Comme rapporté par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État que j’auditionnais dans le cadre de mon rapport spécial pour la mission budgétaire conseil et contrôle de l’État, le coefficient multiplicateur d’un texte de loi entre son entrée et sa sortie du Parlement français est passé de 1,1 ou 1,2 dans les années 1980 à 3 à 5 aujourd’hui.
Le 10 octobre dernier nous entamions en commission des finances l’examen de la première partie du Projet de Loi de finances pour 2018. En introduction, le président de la Commission nous annonçait que 660 amendements avaient été déposés, contre 480 à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2017. Au final, ce sont 1665 amendements qui ont été déposés en commission et plus de 2500 étudiés en séance pendant 151 heures d’examen lors de la première lecture du budget 2018 à l’Assemblée nationale qui s’est achevé le 21 novembre. Conformément à la navette parlementaire l’examen du texte a débuté la semaine dernière au Sénat et reviendra pour une deuxième lecture à l’Assemblée nationale en fin de mois. De nombreux amendements seront donc encore à étudier.
Ce comportement très latin ne suit pas toujours une logique d’efficacité. Une première conséquence est la charge de travail croissante pour les administrateurs du Parlement, du Conseil d’État ou du Conseil Constitutionnel. Mais l’impact important concerne l’efficience des normes pour nos entreprises, nos services publics et ses « usagers », c’est à dire l’ensemble de la société française. Je ne remets évidemment pas en cause ici le droit libre et illimité d’amendement qui, en plus d’être constitutionnel, est un pilier fondamental de notre démocratie. Je ne conteste pas non plus son bon encadrement notamment concernant la recevabilité financière et législative. Cependant, en raison du calendrier contraint, les amendements parlementaires ne font pas toujours l’objet d’une étude d’impact préliminaire. Malgré la bonne intention qui les engendre, certains amendements ne passeraient pas le filtre de l’utilité de Socrate, ce qui revient à dire « qu’ils ne voleraient pas ».
Prenons l’exemple de « l’amendement Bourquin ». Cet amendement de la loi Sapin II a fait l’objet de plusieurs mois de débats parlementaires et a risqué la censure du Conseil constitutionnel, puis a finalement été adopté. Il permettra dès janvier 2018 aux emprunteurs de résilier chaque année leur contrat d’assurance de prêt immobilier. La philosophie de cette mesure est respectable car elle engendrera des économies pour beaucoup de Français. Néanmoins, il est nécessaire de mesurer l’impact de sa mise en œuvre concrète et opérationnelle, d’examiner les effets de bords éventuels. Certains établissements financiers alertent du risque « d’usine à gaz ». C’est ce que nous étudions, actuellement et donc a posteriori, au sein du Comité consultatif du secteur financier dont je suis membre.
Dans son rapport de septembre 2016 le Conseil d’État s’interrogeait « Devons-nous nous résigner à la complexité croissante des normes et à l’insuffisante qualité du droit ? ». Le Conseil reconnaît que des améliorations ont été indéniablement apportées au cours de la dernière décennie mais que l’ampleur de la tache reste à venir. Il appelle à une véritable politique de simplification et formule 3 objectifs déclinés en 27 propositions dont la « maîtrise de l’emballement de la production normative » et la « facilitation de l’application concrète de la norme ». Ces dispositions impliqueraient une temporalité différente qui permettrait de recourir plus fréquemment aux expérimentations sur les usagers.
En tant que parlementaires nous sommes face à une double obligation : celle d’améliorer la qualité du droit en même temps que celle de l’efficacité des politiques publiques. Nous devons travailler sur la fabrique de la loi autant que sur son résultat. La préoccupation a donc une dualité juridique / financière mais également ex ante / ex post.
Concernant les évaluations préalables, il convient de saluer ici les instances de concertations qui ont été mises en place depuis le début de la mandature avant l’élaboration des grandes politiques publiques : Conférence nationale des territoires, États généraux de l’alimentation, consultation citoyenne sur la stratégie logement, Assises de la mobilité, Bercy Lab en vue de la future loi de transformation des entreprises, pour n’en citer que certaines. Ces consultations des parties-prenantes du secteur et des citoyens en amont sont primordiales pour la bonne fabrique de la loi. Le travail a priori par les députés l’est aussi. C’est ce que les commissaires aux finances de notre majorité ont fait dès juillet conduits par le Rapporteur général du budget et notre Whip. En concertation avec les ministères le projet de loi de finances 2018 a été décortiqué afin de s’assurer de l’efficacité et de la faisabilité des mesures proposées en vue de sa présentation à l’Assemblée nationale.
Toutefois, l’amoncellement de textes aliène un autre de nos devoirs constitutionnels en tant que parlementaire celui du contrôle et de l’évaluation. Pour reprendre à nouveau les mots du Président de la République : « Légiférer moins c’est mieux allouer le temps parlementaire », c’est en particulier réserver ce temps au contrôle et à l’évaluation. Ce contrôle et cette évaluation des politiques publiques manquent cruellement dans le processus actuel et en particulier dans la procédure budgétaire. C’est l’objet de la tribune « Pour une nouvelle répartition du temps parlementaire » parue dans le journal Les Echos le 15 novembre et consignée par l’ensemble des députés La République en Marche. D’octobre à décembre chaque année nous passons plus de deux mois à débattre du budget et seulement un après-midi est consacré à son contrôle au printemps.
Et pourtant de nombreux outils sont à notre disposition. Le Haut Conseil des finances publiques, entre autres, est une instance de supervision indépendante qui doit porter une appréciation sur la cohérence des objectifs annuels présentés par le Gouvernement par rapport à la trajectoire pluriannuelle de solde structurel. Nous disposons par ailleurs des rapports de la Direction du Budget, du Conseil d’analyse économique et la Cour des comptes remplit également une véritable mission d’assistance pour le Parlement. Il nous appartient au sein des assemblées parlementaires de nous saisir des ressources en expertise que procurent leurs travaux.
Comme exprimé dans mon rapport spécial je suis favorable à la création d’un office parlementaire qui renforcerait les moyens du Parlement dans sa mission de contrôle tout en répondant à la volonté de transparence et d’efficacité du gouvernement. Cet office jouerait un rôle similaire au Public Accounts Commitee dont dispose la Chambre des Communes au Royaume-Uni. Des organismes de contrôles existent déjà mais il semble que nous ne soyons pas aujourd’hui dotés d’un comité d’expertise chargé du contrôle de l’exécution du budget. Cet office serait chargé de centraliser et arbitrer les besoins d’études, les analyser et formuler des recommandations auxquelles l’administration serait contrainte de répondre. Cet « office de la responsabilité budgétaire » pourrait avoir deux instances : un ex-ante qui ferait le lien entre les grandes consultations menées par le gouvernement et le travail préparatoire amorcé par la Commission des finances ; et une instance ex-post qui travaillerait sur le contrôle et l’évaluation en prévision notamment de la loi de règlement et des lois de finances rectificatives éventuelles. ■