“Le Brexit a été un très grand choc et l’on ne sait rien des termes essentiels de négociation de sortie de l’Union européenne ni des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni” résume le Directeur général du Medef, Michel Guilbaud. Une opinion largement partagée par les invités à la table-ronde qui s’interrogent sur les effets à plus ou moins longs termes sur leurs activités. Des conséquences difficiles à prévoir et qui peuvent être différentes selon les scénarios de sortie de l’Union européenne du Royaume-Uni. Reste que le vote britannique a déjà des effets immédiats sur nos entreprises. La baisse de la Livre, dans la foulée du oui au référendum, a affecté plusieurs secteurs en France. On pense notamment au tourisme avec une baisse de fréquentation de la clientèle britannique ou aux secteurs de l’acier, des tuiles et briques, du textile, de l’automobile. Des décisions d’investissement ont également dû être suspendues ou renégociées. « Une étude récente indique que 65 milliards d’euros ont été annulés ou reportés » même si, s’empresse d’ajouter Michel Guilbaud, ces informations restent « assez imprécises ».
Alors que la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu, comme anesthésiées, nos entreprises redoutent maintenant le jour d’après. Et ce ne sont pas leurs homologues britanniques qui vont les rassurer. « Winter is coming » disent-ils. Quant aux entreprises françaises en Grande-Bretagne (énergie, transports publics, équipement automobile, services financiers, travaux publics, déchets, …), toutes « craignent l’effet récessif de l’économie britannique ». Et ce, même si le Gouvernement britannique table pour 2017 sur une croissance à 1,4 %, soit un peu mieux qu’après le référendum mais un peu moins que les 2,2 % d’avant Brexit. Cependant, pour le Medef, « ce signe manifeste de ralentissement aura un effet direct sur l’économie britannique et un effet induit sur l’Europe ».
A moyen-terme, au plan commercial des incertitudes existent sur le régime d’échanges avec l’Union européenne et l’instauration de droits de douane qui pèseront forcément sur plusieurs secteurs exportateurs (textile, chimie, plasturgie, acier, …). Quid encore des secteurs qui comme l’automobile et l’aéronautique ont intégré une part de production au Royaume-Uni. N’oublions pas non plus la question de la libre-circulation des personnes (des compétences).
Incertitude et inquiétudes
Enfin, et contrairement à une idée reçue, le Royaume-Uni « est souvent un allié pour nos entreprises vis-à-vis du reste du monde » rappelle Michel Guilbaud. « Les Britanniques qui ont la réputation d’être très libre-échangistes, sont en fait des défenseurs des intérêts européens. Aussi craignons-nous la perte de ces partenaires majeurs dans les négociations, l’économie européenne pesant lourd dans un certain nombre de dossiers ».
Cette incertitude qui règne n’est pas non plus du goût de Philippe Coq, secrétaire général des Affaires publiques d’Airbus Group, invité à prendre la parole. « Nous ne savons pas ce que sera le Brexit ». Une incertitude qui rime avec inquiétude pour Airbus Group qui emploie 15 000 personnes au Royaume-Uni, qui y fabrique toutes les ailes de ses avions et dont l’activité de R&D pour les avions y est implantée comme nombre de ses sous-traitants (Rolls-Royce, le motoriste des A680 et A350 par exemple). Le Royaume-Uni ce sont pour Airbus des clients majeurs : British airways, Virgin Atlantic, Easyjet. Il faudra être vigilant, notamment sur la libre circulation des biens et des personnes promet Philippe Coq. « Nos matériels et les pièces de nos avions circulent entre les différents pays. Toute rigidité, toute édification de barrières douanières freinant ou renchérissant la circulation de nos matériels auraient des impacts négatifs sur l’activité » détaille-t-il aux députés. De même, « la fluidité de la circulation de nos personnels qui est une composante de la nécessaire flexibilité est importante ».
La question de la libre circulation des biens et des personnes
Même son de cloche de la part d’EDF qui a de quoi s’inquiéter compte tenu du projet Hinkley Point (EPR) en cours mais aussi, plus globalement, en raison « de la place toute particulière et importante du Royaume-Uni en matière de politique énergétique » note Pierre Todorov, secrétaire général du groupe EDF qui souligne l’identité de vue sur la décarbonisation compétitive (avec la production d’électricité d’origine nucléaire et la production d’origine renouvelable) entre EDF et le Royaume-Uni. Il pointe aussi la question des interconnexions entre la Grande-Bretagne et le continent européen qui « jouent un rôle très important dans la sécurité énergétique ». « Il importe conclut-il, même dans un nouveau cadre institutionnel de pouvoir maintenir une forme d’arrimage du Royaume-Uni au reste des pays européens sur la question énergétique et d’investissement ».
La peur d’une déferlante de produits anglais à bas prix
Autre secteur, autres inquiétudes. Pour la pêche française, le Brexit a été ressenti comme « un véritable séisme » maugrée Hubert Carré, directeur général du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins qui rappelle combien les pêcheurs britanniques, depuis l’adhésion de leur pays à l’Union européenne et la mise en place de la politique commune de la pêche en 1983 estiment que les pécheurs européens leur volent leurs poissons. Pour la perche française, le Brexit est à la fois un enjeu territorial et un enjeu économique. « Pour les marins anglais, la logique du Brexit voudrait que les pêcheurs français mais aussi hollandais, belges, allemands, espagnols sortent de leur zone économique et qu’eux seuls puissent y pêcher ». Autre sujet, avec la politique commune de la pêche, tous les Etats membres ont décidé de mettre en commun leurs eaux et leurs ressources halieutiques. Un partage a ensuite été établi. La France parce qu’elle possédait plus de 10 000 navires « a obtenu une grosse part du gâteau qu’elle a conservée » raconte Hubert Carré qui redoute une possible renégociation des totaux admissibles de captures (TAC) et des quotas de pêche. « La part de la France est toujours calculée sur 10 000 navires. Or, aujourd’hui le nombre de navires en métropole est de 4500. Autant vous dire que les Anglais ne vont pas accepter qu’on recalcule les droits sur 10 000 navires que la France n’a plus ». Mais ce qui le préoccupe aussi, c’est « le risque de déferlante de produits britanniques à bas prix ». « Les Britanniques pêchent mais ne consomment pas » explique le marin qui cherche à éviter l’arrivée sur le marché de Rungis de poisson anglais moins cher que le poisson français débarqué sur les criées de Boulogne-sur-Mer, Lorient ou Le Guilvinec
Reprendre l’initiative et fixer une date butoir
Tout repose donc sur les négociations à venir… mais qui tardent. « Ce que les Britanniques voudraient, c’est avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre. Ils utilisent cette période transitoire pour diviser la partie adverse, déjà traversée de multiples contradictions. Eux se préparent, nous nous discutons, s’emporte Pierre Lellouche, nous devons donc agir ». Le député LR propose, au niveau national, de se mettre en ordre de marche pour attirer de nouveaux investissements, notamment américains et au niveau européen, de « reprendre l’initiative et de fixer aux Britanniques une date butoir » pour démarrer les négociations. Pas là de quoi rassurer Hubert Carré qui n’a pas « le sentiment de voir l’administration française se mobiliser pour anticiper ce que seront des négociations qui vont être difficiles. Il ne faut pourtant pas que messieurs les Anglais tirent les premiers ». ■