Le long processus de vérification des représentativités patronales s'est terminé fin avril. Désormais face à des confédérations syndicales dont l'audience a été mesurée par voie d'élection, celle des organisations patronales l'a été par un décompte déclaratif des adhésions des entreprises à une fédération et des salariés travaillant dans ces entreprises cotisant à une fédération. Une organisation doit rassembler 8 % du total des adhérents ou 8 % des salariés de ces entreprises pour être déclaré représentative dans une branche ou nationalement.
Trois enseignements peuvent être tirés de ces opérations compliquées et parfois opaques.
D'abord les chiffres éclairent une certaine vérité qui rompt avec les proclamations de nombreuses confédérations et fédérations. Ces chiffres ne sont pas robustes statistiquement, ils sont entachés de multiples approximations et posent de nombreuses interrogations. Mais cette opération n'était pas une équipée scientifique destinée à répondre sociologiquement à la question : comment les organisations représentent-elles les entreprises et leurs chefs ? Il s'agissait seulement de légitimer la représentation patronale-partenaire social, sans bouleverser les équilibres nécessaires.
Où sont passés les adhérents ?
Les confédérations patronales ont désormais perdu de leurs couleurs. Et la presse a porté peu d'attention à la différence entre chiffres proclamés depuis plusieurs décennies et chiffres avalisés par le ministère. Le Medef affichait entre 750 000 et 800 000 adhérents il n'est plus crédité que de 123 387. La CPME (ex-CGPME) annonçait 550 000 cotisants, le chiffre final lui en attribue 144 939. Quant à l'U2P (UPA+UNAPL) elle émarge à 150 605 alors que les deux organisations indiquaient 250 000+100 000=350 000. Dans les calculs que j'avais pu faire dans “Les patrons des patrons”. Histoire du Medef, 2013, je n'étais pas loin du compte puisque j'avais évalué le Medef à 250 000, la CGPME à 280 000 et la seule UPA à 220 000 ; mais en comptant plusieurs fois des fédérations affiliées à plusieurs confédérations car la caractéristique des organisations patronales est qu'elles sont enchevêtrées. Il existe plus d'une vingtaine d'adhésions multiples. La FFB adhère ainsi au Medef et à la CPME, comme l'UIMM (métallurgie).
Le même constat d'affaissement des adhérents peut être fait pour deux des fédérations les plus nombreuses en adhérents, l'UMIH, hôtellerie-restauration qui passe de 80 000 déclarés à 30 000 constatés et le CNPA (de 30 000 à 15 000). Les deux autres importantes fédérations (numériquement), rivales du bâtiment, sont plus proches de leurs déclarations antérieures : 57 000 pour la FFB (42144 et 643 847 salariés), 80 000 pour la CAPEB (56551 et 170 585).
L'espace patronal de représentation est par ailleurs fractionné en 6. Les 3 organisations interprofessionnelles, les 2 organisations qui obtiendront une représentativité multi-professionnelles en juin (UDES, économie sociale et solidaire et FNSEA) et les non-confédérés qui ne seront pas comptabilisés ; on les trouve dans des branches diverses : presque toutes celles relatives à la culture (y compris l'audiovisuel), le nautisme, la dératisation, les pompes funèbres ou encore le principal syndicat du caoutchouc.
Toutes organisations confondues, le taux d'adhésion des entreprises françaises à un syndicat patronal doit être compris entre 15 et 20 %, si l'on estime qu'il y a plus de 3 millions d'entreprises en France. On retiendra toutefois qu'en se fondant sur le nombre de salariés, mais travaillant dans les entreprises affiliées, on arrive à un chiffre de représentativité (celui que le Medef a toujours défendu car il a peu d'adhérents dans ses principales fédérations, la banque, l'assurance, l'automobile) bien supérieur. Le Medef est crédité de 8 518 902 salariés, la CPME de 3 010 875 et l'U2P de 507 855. Ce qui permet de calculer à partir d'une clé fixée par le Medef et le pouvoir politique (prise en compte de 70 % pour le nombre de salariés et de 30 % pour le nombre d'entreprises) une représentativité de 58,37 % (Medef), 27,89 % (CPME) et 13,74 % (U2P) (1).
Des chiffres incertains
Ces chiffres posent plusieurs questions.
Ils sont tout d'abord déclaratifs. Le travail des Commissaires aux comptes a été très divers.
Certains ont été très pointilleux, et ont éliminé des dossiers incomplets, d'autres, habitués à travailler avec les syndicats patronaux ont pu valider plus rapidement des adhésions élusives.
Ainsi l'U2P se plaint-elle d'un fort déficit de colligement du côté de certaines composantes de l'UNAPL. Certaines organisations dotées de moyens importants et intéressés à cette opération considérée comme prioritaire dans leur politique ont interrogé leurs adhérents et fait remonter l'information vers le Commissaire aux comptes puis vers la confédération intéressée. D'autres au contraire n'ont guère investi de temps et de personnel dans cette opération. Cela tient à l'intérêt très différentiel des protagonistes à faire vivre une fiction confédérale.
De plus, les agrégats nationaux posent deux problèmes. Lorsque l'on adhère ou lorsqu'on vote pour une centrale syndicale de salariés, on sait que l'on vote pour, ou que l'on adhère à, la CGT ou à la CFTC. Ici un entrepreneur qui verse une cotisation, parfois de manière purement consumériste est obligatoirement enrôlé comme adhérent d'une confédération même si il l'ignore lui-même. Ce qui est fréquemment le cas. Le plus célèbre étant celui de Laurence Parisot lorsqu'elle a été cooptée en 2002 au CE du Medef. Elle ignorait que l'IFOP faisait partie du Medef.
De plus les fédérations étaient tenues, lorsqu'elles adhéraient à plusieurs fédérations, de dire –avec un minimum de 10 % - quel pourcentage d'adhérents elles attribuaient à telle ou telle confédération. Ainsi l'UMIH a-t-elle réparti ses 30 000 adhérents à 10 % pour l'U2P, à 30 % à la CPME et à 60 % pour le Medef. Cela correspond-t-il au prorata des cotisations versées à chacune d'elle comme pour l'UIMM qui a « donné » 15 % de ses adhérents à la CPME, en presque conformité avec la différence de cotisation versée (elle verse 10 fois plus au Medef qu'à la CPME) ou est-ce une répartition « politique » (décidée par qui ?) comme pour la FFB qui a préféré conserver un presque équilibre entre ses deux bénéficiaires (40/60 %).
Enfin, on ne sait pas si il y a eu doubles comptages ou non, pour des entreprises ayant plusieurs métiers, ou lors de comptages dans les adhésions directes en région.
Des chiffres politiques ?
Cette complexité a été traitée administrativement par le rapport Combrexelle d'Octobre 2013 (et par les lois et règlements qui ont encadré l'opération mise en forme juridique de la représentativité) qui a fait allusion à des travaux universitaires en disant « on ne va pas faire de la sociologie, voir ce que sont les adhérents, on va essayer de consolider la stabilité du partenariat patronal dans les branches et au plan national sans bouleverser les équilibres. »
L'opération commencée dans le consensus, a été émaillée de changements d'alliances, notamment de la part de la plus fragile et peu autonome des confédérations, la CGPME-CPME : successivement partisan des élections avec l'UDES, partisan d'une formule une entreprise = une voix avec l'UPA, avant de devoir céder face au rapport au Medef, appuyé par le pouvoir politique. La CPME est une structure partiellement creuse mais une bannière politiquement utile pour faire exister une entité aussi floue qu'évidente : les PME. Le gros des effectifs de la CPME vient de fédérations adhérentes à plusieurs confédérations. Ces PME n'ont pas les moyens - politiques et financiers - de s'émanciper des grandes, et donc du Medef. La force de la CPME réside dans le crédit que lui confère le pouvoir politique et d'une présence réellement militante mais dans quelques métropoles régionales seulement.
Seule l'U2P avait la volonté de bousculer la table au nom d'une légitimité démocratique/démographique renforcée par l'alliance avec l'UNAPL. Ces entreprises qui disent de proximité sont les plus nombreuses, -98 % du total des entreprises - (même si elles sont loin d'être adhérentes à l'U2P). Mais elles n'ont pas le même poids économique (part de la valeur ajoutée), social (nombre de salariés et importance dans les innovations des relations du travail) et politiques. Entre un carreleur et un Carrefour, le pouvoir politique (sans que l'on sache précisément quel rôle incitatif et dissuasif il a pu jouer durant toutes ces opérations statistiques et administratives) n'a pas hésité. ■
* Michel Offerlé a notamment publié Les patrons des patrons. Histoire du Medef, O. Jacob, 2017. Il a dirigé Patrons en France, La Découverte, 2017
(1) Tous les chiffres cités proviennent d'un document du Ministère des Affaires sociales : « Première mesure de l'audience patronale », avril 2017.