Le monde évolue. Le monde maritime évolue. C'est une évidence qui n'a échappé à personne. Et pourtant, « la considération accordée par les pouvoirs publics, jusqu'au sommet de l'Etat sur les questions maritimes ne sont pas excessives, pour rester dans l'euphémisme » ironisait en Commission Paul Giacobbi (RRDP, Haute-Corse) qui ne pouvait que constater que l'intérêt pour la question maritime est « beaucoup plus soutenu à l'étranger ».
Avec environ 11 millions de kilomètres carrés placés sous sa juridiction, la France détient la deuxième superficie maritime du monde, juste après les États - Unis. S'y ajoutent, potentiellement, 1,8 million de kilomètres carrés supplémentaires de fonds marins grâce aux éventuelles extensions du plateau continental, ce qui n'est pas le cas pour les États-Unis qui n'ont pas ratifié la CNUDM. L'essentiel des espaces maritimes français est situé Outre-Mer, à raison de 97 %, et principalement dans le Pacifique (4,8 millions de kilomètres carrés) et dans l'océan Indien (2,67 millions). Aujourd'hui toutes les demandes d'extension du plateau continental n'ont pas encore abouti (voir pages suivantes). Mais, cet espace maritime exceptionnellement étendu et diversifié grâce à l'Outre-Mer est « parfois contesté, voire menacé » soulignent les rapporteurs. « Notre souveraineté est ainsi mise en cause dans l'océan Indien pour les îles Éparses du Canal de Mozambique (Bassas da India, Europa, Glorieuses, Juan de Nova), ainsi que pour Tromelin et Mayotte alerte Paul Giacobbi. Dans le Pacifique, deux îlots, Matthew et Hunter, au large de la Nouvelle-Calédonie, nous sont contestés par le Vanuatu et l'île de Clipperton l'est par le Mexique, alors qu'un arbitrage en 1931 s'était positionné en faveur de la France. »
A ces menaces directes et inquiétantes pour la souveraineté de la France, le rapport s'inquiète aussi de la dégradation manifeste de la sécurité des mers avec un renouveau de la piraterie et un développement croissant d'activités et de trafic illicites.
Evolution de la géopolitique maritime
Autre facteur à prendre en compte dans une réflexion maritime, l'évolution de la géopolitique maritime. Si, reconnaissent les deux élus, la suprématie reste entre les mains de la marine des Etats-Unis, « garante de la liberté des mers », il importe de tenir compte du développement « aussi rapide que spectaculaire » de la marine de guerre chinoise qui n'est plus une flotte côtière, « d'eaux jaunes » mais qui devient une flotte de haute mer, « d'eaux bleues ». Sans oublier la flotte russe « en plein renouveau ». D'ailleurs, poursuivent les élus, ces deux flottes ne sont pas les seules à être en ébullition. En Asie, en Australie mais aussi au Royaume-Uni, « l'heure est à l'acquisition de capacités nouvelles ». Le rapport pointe aussi, la fonte des glaces qui ouvre en Arctique de nouveaux espaces « avec certains désaccords, que ce soit sur le régime des passages du Nord-Ouest et du Nord-Est, sur lequel la Russie et le Canada ont leurs propres visions, différentes de celles des éventuels usagers, et sur le partage des extensions du plateau continental ».
Enfin, c'est aussi la situation en Mer de Chine qui suscite « beaucoup d'inquiétudes ». Avec deux litiges qui opposent la Chine à ses voisins : L'un au Nord, avec le Japon (îles Senkaku), l'autre, en Mer de Chine du Sud (archipels des Spratleys et des Paracels), « la Chine se dresse contre le Viêt-nam, les Philippines, la Malaisie et le Brunei. Ces deux différends sont sources d'incidents, avec un vrai risque d'escalade » notent des rapporteurs soucieux. Car aujourd'hui ce qui compte ce sont moins la pêche et les ressources énergétiques, que les ressources minières des fonds marins. « C'est essentiel pour les ressources du futur ! » s'enflamme Paul Giacobbi. Au regard de ces enjeux, « il est donc impératif que la France affirme une volonté politique, à la hauteur de l'importance de ses espaces maritimes et de ses ressources » insistent donc les deux députés qui, dans la foulée déplorent que « notre pays n'a pas en fait de véritable volonté politique ». Et c'est bien là que le bât blesse le plus. Pour Paul Giacobbi, « ce n'est pas une question de moyens, car nous avons tous les éléments qu'il faut pour mener une grande politique maritime : une expertise scientifique parfaitement au niveau pour ce qui concerne les fonds marins, avec l'Ifremer et le Service hydrographique et océanographique de la Marine, le SHOM, des juristes de grands talents, une coordination administrative excellente, avec le secrétaire général de la mer… Le seul domaine dans lequel nos moyens sont insuffisants est celui des navires patrouilleurs, des navires régaliens notamment dans le Pacifique avec 4,6 millions de kilomètres carrés à couvrir ». « La modestie des résultats de notre pays en matière maritime n'est pas une question de moyens, ni de compétences, ni de capacités [… ] Il nous manque la volonté. Il manque une constance quant à l'impulsion politique » soupire-t-il. D'accord sur le constat qu'il n'y a pas en France de politique maritime digne de ce nom - « le constat du déclin de la puissance française est navrant » -, Pierre Lellouche estime au contraire des rapporteurs que c'est une question de moyens et que nous n'en avons pas « pour défendre notre domaine ».
Inscrire les questions maritimes dans les priorités de l'agenda international de la France
Ce désaccord posé, les rapporteurs poursuivent sur leurs propositions dont la première vise à « porter la culture maritime au plus haut niveau de l'Etat, explique Paul Giacobbi. Il va falloir d'une certaine manière « amariner nos dirigeants ». Pour permettre une meilleure connaissance de notre domaine maritime, de ce qu'il représente, une plus grande culture maritime et mettre fin à la dichotomie entre le politique et l'administratif, sur les questions maritimes, le rapport prone la désignation systématique au sein du cabinet du Premier ministre d'un conseiller pour la mer. Dans ce même esprit, les rapporteurs veulent inscrire les questions maritimes dans les priorités de l'agenda international de la France et les évoquer systématiquement à l'occasion de la semaine des ambassadeurs. Enfin, pour assurer le lien entre le niveau politique et le niveau administratif en matière maritime, « il apparaît aussi opportun de prévoir l'organisation chaque année d'un débat parlementaire d'orientation sur les questions maritimes ». « L'intérêt de ce débat serait double : non seulement il contraindrait le Gouvernement à la continuité du pilotage de la politique maritime au plus haut niveau, mais aussi il permettrait d'évoquer en séance publique des questions essentielles qui sont actuellement évoquées dans le cadre trop restreint de la procédure des questions écrites » détaille Didier Quentin (LR, Charente-Maritime).
La deuxième proposition est celle de mener une véritable stratégie d'influence au sein de l'Union européenne et de l'OTAN, dans les organisations compétentes comme l'organisation maritime internationale (OMI) pour que la France soit plus présente et puisse faire valoir ses idées et défendre ainsi ses intérêts.
Si pour les rapporteurs, il n'y a pas de problème de moyens, ils n'en proposent pas moins de « conserver dans la durée les moyens budgétaires nécessaires » pour nos capacités de surveillance maritime Outre-Mer notamment (navires et moyens satellitaires, drones). Ils demandent également de réévaluer le budget du programme Extraplac, « aux moyens inférieurs à ceux comparativement dégagés par les autres pays ». On parle d'une enveloppe de l'ordre de 25 millions pour la France contre 40 et 100 millions au total pour le Danemark, , 100 à 150 millions pour le Canada, 200 pour la Russie et même 600 à 750 millions pour le Japon, avec pourtant des surfaces bien moindres.
Conserver dans la durée les moyens budgétaires nécessaires
Pour assurer la présence ultramarine de la France, le rapport cherche à éviter l'opposition frontale avec ses voisins, source le plus souvent de tensions, en développant la coopération sur le plan régional. Et de citer l'exemple de l'accord de pêche avec le Mexique pour Clipperton « qui n'exclut pas une réaffirmation en parallèle de la présence française » tiennent à préciser en chœur les deux élus. « Il faut que la France montre qu'elle peut aider les pays voisins de ses Outre-Mer et que la présence française est un atout et non une source de difficultés » poursuivent-ils.
Enfin, les rapporteurs consacrent un long chapitre à leurs réflexions et propositions sur la mise en place « d'une stratégie d'avenir tournée vers l'exploitation et le développement durable des océans et des fonds marins ». Ils entendent ainsi « faire des espaces marins la vitrine politique et technologique de la France dans la nouvelle géo-écologie mondiale ». Pour les rapporteurs en matière d'activités durables, deux exemples sont à suivre : Les énergies renouvelables en mer avec l'éolien en mer, « davantage accepté par les populations qu'à terre » selon eux, et l'hydrolien ; et l'exploitation des algues marines qui présentent un potentiel important pour cinq secteurs majeurs de l'économie : la chimie, les biomatériaux, la santé et la biomédecine, l'agro-alimentaire et la protection de l'environnement, « grâce à la capacité de certaines d'entre elles à piéger les rejets ».
Parce qu'à côté des hydrocarbures et des produits de la mer, les minerais sont la troisième grande ressource des espaces maritimes, il faut, insistent-ils, avancer dans la mise en oeuvre d'une stratégie nationale relative à l'exploration et à l'exploitation minières des grands fonds marins. Ils proposent alors de développer notre effort de recherche dans ce secteur de pointe « en jouant les synergies européennes, en rendant opératoire et visible le volet maritime de la recherche européenne, et en allant éventuellement jusqu'à la création d'un « Airbus » européen de la recherche, de l'exploration et de l'exploitation sous-marine ». ■
Rapport d'information n°3900 sur « la diplomatie et la défense des frontières maritimes de la France – Nos frontières maritimes : pour un projet politique à la hauteur des enjeux » - Paul Giacobbi et Didier Quentin – juin 2016