“Les ingérences étrangères en France : une menace protéiforme, omniprésente et qui s’inscrit dans la durée” synthétisent les 8 parlementaires de la DPR dans ce rapport en partie classifiée. Et pour cause. Les élus à parité de l’Assemblée nationale et du Sénat décrivent dans ce chapitre III consacré aux ingérences étrangères les principaux pays impliqués, les modes d’actions et les moyens de contrecarrer ces actions hostiles. Et si l’ingérence a toujours existée, elle connaît aujourd’hui de nouvelles formes. Au-delà de l’espionnage que l’on pourrait qualifier de « classique » (manœuvres d’approche des élites politiques et administratives, espionnage économique, …), l’ingérence s’est très vite adaptée à l’air du temps en investissant notamment le cyber tout comme le domaine spatial (ex. : espionnage en 2017 d’un satellite franco-italien de communications militaires sécurisées par un satellite russe) mais aussi en menant de vastes opérations de désinformation et de manipulation de l’information (réseaux et médias sociaux) en vue de déstabiliser des processus démocratiques.
Dans le viseur, plusieurs pays avec en tête la Russie et la Chine. Mais pas seulement. Le rapport évoque la « signature russe » caractéristique qui s’inscrit dans la plus pure tradition soviétique avec l’infiltration d’agents du FSB (Service fédéral de sécurité, ex KGB), le SVR (Service de renseignement extérieur) et le GRU (Service de renseignement militaire) sous couverture diplomatique* ; et l’espionnage. La stratégie du pouvoir russe vise aussi à attirer dans sa sphère d’influence d’anciens dirigeants européens à travers leur participation aux conseils d’administration de grands groupes russes. Et le rapport de citer l’ancien Premier ministre François Fillon, l’ancien Chancelier allemand Gerhard Schröder, l’ancien Premier ministre finlandais Esko Aho ou encore l’ancien Chancelier autrichien Christian Kern et des anciens ministres autrichiens comme faisant partie des ex-dirigeants partis rejoindre de grands groupes russes. On trouve encore dans la « signature russe » les opérations de propagande et de manipulation de l’information, couplées à des ingérences fréquentes dans les processus électoraux comme le décrit un rapport du procureur américain Robert Mueller sur l’ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine de 2016.
La Russie mais aussi la Chine qui pour mener ses opérations d’ingérence n’hésite pas à recourir à la diaspora, aux médias, à la captation de données économiques et scientifiques et à la prédation économique. En guise d’information ou de rappel, le rapport cite un article de la loi chinoise du 28 juin 2017 sur le renseignement national qui fait de tout ressortissant chinois un potentiel espion. Tout est écrit ! A noter encore que lorsqu’il évoque l’ingérence de Pékin, le rapport ne cite à aucun moment (sauf qui sait dans sa partie caviardée) Jean-Pierre Raffarin bien connu pour son tropisme chinois. Au-delà de la Russie et de la Chine, la délégation pointe également du doigt la Turquie qui fait de l’ingérence à travers le levier de la pratique religieuse et en favorisant l’entrisme politique « via la participation aux élections locales et nationales par le biais de listes communautaires et / ou de consignes de votes diffusées sur les réseaux sociaux » ; mais aussi l’Iran et d’autres États du Maghreb et du Golfe.
Enfin, n’oublions pas, insiste la DPR, que « nos alliés n’agissent pas toujours comme des amis ». Auditionné dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur les ingérences étrangères présidée par le RN, François Fillon avait ainsi déclaré que le plus grand nombre d’ingérences auxquelles il avait personnellement été confronté émanaient « d’un pays ami et allié qui s’appelle les États-Unis » et qu’au cours de son passage à Matignon (2007-2012), il avait été « écouté avec le président Sarkozy pendant cinq ans par la NSA (National Security Agency) ». Souvenons-nous aussi de l’Affaire Pégasus du nom d’un logiciel espion israélien qui a révélé le plus que probable espionnage par le Maroc de plusieurs dirigeants politiques dont Emmanuel Macron.
Face à cette menace protéiforme, la délégation invite la France à « muscler le jeu » et à lutter contre la première de nos vulnérabilités : la naïveté « qui provient de la méconnaissance des dangers » précise le président sortant de la délégation, Sacha Houlié. Personne n’est à l’abri : décideurs publics (élus et hauts fonctionnaires), entreprises et milieux académiques, tout le monde est une cible. En 2021, sous l’égide du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) et de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), un plan global de sensibilisation des acteurs publics et privés aux ingérences étrangères a été mis en place. Il a conduit, entre juillet 2021 et juillet 2022, à près de 10 000 actions de sensibilisation qui ont concerné environ 55 000 personnes. La DGSI a aussi procédé à la sensibilisation, en 2022, de l’ensemble des cabinets ministériels. A la demande de la DPR, les présidents des deux chambres ont également demandé à la DGSI de sensibiliser les élus et leurs collaborateurs. Des infrastructures de communication sécurisées – messagerie ISIS, lignes téléphoniques sécurisées – ont également été installées, ou sont en voie de l’être, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Pour les entreprises, les choses avancent aussi. En 2022, la DGSI et la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) ont effectué plus de 700 conférences au profit de dirigeants et de salariés. Dans le monde académique, la DGSI, en coordination avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, a élaboré à l’été 2021 un plan d’action dédié au renforcement et au suivi des structures et organismes de recherche les plus stratégiques.
Dans ce rapport, la délégation fait encore plusieurs propositions qui pourraient être regroupées « dans un projet de loi dédié à la lutte contre les ingérences étrangères afin de provoquer un débat public global sur ce sujet » juge Sacha Houlié. La DPR plaide ainsi fermement pour l’instauration d’un dispositif législatif ad hoc de prévention des ingérences étrangères, sur le modèle de la loi américaine (FARA). « Il s’agirait de rendre obligatoire l’enregistrement des acteurs influant sur la vie publique française pour le compte d’une puissance étrangère et de les soumettre à une série d’obligations déontologiques » décrit le rapport. « Cela permettrait de justifier des reconduites en cas de manquement à la règle » souligne Sacha Houlié. La France pourrait aussi recourir à la procédure des gels d’avoirs « à toute personne ou structure se livrant à des actions préjudiciables au maintien de la cohésion nationale ou destinée à favoriser les intérêts d’une puissance étrangère ». Le rapport suggère enfin que soit expérimentée pour une durée de 3 ans l’utilisation de la technique de l’algorithme, aujourd’hui réservée exclusivement à la prévention du terrorisme. « En matière de contre-espionnage et de contre-ingérence, la technique de l’algorithme serait de nature à renforcer les capacités de détection précoce de toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère des services de renseignement » précise la DPR. ■
* Le déclenchement de la guerre en Ukraine a conduit à l’expulsion de France de 41 espions russes sous couverture diplomatique.
Depuis les attentats de 2015, les crédits en fonds normaux consacrés au renseignement ont crû sans discontinuer pour atteindre 3,03 milliards d’euros en 2022 (935,9 millions rien que pour la DGSE).
La priorité donnée au renseignement se traduit dans l’expression budgétaire de la loi de programmation militaire 2024-2030 qui prévoit de consacrer 5 milliards d’euros supplémentaires aux services de renseignement du ministère des Armées, ce qui signifie un doublement des budgets de la DGSE, de la DRM et de la DRSD d’ici à 2030.
En matière de ressources humaines, le total des personnels tous services confondus s’est établi à 19 572 postes en 2022.
Pour une plus grande confidentialité des conversations
Depuis le 8 décembre, les membres du gouvernement ont l’obligation de désinstaller WhatsApp, Signal et Telegram de leurs appareils.
Afin de « renforcer la sécurité des échanges qui peuvent contenir des informations confidentielles », les membres du gouvernement ont été fermement invités à désinstaller de leurs appareils, téléphones et ordinateurs, les messageries WhatsApp, Telegram ou encore Signal. Dans une circulaire émanant des services de Matignon, il est demandé aux ministres, secrétaires d’État, directeurs de cabinet et membres des cabinets de remplacer ces applications par Olvid, une messagerie 100 % française développée par l’entreprise du même nom qui a été créée en 2019 par deux experts en cybersécurité.
« Les principales applications de messagerie instantanée grand public occupent une place grandissante dans nos communications du quotidien. Toutefois, ces outils numériques ne sont pas dénués de failles de sécurité et ne permettent ainsi pas d’assurer la sécurité des conversations et des informations partagées par leur intermédiaire » souligne la circulaire. Après une « vraie prise de conscience en matière de cybersécurité », Matignon espère bien « contrer les menaces qui découlent de l’utilisation de ces applications », en « garantissant la protection des données de ses utilisateurs grâce à un annuaire décentralisé et un chiffrement des messages de bout en bout ». En faisant le choix d’un fournisseur français, c’est aussi pour Matignon « une avancée vers une plus grande souveraineté technologique française ». « Elle est française, certifiée par l’ANSSI, chiffrée, ne collecte aucune donnée personnelle. Nous l’utilisons avec mon équipe depuis juillet 2022 » se félicitait le ministre délégué chargé du Numérique d'alors, Jean-Noël Barrot. Les cabinets ministériels pourront également installer s’ils le souhaitent la messagerie Tchap, qu’utilise déjà de nombreux fonctionnaires.