Quelle est l’origine du projet ?
Elle est très simple. Elle répond à la décision de l’Etat et des collectivités territoriales d’investir pour l’arrivée de la LGV Tours-Bordeaux (livrée depuis le 2 juillet dernier) avec cette volonté de s’assurer de la mutation des quartiers autour de la gare, rive droite et rive gauche de la Garonne, pour tirer pleinement profit de la transformation urbaine que génère ce grand investissement.
Et pour ce qui est de son ambition ?
Le projet Bordeaux-Euratlantique représente une production de 2.500.000 m2 de logements, bureaux et équipements publics.
Son ambition se décline autour de quatre axes stratégiques. Le premier axe est celui de l’emploi en contribuant à la création de 30 000 emplois sur le territoire. L’axe logement entend créer du logement pour 50 000 habitants, accessible pour tous. L’axe 3 vise à l’intégration de l’innovation dans le projet. Et au regard de l’ampleur du projet, Bordeaux-Euratlantique apparaît comme un véritable laboratoire d’innovation, avec un souci de réplicabilité. Le 4ème axe est celui de la sobriété dans l’usage des deniers publics. Nous avons la volonté de travailler avec des ressources rares et avec un modèle économique dans lequel les collectivités publiques (1/3 Etat, 2/3 collectivités territoriales) n’investissent « que » 100 millions d’euros. Dans le même temps, sur ce même territoire, Euratlantique dépense 1 milliard d’euros, sur 20 ans, qui lui-même génère près de 8 milliards d’euros d’investissements privés soit un effet de levier de 80.
Mais l’objectif qui chapote le tout est bien celui de réaliser des quartiers épanouissants pour les hommes et les femmes qui vont y habiter, y travailler, y vivre. Ce qui, il faut bien le reconnaître, est sans doute la chose la plus complexe à réaliser.
Justement, comment cela se mesure-t-il ?
C’est très peu mesurable. Sauf peut-être à la lumière d’exemples concrets. Et de nos choix. Bordeaux-Euratlantique est une opération gigantesque. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de réfléchir en termes de périmètres resserrés pour faire en sorte que nous puissions à chaque fois travailler à l’identité propre de chaque quartier, à l’esprit du lieu. Nous ne travaillons jamais hors sol même lorsque l’on est face à des friches industrielles. A chaque fois, nous faisons en sorte d’avoir également un quartier mixte. Mixte socialement – 35 % de logements sociaux sont systématiquement programmés - et fonctionnellement avec à la fois du logement, du commerce de proximité, des transports, des services des équipements scolaires, sportifs, culturels,...
Deuxième illustration. Faire en sorte de faire venir des acteurs qui vont contribuer à donner une âme à chacun de ces quartiers. Par exemple un restaurateur indépendant plutôt qu’une enseigne franchisée, grâce à notre politique de plafonnement des loyers sur les locaux commerciaux.
Nous cherchons aussi des acteurs qui ont quelque chose à transmettre, à dire et qui vont construire l’identité du lieu comme ce théâtre d’enfants que nous accueillons. Certes, cela nous demande plus de temps qu’avec un promoteur immobilier mais en même temps ce sont ces projets qui font la richesse d’un territoire.
Vous avez fait de la concertation une priorité.
La concertation est une question difficile à aborder. En France, nous sommes confrontés à une quantité de normes qui nous imposent de concerter à plusieurs étapes du projet. Une situation (une obligation) qui incite beaucoup à concerter seulement dans le but de « cocher la case », pour éviter les recours. Quand on prend la concertation comme cela, c’est invivable. Personne n’est dupe. Au point que peut se créer une situation de défiance. Ce n’est pas notre façon de voir les choses. Pour notre part, nous avons choisi, dès le départ, de prendre très au sérieux cette question de la concertation. Nous avons par exemple créé un cycle de formation gratuit pour les habitants. Parce que concerter, c’est d’abord rendre les habitants capables d’avoir un regard critique sur ce que l’on fait.
Enfin, quelle est votre réflexion sur le prix du foncier et sur la stratégie à adopter pour des logements abordables ?
D’abord un constat. Collectivités publiques (Etat, collectivités territoriales) ou aménageurs publics nous sommes souvent schizophrènes : nous voulons tout à la fois que soit produit du logement abordable et bien construit, et tirer un maximum d’argent de la vente de notre patrimoine. Il faut l’avouer, nous faisons face à un dilemme. Or, en matière de production de logement, il n’y a pas de miracle. Le coût de construction d’un immeuble se compose du prix du foncier, des taxes, du coût de construction, de conception et du coût de commercialisation. Quand on augmente le coût du foncier, on diminue le coût de construction avec d’importants risques en termes de qualité et de durabilité des immeubles - une dégradation de la qualité dans les constructions que l’on constate partout en France. Et si ce n’est pas le coût des travaux qui est diminué, la seule solution offerte au promoteur est de vendre plus cher. Rappelons que pour être financé par les banques, le promoteur doit pouvoir justifier de 8 % de marge sur ses opérations.
Nous avons donc pris la décision – en plein accord avec nos partenaires – de ne jamais vendre notre foncier aux enchères. Pour chacun de nos concours et dès le départ, nous fixons le prix du terrain. Nos choix ne sont faits que sur des critères liés au projet, jamais sur un critère lié au prix.
En contrepartie, nous imposons le prix de vente moyen maximum de chaque opération en prévoyant des pénalités financières en cas de non-respect.
Par ailleurs, il faut bien se rendre compte qu’aujourd’hui, dans la décomposition des coûts, ce qui coûte le plus cher proportionnellement, ce sont les réseaux de commercialisation et de défiscalisation en loi Pinel. Cela représente entre 10 et 18 % du chiffre d’affaires de l’opération, c’est-à-dire 2 fois plus que les frais de commercialisation par agence immobilière et 4 à 5 fois plus en valeur que les honoraires des architectes et bureaux d’étude ! Ce qui est énorme.
Nous veillons aussi et surtout à ce que tout cela ne se fasse pas au détriment de la qualité de la construction. C’est d’ailleurs l’une de nos premières préoccupations. Nous avons ainsi décidé de prendre deux mesures. La première consiste à imposer la mission complète aux architectes. C’est l’architecte qui a conçu le projet qui doit le suivre jusqu’à la fin du chantier. Ce qui n’est pas neutre. Nous avons ainsi moins de projets « effet wahoo » et plus d’architectures sereines et calmes, soit au final plus proches de l’identité de Bordeaux. L’autre mesure n’en est encore qu’au stade de l’expérimentation. Sur les opérations qui se font sur des fonciers que nous aurons vendus, nous souhaitons interdire ce que l’on appelle le tâcheronnage, c’est-à-dire la sous-traitance en cascades au moment de la construction. On constate que l’on a parfois des entreprises qui prennent un marché, qui sous-traitent ensuite à d’autres qui vont à leur tour sous-traiter, etc. au point de ne plus savoir qui est qui et qui fait quoi. Ce n’est plus acceptable d’autant que ces pratiques favorisent le travail dissimulé ou clandestin contre lequel se bat fermement la fédération française du bâtiment. Notre mesure est d’ailleurs très bien accueillie par les promoteurs immobiliers. ■