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Argent public : Les gaspillages dénoncés par la Cour des comptes

27 chapitres, 101 recommandations, 1 300 pages : la Cour des comptes a rendu public, le 8 février 2017, son 185ème rapport public annuel. Et comme chaque année, les magistrats pointent du doigt un trop grand nombre de gabegies publiques… Exemples de gaspillages.

Le « gâchis » de l’abandon de l’écotaxe

L’abandon de l’écotaxe traduit pour la Cour des comptes « l’échec des ambitions initiales et un gâchis patrimonial, social et industriel ». Un réquisitoire sévère mais largement étayé par les Magistrats qui n’hésitent pas à parler d’un « échec stratégique, un abandon coûteux ».

Présentée comme l’un des grands projets issus du « Grenelle de l’environnement » en 2008, l’écotaxe poids lourds avait même été votée à la quasi-unanimité par le Parlement en 2009. Elle avait pour objectif de couvrir les coûts d’usage du réseau routier national, hors autoroutes concédées à péage, et d’une partie du réseau routier local. Elle devait être acquittée par les poids lourds, notamment étrangers en transit, sous la forme d’une taxe au kilomètre sur un réseau d’environ 15 000 km. Sa mise en oeuvre avait été confiée en octobre 2011 au consortium Écomouv’par un contrat de partenariat public-privé. Le début de la collecte de la taxe, initialement prévu en juillet 2013, avait été reporté au 1er janvier 2014. Elle devait rapporter près de 890 M€ par an de recettes nettes aux administrations publiques, dont 684 M€ en faveur du financement des infrastructures nationales de transport. Face à la grogne des « bonnets rouges », le Premier ministre annonçait le 29 octobre 2013, sa « suspension » dans la perspective de son aménagement. Rien n’y a fait et sa suspension sine die a été faite le 9 octobre 2014 par Ségolène Royal. Le 30 octobre, le gouvernement annonçait la résiliation du contrat de partenariat passé avec Écomouv’.

Pour la Cour, alors que l’écotaxe constituait « un instrument ambitieux de la politique des transports et de son financement », elle déplore que la résiliation du contrat de partenariat n’ait « pas été conduite en protégeant suffisamment les intérêts de l’État ». La Cour dénonce l’impréparation du Gouvernement face à des « contestations hétérogènes », « mal anticipées » qui ont fait de l’écotaxe poids lourds « un bouc-émissaire ». Aussi, l’annonce de sa suspension le 29 octobre 2013 a été prise « dans la précipitation pour tenter de répondre à une situation d’urgence » soulignent les magistrats. Ils poursuivent : Cette « décision sans base contractuelle a fragilisé la position de l’État, limitant notamment toute possibilité de rechercher, par la suite, une éventuelle faute d’Écomouv’dans le retard ou les défauts du dispositif. Elle a également placé l’État en position de faiblesse lors des négociations du protocole d’accord avec le partenaire privé au printemps 2014 ». La période « d’atermoiements » qui a suivi a fini par être « préjudiciable » à l’Etat. L’« abandon » est jugé comme « très couteux » pour les finances publiques. Il représente une perte de recettes potentielles nettes au profit des administrations publiques de 9 833,09 M€ sur la période d’exécution du contrat, sans compter les indemnisations versées par l’Etat à Ecomouv’et les dépenses engagées par les administrations des ministères. Sur la durée d’exécution du contrat de partenariat (2014-2024), « l’écotaxe poids lourds aurait dû rapporter 9,83 Md€ nets aux administrations publiques, dont 8,07 Md€ à l’État (7,56 Md€ de recettes nettes au profit de l’AFITF et 0,51 Md€ de TVA au budget général) et 1,77 Md€ aux collectivités départementales » s’étranglent les juges qui pointent également dans le rapport « des modalités discutables de règlement des indemnités de sortie du contrat » et « une indemnisation de la suspension de 2014 peu favorable aux intérêts financiers de l’État (180,79 M€) ». Conclusion de la Cour : « Coûteux pour les finances publiques et dommageable pour la cohérence de la politique des transports et son financement, l’abandon de l’écotaxe poids lourds constitue un gâchis ».

Ordre des chirurgiens-dentistes : Grincement de dents

« La gouvernance de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes se caractérise par un défaut de représentativité et de renouvellement des instances dirigeantes ainsi que par l’absence de contrôle sur son mode de fonctionnement » indique le rapport qui pointe « dérives et abus » (longévité des dirigeants nationaux à leur poste, cumul des mandats, indemnités, sous-représentativité des femmes, sur-représentativité des inactifs, …). L’ordre (1 200 élus titulaires et autant de suppléants) est accusé d’avoir « délaissé une partie de ses missions d’organisation et de contrôle de la profession dentaire ». « Sous couvert de défendre l’honneur de la profession, l’Ordre se pose en protecteur d’intérêts catégoriels et mène un combat défensif contre certaines évolutions de l’exercice de la profession, qui outrepasse largement ses missions de service public » (lutte contre les centres mutualistes, les associations considérées comme une concurrence déloyale) détaille le rapport.Par ailleurs, « l’aisance financière que lui procure une augmentation continue des cotisations a favorisé de graves désordres dans les comptes et la gestion ». La Cour cite notamment le montant des indemnités versées en 2015 aux membres du conseil national (plus de 600 000 €, dont plus de 400 000 € pour les huit membres du bureau), les appartements de fonction mis gracieusement à la disposition des huit membres du bureau (attribution opaque, charges payées par l’Ordre) Coup de projecteur aussi sur la pratique des cadeaux achetés sur les fonds de l’Ordre, et donc au moyen des cotisations, en faveur des conseillers, des membres de leur famille ou parfois des salariés, « extrêmement répandue » (grands vins, bijoux et accessoires de haute couture, montre sertie de diamants, ordinateurs, stylos de grande marque, soins de thalassothérapie et autres chèques cadeaux…). Des accusations repoussées par l’Ordre mais maintenues par la Cour.

Coup de tabac pour les buralistes

Depuis 2004, considérant que sa politique de lutte contre le tabagisme aurait un impact sur la vente du tabac dont le prix a été fortement augmenté, l’État a mis en place de nouvelles aides destinées à soutenir le revenu des buralistes, à favoriser la diversification de leur commerce ou accompagner leur retrait de cette activité. Des aides (« contrat d’avenir ») aujourd’hui (comme hier) dénoncées par la Cour qui n’hésite pas à parler de « dispositifs toujours nombreux, peu ciblés et insuffisamment contrôlés », alors que les revenus des débitants « continuent d’augmenter et que le nombre d’établissements en difficulté apparaît limité ». En 2015, l’ensemble de ces aides au revenu s’élevait à 92,41 millions d’euros. Les magistrats ont également pu noter qu’une grande partie de ces aides est « mal ciblée » et ne bénéficie pas forcément aux débutants les plus en difficultés mais à des bureaux de tabac en bonne santé (chiffre d’affaires supérieur à 300 000 euros). La Cour note encore qu’en dépit de la baisse des ventes de tabac, « les revenus tirés de celles-ci par les débitants ont continué d’augmenter et les débits en difficulté, essentiellement situés aux frontières avec la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne, sont peu nombreux ». De plus, la diversification de l’activité des débitants permet d’améliorer encore leur situation. Dernière remarque qui concerne le « protocole d’accord sur la modernisation du réseau des buralistes 2017-2021 : le buraliste de demain », signé le 15 novembre 2016. « Censé accroître le ciblage des aides, il va, par l’augmentation du taux de la remise nette, expliquent les magistrats, soutenir de manière indifférenciée les débitants de tabacs ».

« Ce protocole déplorent-ils ne prend pas en compte la réalité d’un secteur dont la situation économique globale n’est pas affectée et qui doit résolument se tourner vers d’autres activités que le tabac ».

Police - gendarmerie : « des capacités en voie de saturation »

Pour garantir le maintien ou le rétablissement de l’ordre public et assurer la sécurité publique, le Gouvernement peut compter sur deux forces spécialisées, placées sous l’autorité du Ministre de l’Intérieur, la gendarmerie mobile (GM) et les compagnies républicaines de sécurité (CRS). En 2015, les forces mobiles comptaient 25 786 militaires et fonctionnaires civils, soit près de 11 % des effectifs globaux de la gendarmerie et de la police, répartis presque également entre gendarmes mobiles et CRS. Mais depuis 2010, ces 168 unités de forces mobiles sont sur la brèche, « alors que leurs effectifs ont diminué de 7,5 % ». Une réduction imposée par la RGPP mais sans tenir compte d’une nécessaire réorganisation de leurs missions. « La polyvalence, la mobilité et la souplesse du régime de travail des forces mobiles ont incité l’État à continuer à les affecter sur des missions toujours plus nombreuses et diverses, en particulier dans le domaine de la sécurité » constatent les magistrats.

Euro 2016, Cop 21, manifestations sportives, grands événements, tensions sociales, terrorisme, Vigipirate, état d’urgence, « l’élargissement des missions des forces mobiles depuis 2010, cumulé à un usage intensif de la force publique dans un contexte sécuritaire dégradé et un climat social tendu, a conduit à la quasi-saturation de leurs capacités opérationnelles » ajoute la Cour. En 2015, le niveau d’engagement des forces mobiles est devenu tel qu’il saturait quasiment leurs capacités opérationnelles lit-on dans le rapport, seuls 2 % des unités de forces mobiles étaient disponibles chaque jour pour intervenir dans les délais les plus brefs, contre 5 % en 2010. A ces difficultés pour répondre à un nombre de missions toujours plus élargies dans un contexte de « hauts risques » - ne pourrait-on pas employer les forces mobiles à autre chose qu’à des gardes statiques ou la surveillance des plages ? (1) - s’ajoute un problème d’organisation et de répartition des forces sur le territoire qui se caractérise « par un fort déséquilibre entre implantation et emploi des forces ». « Logiquement, expliquent les juges, l’implantation des casernements devrait également tenir compte des lieux d’emploi des forces. Or, il existe un décalage important entre les zones d’emploi et les zones d’implantation ». Et ceci n’est pas sans conséquences, déjà pour les finances publiques (coûts de déplacement et d’hébergement), mais en termes de conséquences sociales (durée d’éloignement de la résidence familiale, fatigue) et environnementales (empreinte carbone augmentée par l’allongement des déplacements). 


(1) Pour les seuls CRS, les gardes statiques ont consommé en moyenne 5 unités par jour depuis 2010, auxquelles se sont ajoutées, en 2015, 6 unités supplémentaires pour celles liées à Vigipirate. La surveillance des plages mobilise chaque été plus de 450 maîtres-nageurs sauveteurs des CRS, soit l’équivalent de 3,5 compagnies, indisponibles pour leur unité d’origine trois mois et demi par an.

 

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