Lorsque nous l’avions rencontré en septembre 2015 pour faire son portrait, Philippe Folliot (UDI, Tarn) venait tout juste d’être nommé parlementaire en mission. Dans son bureau, l’élu très enthousiaste avait alors déplié une carte marine et avait entrepris de nous raconter – déjà – ce qu’il avait en tête pour l’île de Clipperton, « seule possession française du Pacifique nord et seule terre au monde habitable inhabitée ». Spécialiste à l’Assemblée nationale des Territoires d’Outre-mer que sont les Terres Australes et Antarctique (TAAF), les îles Eparses et Clipperton, Philippe Folliot s’est rendu à deux reprises sur l’atoll de Clipperton, visites qui ont fait de lui le premier et seul homme politique français a y être allé (une plaque commémorative a d’ailleurs été scellée à cette occasion). Mais pour l’élu de la nation, cela est tout sauf anecdotique. Le « député des confettis de l’empire » comme le surnomment affectueusement ses amis parlementaires entend défendre « une certaine vision de la France et l’héritage que nous avons ». Alors que la France « se croit continentale et européenne » elle « est en fait mondiale et maritime ». Il n’est donc plus question de renoncer à notre souveraineté où que ce soit et même dans les zones les plus éloignées de la métropole. Clipperton, une question d’honneur et un enjeu économique, avec sa Zone économique exclusive (ZEE) de 436 000 km2 !
Un potentiel remarquable
Dans son rapport (1), le député formule 21 propositions. « Une feuille de route » saluée par la Ministre de l’Outre-mer qui a indiqué que « certaines de ces recommandations pourraient être rapidement mises en œuvre ».
Situé à 12 000 km de la métropole, 6 000 km de Tahiti et 1300 km du Mexique, l’atoll de Clipperton (7 km2 dont 1,7 km2 de terres émergées) « abrite un potentiel remarquable aujourd’hui inexploité et même pillées pour ses ressources, notamment halieutiques, car insuffisamment protégées ou valorisées ». « L’état actuel de quasi-abandon entretient une situation de désolation. La présence de déchets, combinée à l’eutrophisation du lagon donnent la piètre image d’une île poubelle, que l’absence de valorisation, de gestion et protection accentue » dénonce Philippe Folliot. Au fil des auditions et des rencontres, le député est persuadé qu’une présence permanente sur l’île, plus particulièrement autour d’une station scientifique à caractère international, est celle qui transcende les clivages, les qualités et domaines d’expertise. « Il s’agit très certainement de la meilleure manière de permettre à la fois la réaffirmation de la souveraineté nationale, la valorisation de ce territoire de la République ainsi que la protection de ses espaces et de ses richesses environnementales et halieutiques » (2). Mais au-delà de l’objectif ambitieux d’installation d’une base scientifique sur l’atoll - idée qui nécessite « beaucoup de travail » et qui a donc très peu de chance d’être effective d’ici la fin du quinquennat a admis la ministre -, Philippe Folliot suggère d’abord que l’on rebaptise l’île. « Clipperton, c’était le nom d’un flibustier anglais. Il faut redonner son nom originel à l’atoll : l’île de la Passion. Ce nom a été donné car l’île a été découverte un Vendredi Saint. En changeant de nom, on donnera un nouveau départ à cette île française » argue-t-il. A nouveau nom, nouveau statut également. Philippe Folliot propose « de créer une collectivité ad hoc de La Passion, dont le canevas s’inspirerait de ce qui existe et fonctionne pour les TAAF ». Elle pourrait également être rattachée à la Polynésie française. Dans le rapport, la proposition de loi et son décret d’application sont même déjà rédigés et présentés.
Un atoll poubelle
Loi de l’image paradisiaque qu’il pouvait attendre, en débarquant sur l’atoll, le député a été profondément marqué par « l’omniprésence des déchets » (plastique, verre, filets, bouées, etc.), qui certes arrivent aussi sur tous les littoraux du monde, « à la différence qu’ici personne ne les ramasse ». Un état qui donne surtout « une mauvaise image d’abandon et de saleté » et qui fournit par la même occasion « des arguments – y compris médiatiques – à ceux qui dénoncent le désintérêt de la France pour ce territoire » s’inquiète le rapporteur. Il préconise de profiter des passages programmés des bâtiments de la marine nationale en 2016 « pour lancer de manière concrète et significative cette action dont l’effort devra se prolonger dans le temps ». Témoignage d’une autre époque, les Américains ont aussi abandonné en 1944 un stock de munitions qu’il convient de déminer au plus vite. « Autre phénomène inquiétant, ajoute le député, il a été retrouvé au cours des diverses missions scientifiques autorisées sur l’île plusieurs kilos de cocaïne dans des ballots ». L’île de La Passion pourrait très vite devenir une base arrière pour les trafiquants si rien n’est fait. La présence des rats, risque pour l’écosystème est une autre menace qu’il convient de prendre au sérieux nécessitant une dératisation de l’atoll.
Mettre fin aux licences de pêches gratuites
Autre point important et épineux sur lequel le rapporteur s’est penché, celui de la pêche et de l’accord franco-mexicain du 29 mars 2007 qui accorde des licences gratuites aux navires de pêche mexicains qui en font la demande, en contrepartie d’un programme de recherches en matière de sciences de la mer et de la pêche. Pour le député cela n’est plus tenable. D’abord parce que la contrepartie n’a jamais été respectée et surtout parce que les bateaux mexicains pillent consciencieusement la réserve. « Les Mexicains déclarent 1500 tonnes de poissons pêchés par an, en réalité c’est dix fois plus » s’étrangle Philippe Folliot qui exige la fin de la gratuité des licences et la renégociation du traité. Cette proposition « forte » du rapport qui pourrait rapporter entre 1 à 5 Me par an aiderait au financement du fonctionnement de la station scientifique à caractère international.
« A l’heure où le Pacifique nord se dessine comme un des enjeux géostratégiques majeurs du XXIème siècle, ne pas protéger et valoriser son unique possession et territoire dans cette zone serait pour la France plus qu’une erreur, une faute sur laquelle les générations futures ne manqueront pas de s’interroger » conclut le parlementaire revenu de mission. ■
1. « Assurer la gestion durable et la protection de l’unique territoire français du Pacifique nord – Valoriser l’île de la Passion (Clipperton) par l’implantation d’une station scientifique à caractères international ».
2. Son coût est estimé entre 15 et 20 Me pour 8 à 12 personnes. Le coût de fonctionnement se chiffrerait à moins de 2 millions par an.
L’île de La Passion a été découverte le 3 avril 1711 par Michel Dubocage et Mathieu Martin de Chassiron. La prise de possession officielle – c’est-à-dire publique, conformément aux usages de l’époque – n’intervient que le 17 novembre 1858. L’île de la Passion a fait l’objet de plusieurs revendications mexicaines. Un tribunal international a fini par rendre son verdict le 28 janvier 1931 en reconnaissant la souveraineté française sur l’île de La Passion, déjà appelée Clipperton à cette époque.