Si « Metropolis », le film de Fritz Lang de 1927, est une dystopie, ce malheur n'est pas fatal : il nous appartient de faire de l'émergence de nos métropoles un levier de développement économique et social dans l'intérêt de tous. Pour y parvenir, il faudra non seulement convaincre que les métropoles et « leur » ruralité ont un intérêt commun à leur développement respectif, mais également inventer et mettre en place les outils qui favoriseront un développement conjoint. Or si ce développement conjoint peut, à l'évidence, s'appuyer sur des outils contractuels et volontaires, d'autant plus adaptés qu'ils auront été conçus par les acteurs locaux, un aménagement équilibré du territoire requiert également la mise en place de mécanismes de solidarité, par nature plus contraignants.
La grande majorité des acteurs territoriaux partage à la fois le postulat selon lequel les intérêts des métropoles et de leur périphérie ne sont pas antagonistes et la tactique consistant à s'appuyer sur les petites villes, celles qui animent les bassins de vie ruraux à l'extérieur des métropoles, pour éviter que nous déplorions, dans quelques décennies, un pays qui ne connaîtrait que « les métropoles et le désert français ».
A l'inverse, ceux qui verraient dans le soutien aux petites villes un poids ou un frein au développement des métropoles se trompent lourdement : dans le cadre de la compétition internationale, pour attirer les meilleurs talents du monde dans nos métropoles, nous devrons leur offrir une qualité de vie, aux limites et à l'extérieur de ces métropoles. La métropole de Bordeaux échouera sans le Médoc, comme la métropole de Lyon sans la vallée du Rhône, et la métropole de Tours sans les châteaux de la Loire.
L'inscription des périphéries régionales dans des réseaux économiques, culturels, sanitaires, connectés aux métropoles, se révèle conforme à l'intérêt de celles-ci.
A titre d'illustration, lors de la COP21, les métropoles ont pris des engagements ambitieux en faveur du climat et de la durabilité en général. Mais, en pratique, ce sont les territoires environnants qui seront les garants de la durabilité des métropoles, que ce soit pour l'approvisionnement en alimentation de qualité, la fourniture d'énergie renouvelable, le traitement et la valorisation des déchets ou la fourniture de matériaux biosourcés pour la construction.
De même, les métropoles vont trouver un grand intérêt au développement des solutions de télétravail, notamment dans le cadre de tiers-lieux installés dans les bourgs-centres ruraux, dans lesquels travaille une part croissante du salariat : le trafic pendulaire au sein des métropoles s'en trouvera d'autant plus allégé et les voies de circulation décongestionnées.
Enfin, la mise en réseau des centres hospitaliers universitaires et des centres hospitaliers en ruralité permet, outre la survie de ces derniers, un désengorgement des urgences des premiers.
Cette complémentarité et cette communauté d'intérêts ont donné lieu, spontanément, à des formes nouvelles de coopération dans lesquelles les équipements ou les ressources sont partagées : quelques « contrats de réciprocité ville-campagne » ont été conclus entre métropoles et EPCI ; des pôles métropolitains, cogérés par des élus de la métropole et des établissements publics de coopération intercommunale qui l'environnent, se mettent en place pour exercer des compétences en commun. En leur sein, des politiques structurantes, que ce soit en matière de gestion des déchets ou de développement du tourisme, voient le jour.
Pour autant, la complémentarité n'entraîne pas nécessairement la solidarité et la seule charité n'assure pas la justice. L'enjeu d'un développement équilibré du territoire est trop important pour être entièrement laissé aux aléas des bonnes volontés. Si l'exemple breton et l'innovation toulousaine pourront être salués, ils ne devront surtout pas dissimuler les cas dans lesquels la solidarité interterritoriale est plus difficile à mettre en place, voire pratiquement condamnée en raison de dissensions politiques ou de vieilles rivalités géographiques. Nous devons donc trouver les moyens concrets permettant de « souder » aux métropoles, locomotives du développement, les wagons des territoires qui l'environnent. Pour rattacher l'ensemble de nos territoires à ces locomotives, nous devons nous assurer qu'une partie de la richesse créée au sein des métropoles est redistribuée sous forme d'investissements structurants dans les bassins de vie qui les entourent.
C'est pourquoi l'Association des petites villes de France (APVF) avance, entre autres propositions, l'idée du « 1 % métropoles » : il s'agit d'affecter une infime part des recettes fiscales que les métropoles tirent de leur dynamisme économique à des projets structurants dans les territoires périphériques de leur région respective. Le triple intérêt d'un tel dispositif est d'être à la fois garanti, juste et souple.
Il est garanti puisqu'à la différence des outils de coopération (contractuels ou institutionnels) mis en place sur la base du volontariat, il s'agit bien ici d'opérer une ponction obligatoire sur les recettes fiscales des métropoles. Seules l'Ile-de-France et, en l'absence de métropoles, les régions d'Outre-mer, seraient, pour des raisons structurelles, exclues du dispositif.
Il est juste parce qu'il est calibré pour ne concerner que les métropoles qui constituent de véritables locomotives régionales. Car les recettes tirées de la fiscalité professionnelle (au titre de la contribution économique territoriale) sont, par habitant, systématiquement plus élevées dans la métropole (ou, dans les régions qui en comportent plusieurs, dans la mieux dotée d'entre elles) que dans le territoire régional non-métropolitain. Ce choix de ne retenir qu'une métropole par région – celle qui perçoit le plus de recettes fiscales professionnelles par habitant - consolide la justice du dispositif : la métropole de Rennes « couvre » celle de Brest, Strasbourg couvre Metz et Nancy, Lyon couvre Clermont-Ferrand et Saint-Etienne. L'argument selon lequel certaines métropoles seraient en souffrance financière est donc inopérant. Enfin, ce dispositif est justice car le critère de soumission au prélèvement (les recettes de CET par habitant) est cohérent avec son assiette (les recettes de CET perçues par la métropole).
Cette statistique incontestable, selon laquelle le territoire métropolitain génère plus de recettes fiscales économiques que le reste du territoire régional, souligne le point central de la démarche : le dynamisme économique (et donc fiscal) de la métropole génère, dans chaque région, un cercle vertueux de production de richesses et d'investissement public aboutissant, si rien n'est fait, à concentrer le développement futur dans le même périmètre métropolitain. Recueillir une fraction modique de cette manne pour financer des potentiels de développement en milieu rural paraît donc de nature à garantir la solidarité sans freiner la course de la locomotive.
Enfin, ce dispositif du « 1 % métropoles » est souple car l'affectation de son produit annuel, serait laissée à la décision libre, transparente et pluraliste de la Conférence territoriale de l'action publique, représentative des élus de l'ensemble de la région dans laquelle ce produit aura été perçu. La seule contrainte devrait consister à réserver l'usage des fonds à la réalisation ou la rénovation d'un équipement (culturel, sanitaire, sportif, etc…).
Ainsi calibré, le total des « 1 % métropoles » perçus dans les différentes régions où il s'appliquerait ne représenterait que 18,5 millions d'euros chaque année. S'il faisait ses preuves à cette échelle somme toute modeste, en contribuant au financement d'un équipement public par région et par an, il pourrait monter en puissance sans que le dynamisme de nos métropoles s'en trouve pour autant affecté. ■