Le gouvernement part du constat que la dépense publique élevée en faveur du logement n’atteint pas ses objectifs : construction ; accès des plus modestes au logement social ; fluidité du marché locatif privé. Il souhaite réduire cette dépense et améliorer l’efficacité de la politique du logement. L’article prévoit d’abord une réduction de 1,7 Md€ du montant des APL. Ces aides « alimentant (…) un effet inflationniste sur les loyers » « le Gouvernement entreprend donc de réviser les dispositifs d’aides, de mieux contrôler le respect par les bailleurs des mécanismes de maîtrise des loyers prévus par la loi » 2.
Tout le fond de la polémique réside dans ce raisonnement du gouvernement : les APL versées directement aux bailleurs améliorent la solvabilité des locataires. Faisant appliquer un loyer en fonction non du revenu mais du logement. Ces derniers fixent ainsi « les loyers à des niveaux (…) élevés au regard des moyens » de leurs locataires et de leur mission de service public à but non lucratif. « Il en résulte des niveaux de marge importants dégagés par les organismes de logement social 3 ». « Cette situation est renforcée par la diminution des charges financières qui découle des taux bas actuels 4 » « qui n’est pas restituée aux locataires sous forme d’une diminution de leur loyer, mais se traduit par l’accroissement du résultat des bailleurs. 5 » « Ce dispositif apparaît de plus en plus inadéquat : il peut entraîner une éviction des ménages aux revenus les plus modestes et ne garantit pas le bon usage des deniers publics consacrés au secteur du logement social 1. »
Sa proposition initiale de réforme
L’article 52 crée « une réduction de loyer de solidarité (RLS) » « visant à moduler le loyer à la baisse pour les ménages dont le revenu est inférieur à un certain niveau de ressource ». Son contraire existe. Le « surloyer de solidarité » lui est « renforcé par son déclenchement au premier euro de dépassement du plafond de ressources ». « Les bénéficiaires de l’APL, qui verront (…) leur loyer minoré par la RLS, verront en contrepartie leur APL minorée dans une proportion légèrement inférieure » 6 afin que le loyer soit à la fin effectivement réduit. En outre, au 1er janvier 2018 la révision annuelle des loyers plafonds applicables dans le parc social n’interviendra pas.
L’article 52 prévoit des « avantages économiques » pour accompagner les bailleurs sociaux dans la réforme : maintien du taux actuel du livret A pendant deux ans et « allongement de la maturité de certains prêts du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations ». Un dispositif de péréquation est institué, afin de ne pas pénaliser les organismes sociaux hébergeant « une proportion élevée de ménages modestes » ou « ceux dont la structure d’emprunt serait peu sensible aux avantages financiers précités ». Ceci « financé par un accroissement de la contribution à la CGLLS ». Pour les bailleurs sociaux, ces contreparties représentent plus des effets d’annonce que des compensations conséquentes.
Pour le gouvernement cette réforme est légitime puisqu’elle permet de « rétablir un des principes d’origine » de l’APL : « la participation des bailleurs sociaux à l’équilibre de gestion financière de ces aides spécifiquement conçues pour le secteur HLM. »
Comme l’a vulgarisé Emmanuel Macron lors de son entretien télévisé le 15 octobre dernier : « Depuis des décennies on répond au coût du logement en augmentant les aides. » « Plus les organismes HLM augmentent les loyers plus nous augmentons les aides des loyers les plus modestes ». « Le gouvernement va donc demander aux acteurs du logement social de baisser les loyers au nom du fait que nous le finançons. » « Dans le monde HLM il y a des organismes qui ont de l’argent et qui ne le dépensent plus. » « Il faut les pousser à le dépenser ou à récupérer cet argent d’une bonne façon. » « De l’autre côté il y a des organismes qui construisent ou qui ont des publics beaucoup plus en difficulté dans les quartiers les plus modestes. Ceux-là (…) nous les aiderons. Certains (…) seront recapitalisés, certains seront accompagnés et puis on favorisera les regroupements. » « La vraie réponse c’est de construire, c’est ça qui fera baisser les prix dans la durée. »
L’article 52 prévoit également de supprimer l’APL accession. Enfin, la révision annuelle au 1er octobre du barème de calcul des APL n’aura pas lieu en 2018.
Son évolution dans l’hémicycle
Ses négociations avancées avec les bailleurs sociaux, le gouvernement a déposé un amendement approuvé par l’Assemblée. L’augmentation du montant total des RLS appliquées par les bailleurs sociaux sera progressive : 800 millions d’euros en 2018, 1,2 milliard en 2019, 1,5 milliard à compter de 2020. En contrepartie, est prévue la possibilité de moduler plus fortement la cotisation prélevée par la Caisse de Garantie du Logement Locatif Social (CGLS), afin d’en affecter une fraction au Fonds National d’Aide au Logement (FNAL) et de garantir, dès 2018, une réduction de 1,5 milliard d’euros des crédits alloués par l’État à ce fonds. Afin d’accompagner le plus rapidement possible l’ensemble des bailleurs sociaux 7 dans la mise en œuvre de cette réforme, l’amendement prévoit que la péréquation se fera dès 2018 au sein de la CGLLS. Le Gouvernement présentera ultérieurement des propositions visant à préciser ce mécanisme 8.
Le PLF voté en première lecture à l’Assemblée le 21 novembre est à l’heure du bouclage du dossier en discussion au Sénat (du 23 novembre au 12 décembre), l’article 52 devant être discuté le 5 décembre. Pour compenser la mise en œuvre progressive de la mesure, le gouvernement souhaite y voir discuter un amendement : la hausse de la TVA de 5,5 à 10 % pour la construction neuve de HLM en contrepartie d’une suppression de la contribution à la CGLLS. Ce moyen de financement étant évalué à 800 millions d’euros.
Julien Denormandie a fait état à l’Assemblée de l’avis des bailleurs sociaux à ce sujet. Une hausse de la TVA les intéresserait davantage car l’impact de la hausse correspondrait à leurs activités : plus ils construisent plus ils paient de la TVA mais plus ils bénéficient des nouveaux financements apportés.
Mais la mise en place de la RLS corrélée à la baisse des APL ne fut pas l’unique point de débat. La discussion sur la suppression de l’APL accession fut virulente. Beaucoup d’amendements et même de la majorité proposant son maintien. Cependant, même si ce dispositif semblait faire l’unanimité pour favoriser l’accession à la propriété des ménages modestes le gouvernement s’est prononcé contre et la majorité a retiré son amendement. L’argument : laisser avancer les négociations avec les bailleurs sociaux sans les entraver et reprendre ce sujet en deuxième lecture.
Un amendement de Lise Magnier (Marne, UDI-Agir et Indépendants) a suscité débat et intérêt du gouvernement. Un plafonnement des APL à 95 % du montant de la quittance. Ceci pour endiguer certains dysfonctionnements, comme la fixation de loyers en fonction du montant des APL ou le versement d’une APL supérieure au loyer. Le Secrétaire d’Etat a souhaité reporter le débat de la politique des loyers au projet de loi logement. En attendant, il s’est engagé à diligenter une enquête sur le nombre de personnes ne payant pas de loyer. Julien Denormandie a souhaité également repousser à l’examen de ce futur projet de loi le sujet du surloyé à payer au premier euro mais les députés ont voté un amendement de suppression de cette ligne du PLF.
Le sujet de la péréquation n’a quant à lui pas été tranché en première lecture mais « nous le ferons dans le cadre de la navette » a déclaré le Secrétaire d’Etat. Souhaitant que les bases finales de la discussion avec les bailleurs sociaux soient auparavant fixées.
Un autre amendement du gouvernement visant à favoriser l’aide à la pierre a également été approuvé par l’Assemblée. Il visait à répondre d’une part à la diminution des aides à la pierre au profit des aides à la personne d’autre part à la dépendance du niveau de contribution de l’Etat aux débats parlementaires. Il s’agirait que, lors d’une accession sociale, la part apportée par l’Etat pour financer le logement revienne à l’État pour abonder directement le FNAP. Afin que le gain issu d’opérations comme la vente ou l’accession sociale réalimente directement le logement social pour construire davantage.
Enfin, une pénalisation financière des bailleurs qui n’investiraient pas au moins 12 % de leurs fonds dans l’entretien de leur patrimoine pourrait être instaurée en 2ème lecture. Le produit de la taxe alimenterait le FNAP. Cet amendement proposé par le député François Pupponi (Val d’Oise, NG) n’a pas été dénigré par le gouvernement qui a proposé d’attendre la discussion à venir sur la péréquation et la mutualisation pour en rediscuter. ■
1. De plus de 40 Mds selon les chiffres de la Cour, 9,7 Mds€ pour le logement social ; 9,5 Mds€ pour les aides au logement privé ; 20 Mds€ pour les prestations sociales dont 17,7 Mds€ au titre des aides personnelles au logement selon le rapport : « La situation et les perspectives des finances publiques », Juin 2017, Cour des Comptes, p186.
2. Toutes les citations proviennent du texte de projet de loi de finances 2018 transmis par le gouvernement à l’Assemblée disponible au lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0235.asp
3. Les chiffres étant détaillés dans l’exposé des motifs de l’article 52 du PLF. « qu’il s’agisse de l’excédent brut d’exploitation (10,4 Md€, soit 50 % des loyers), de l’autofinancement net (2,2 Md€, soit 10,4 % des loyers) ou de l’autofinancement global (3,3 Md€, soit 15,8 % des loyers). La trésorerie du secteur a par ailleurs atteint 11 Md€ fin 2014, soit l’équivalent de 7 mois de loyers et charges. »
4. « Le taux du livret A est passé de 2,25 % en 2012 à 0,75 % depuis août 2015. »
5. « Entre 2012 et 2014, la forte baisse du taux du livret A a ainsi permis la diminution des charges financières des organismes de logement social de 600 M€, et l’autofinancement global du secteur a augmenté d’autant (passage de 2,7 à 3,3 Md€). »
6. (comprise entre 90 et 98 %).
7. Sociétés d’économie mixtes comprises.
8. L’amendement vise enfin à permettre aux bailleurs sociaux d’utiliser l’enquête prévue à l’article L. 441-9 du code de la construction pour le calcul de la RLS.