sur les tables des repas et dans les chambres des enfants ». Attention danger.
L’influence de l’environnement sur la qualité de notre sommeil
Le rapport décidemment très exhaustif s’est intéressé à notre environnement. Trois facteurs sont particulièrement connus pour influencer le sommeil : le bruit (Près de 2/3 des Français déclarent être gênés par le bruit), la température et la lumière et notamment ce que l’on appelle la pollution lumineuse (la lumière extérieure gêne 42 % des Français pour s’endormir, enquête INSV-MGEN 2013). Cette pollution lumineuse qui peut être extérieure (éclairage public) est aussi présente à l’intérieur même des maisons avec des appareils électroniques – portable, radio, télévision ou ordinateurs – « qui sont présents dans 3 chambres sur 4 en France et souvent laissés allumés en dépit de la luminosité des écrans et des voyants lumineux de toutes sortes ». 4 Français sur 10 dorment avec leur téléphone portable en marche et 46 % d’entre eux lisent leur message la nuit sur des écrans petits, mais bien éclairés…
Le rapport montre aussi combien le sommeil est facteur d’inégalités sociales en touchant plus spécifiquement des catégories de la population, en particulier les plus défavorisées. « Les ouvriers sont ainsi plus nombreux à avoir des nuits avec peu ou pas de sommeil, du fait notamment de leurs contraintes professionnelles ». « Si nous ne sommes pas tous égaux face au sommeil, les victimes des troubles ou du manque de sommeil ne sont pas également réparties dans la population, ce qui a des conséquences aussi bien en termes de santé qu’en termes de vie familiale ou professionnelle ». Une inégalité ressentie non seulement par les adultes mais aussi chez les plus jeunes, « les enfants de cadres déclarant moins de troubles de sommeil que les autres ». « Ce manque de sommeil poursuit le rapport, peut ainsi conduire à des difficultés scolaires, créant ainsi des écarts entre milieux sociaux en termes de réussite à l’école et donc d’intégration professionnelle ».
Le coût de l’insomnie
S’il n’existe aujourd’hui que très peu de publications concernant les conséquences économiques de l’insomnie reconnaît le rapport, plusieurs études américaines ont toutefois permis de calculer le coût de l’insomnie. En 1988 aux États-Unis, il a été estimé de 92,5 à 107,5 Mds $. Au-delà du coût direct (consultations externes des patients et traitements médicamenteux de l’insomnie) estimé aux Etats-Unis à 13,93 Mds $, il faut aussi s’attarder sur les coûts indirects. Une autre étude américaine a estimé la perte de productivité liée à l’insomnie aux États-Unis à 41,1 milliards de dollars en 1988. Le coût de l’absentéisme évalué chez les employés non cadres a été estimé à 143 dollars par jour ou plus de 57 milliards de dollars par an. En France, une étude réalisée chez 369 personnes en activité souffrant d’insomnie, représentatifs de la population active d’Ile-de- France et comparés à des professionnels bons dormeurs a montré que les insomniaques présentaient deux fois plus d’absentéisme que les bons dormeurs. Le surcoût indirect lié à l’absentéisme des insomniaques a été estimé à 77 euros par employé, par an pour l’Assurance maladie, 233 euros par employé par an pour l’employeur pour le remplacement du salarié et la perte de productivité et 100 euros par an pour l’employé insomniaque. « Finalement, conclut le rapport, 88 % du coût indirect de l’insomnie est donc à la charge de l’employeur en France ». ■
1. Les benzodiazépines (BZD) sont des molécules qui agissent sur le système nerveux central et qui possèdent des propriétés anxiolytiques, hypnotiques et anticonvulsivantes.
2. Sans être une donnée absolue, il est admis qu’un adolescent de 11-12 ans ne doit pas dormir moins de 11h par nuit, ce seuil étant de 10h à 13-14 ans et de 9h à 15 ans.
Les Français dorment en moyenne 7 heures et 47 minutes par jour
• Le temps passé à dormir a baissé de 18 minutes en 25 ans.
• 62 % des Français <déclarent souffrir d’un manque de sommeil
• Pour 53 % des Français, le travail est la principale cause déclarée de manque de sommeil
• Près de la moitié des Français déclaraient être dérangés pendant leur sommeil
• 131 millions de boîtes de somnifères ont été vendues en France en 2012
• Plus de 6 millions de Français travaillent la nuit ou en horaires décalés, soit 20 % des travailleurs salariés
• Près de 12 % des accidents en France sont attribuables à une perte de vigilance (2013).
• Sur autoroute, 33 % des accidents mortels seraient liés à la somnolence (première cause de mortalité, devant l’alcool et la vitesse)
• Le temps consacré à Internet et à la pratique des jeux vidéo a augmenté de 106 % entre 1999 et 2010 chez les 15 ans et plus.
• La lumière extérieure gêne 42 % des Français pour s’endormir
• 4 Français sur 10 dorment avec leur téléphone portable en marche et 46 % d’entre eux lisent leurs messages la nuit
• Le surcoût indirect lié à l’absentéisme des insomniaques a été estimé à 77 euros par employé, par an pour l’Assurance maladie, 233 euros par employé par an pour l’employeur