Les questions de sécurité nationale au-delà du prisme des guerres ou du terrorisme, touchent aussi le cœur d'activité d'un État : son économie et donc ses entreprises.
L'Union européenne sait s'appuyer sur un réseau d'entreprises et d'industries performantes qui ont un savoir-faire. Et ce réseau exporte en faisant de l'UE un modèle en matière de sécurité, de technicité et de fiabilité. Pour en arriver là, l'Europe a besoin d'investissements publics et privés.
Nous devons continuer à promouvoir des investissements étrangers en Europe tout comme nous promouvons nos propres investissements à l'étranger.
Cependant, tout est question d'équilibre et nous pouvons aujourd'hui raisonnablement nous poser des questions portant sur deux axes. Existe-t-il une réciprocité en matière d'investissements d'une part et existent-ils des investissements étrangers dits hostiles d'autre part ? Sans tomber dans un protectionnisme stérile, un travail de réflexion doit être mené à la lumière des évènements.
Un manque de réciprocité évident
Investir à l'étranger, hors du continent européen peut se révéler être un parcours du combattant. Les exemples restent légion malgré les accords commerciaux qui se multiplient pour créer un cadre juridique fiable et favorable.
Investir restera toujours un risque. Pour autant, nos entreprises européennes ne peuvent plus se permettre d'être entravées sur les marchés extérieurs tandis que les entreprises non-européennes bénéficient à la fois de faveurs déloyales de leur pays d'origine ainsi que des facilités en Europe. Les conditions de concurrence sont d'autant moins équitables que les investissements étrangers dans l'Union peuvent être subventionnés par des organes publics !
Cette concurrence déloyale doit cesser grâce aux exigences de réciprocité. Car les États membres ne peuvent imposer des restrictions à la libre circulation des capitaux que « par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique » (article 66 du Traité de Fonctionnement de l'UE). Ces instruments ne peuvent garantir une concurrence équitable et une réciprocité.
L'intérêt réside dans l'équilibre des mesures à prendre pour que les investissements européens soient autant favorisés à l'étranger que les investissements locaux. Trop longtemps nous avons laissé faire sans deviner que nos concurrents ne sont plus issus de pays en voie de développement, mais de pays développés, avec des capacités d'investissement et de recherche parfois supérieures aux nôtres. Sans réciprocité dans les politiques d'investissements, comment peut-on considérer que les échanges soient justes ?
Un savoir-faire doit-il être protégé ?
Les États membre ne partagent pas de vision commune que ce soit dans la définition d'un investissement ou d'un secteur stratégique alors qu'ils sont reliés par le marché unique ou par des chaînes de valeur communes. Ces disparités représentent aujourd'hui une menace pour l'équilibre du continent européen face à des visées hostiles pour l'économie européenne dans son ensemble.
L'Europe ne doit pas être une bergerie dans laquelle un loup peut y entrer facilement. En matière d'investissement, il peut devenir très difficile de retracer l'origine et donc l'intention d'un investisseur qu'il soit lié à des fonds d'investissements plus riches que les États eux-mêmes, à des États, à des institutions politique ou militaire.
Ce changement d'échelle et le contexte géopolitique œuvrent pour beaucoup dans l'impact sur l'opinion publique.
Alors que la majorité des investissements étrangers en France sont européens et principalement allemands, le débat français est animé depuis des années par l'impact des investissements qataris ou saoudiens.
Les investissements du Golfe ont eu pour but de diversifier leurs ressources et d'acquérir une visibilité internationale par des achats emblématiques. Le Qatar ne peut transférer nos technologies pour les produire sur son territoire ne serait-ce que par manque de place et surtout à cause d'un tissu industriel inexistant. Ce sont donc plus les options politiques de ces pays qui guident l'opinion publique.
En Allemagne, c'est la Chine qui a été au centre de toutes les attentions en 2016 lorsque le leader des fabricants de robots industriels Kuka a été racheté pour la somme colossale de 4.5 milliards d'euros par le géant chinois de l'électroménager Midea. Le gouvernement allemand n'a pu s'opposer juridiquement au rachat d'un secteur stratégique de l'économie ainsi que de tous ses brevets hautement stratégiques.
Depuis, l'Allemagne a renforcé son arsenal législatif en juillet 2017 en allongeant la liste des secteurs dits sensibles pour lesquels les possibilités de véto sont facilitées. Elle se rapproche ainsi de la France, qui, dès 2005, avait permis par décret, de créer une des législations les plus abouties d'Europe en matière de contrôle des investissements étrangers afin d'en restreindre leur portée. Car au-delà du potentiel des investissements, la France a su comprendre qu'ils pouvaient aussi être hostiles.
Un investissement étranger peut dès lors être réduit, aménagé, assorti de garanties ou bien même interdit. Cette interdiction n'est restée pour l'heure qu'une arme de dissuasion puisqu'elle n'a jamais été mise en œuvre en France.
D'autres États membres possèdent un tel mécanisme mais il n'existe ni harmonisation ni même obligation de se protéger. Un tel mécanisme autorisé ou légitimé au niveau européen aurait aujourd'hui un sens particulier car les menaces d'un transfert de technologies, de savoir-faire ou de perte de pans stratégiques de notre économie sont aujourd'hui bien réelles.
L'Europe dans le viseur de la Chine ?
Si nous considérons que nos entreprises peuvent être stratégiques, alors il faut savoir qu'un investissement étranger les concernant l'est potentiellement lui aussi.
L'augmentation des investissements chinois en Europe doit passer du stade de la perception à celui de la sensibilisation. En Allemagne par exemple, en 2006, la Chine n'a acquis qu'une seule entreprise. En 2015, elles étaient 39. En 2016, elle a investi 11.6 milliards d'euros pour acquérir 58 entreprises.
Tous les États membres sont concernés par ces intentions chinoises. Deux projets doivent alerter les législateurs sur l'avenir industriel de l'Europe.
Pour s'en convaincre, il suffit tout d'abord de superposer la carte du projet pharaonique de la Route de la Soie (OBOR) avec celle des investissements chinois en Europe et dans ses pays voisins. Saviez-vous que la nouvelle Volvo S90 était une voiture fabriquée et livrée en train depuis la Chine ? Cette anecdote n'est que le début d'une industrie de pointe « Made in China » derrière un modèle économique que l'on croyait encore européen.
Ensuite, il y a le « China Manufacturing Plan 2025 » détaillé en mai 2015 et qui doit permettre de faire passer la Chine du statut « d'usine du monde » à celui de « grande puissance industrielle ».
Cela passe par un niveau de commande minimum auprès de fournisseurs chinois qui met hors-jeu toute concurrence européenne. Dix secteurs ont ainsi été ciblés par ce plan qui se calque parfaitement avec les rachats chinois d'entreprises européennes lui permettant, par le transfert de technologies achetées, de rattraper son retard industriel allant de la robotique (qui explique le rachat de Kuka), à l'équipement ferroviaire avancé (le rachat de Skoda est en cours de finalisation) en passant par la production électrique (le dumping chinois a permis la disparition des principaux fabricants de panneaux solaires européens).
L'Europe est donc actuellement le supermarché industriel de la Chine. Sans entraver la libre circulation des capitaux, il devient nécessaire de comprendre ce qu'il se passe derrière ces investissements car ils peuvent avoir des conséquences sur notre patrimoine industriel et social. Des savoir-faire pour certains centenaires ont permis la stabilité économique des États et donc de l'Union européenne. À nous de préserver ce patrimoine pour que l'industrie européenne ait sa place sur les marchés mondiaux plutôt que dans des musées. ■
* Rapporteur sur les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques