Pourquoi les gouvernements successifs (Fillon, Valls, Philippe), portés par des majorités différentes, poursuivent-ils le même objectif de maîtrise des dépenses publiques (1). Quels ont été les résultats du coup de rabot de 2014-2016 ? (2) ? Quel système d’incitations (1) pourrait remplacer une baisse pure et simple de la DGF (3) ?
La dépense publique serait-elle prédatrice ?
La dépense publique est le signe de l’accroissement de notre niveau de vie. Elle est nécessaire car elle a au moins trois mérites : la production de services publics, la redistribution des revenus et le soutien de l’activité en cas de choc conjoncturel. La dépense publique est donc protectrice. Si les prélèvements publics augmentent avec le PIB, c’est le signe d’une amélioration du bien-être (2). Plus nous sommes riches et plus nous sommes demandeurs de dépenses publiques. Cette évidence historique se heurte toutefois à un problème logique : le risque de tendre vers une économie entièrement sous le contrôle d’administrations prélevant toute la richesse produite avant de la redistribuer. Il n’est donc pas surprenant de constater que depuis les années 1980-90, des pays aussi différents que la Suède, les Etats-Unis, l’Allemagne ou le Royaume-Uni réussi à stabiliser voire à réduire le poids des prélèvements obligatoires.
C’est ce processus que tente, avec retard, d’amorcer la France en soulignant les risques inhérents à l’accumulation de dettes publiques (100 % du PIB). L’Etat pourrait-il un jour faire défaut de paiement ? Ce n’est pas si simple. Le fait que les prêteurs potentiels continuent à acheter les obligations émises par le Trésor Français, même à un taux négatif, indique que là n’est pas le principal problème (3). Ce qui est dangereux, ce n’est pas tant la dette que ce qu’elle nous permet de ne pas faire. Pour comprendre la menace que représente la non-maîtrise des dépenses il faut renverser le raisonnement : la progression de la dette publique étant quasiment indolore, elle empêche de prendre conscience de la perte d’efficacité de la dépense publique. Concrètement, cela signifie que dans le PIB, s’accroît le poids relatif des activités qui n’augmentent pas, ou très peu, la productivité de l’ensemble. Il s’agit notamment des activités non marchandes, publiques ou privées comme l’éducation, la santé, les services administratifs, une partie de l’économie sociale et solidaire etc. Toutes ces activités sont indispensables, mais elles deviennent problématiques lorsque l’emploi total ne progresse que grâce à elles, qui ne peuvent être financées que par l’impôt (totalement ou partiellement), lequel pèse de plus en plus sur les autres activités. Dans ce cas la dérive de la dépense publique devient prédatrice.
Les collectivités territoriales, et notamment le bloc communal, sont particulièrement interpellées. En effet, à l’échelle de la France, le nombre d’emplois dans les communes, les organismes communaux et les établissements publics intercommunaux (EPCI) a progressé de 31 % de 1998 à 2015. Dans le même temps, l’emploi privé n’a augmenté que de 10,7 %. Plus précisément, pendant cette période, le nombre d’employés a crû de 16,6 % pour les communes et de 172 % pour les EPCI. La progression est logique pour ces derniers du fait des compétences nouvelles qui leur ont été confiées, de 2010 à 2014, leurs effectifs ont cru de 17 %. Mais dans le même temps, les emplois dans les communes ont continué à croître, +4 %. Le renforcement du rôle des EPCI devait alléger le coût du millefeuille administratif mais c’est un alourdissement qui a été observé. Les exigences de réduction des dépenses publiques des collectivités territoriales s’inscrivent dans ce contexte et concernent principalement le bloc communal.
Les impacts du coup de rabot de 2014-2016
En avril 2014, Manuel Valls avait annoncé que la dépense publique devait être réduite de 50 milliards, dont 10 milliards pour les collectivités territoriales (20 milliards pour l’Etat et 20 milliards pour la Sécurité sociale). Grâce à l’Observatoire des finances locales (4) (OFL), nous disposons d’un état des lieux des impacts de ce tour de vis. La baisse de la DGF a été moins forte que prévue en 2016 suite au discours de F. Hollande devant les maires de France. Mais de 2014 à 2016, la réduction a quand même été de 8 milliards. La DGF est passé de 41 à 33 milliards pour l’ensemble des collectivités territoriales. Les communes ont perçu 12,4 milliards, soit un peu plus du tiers. Si l’on ajoute les EPCI, le bloc communal a perçu 19,1 milliards.
Les conséquences ne se sont pas fait attendre. Les dépenses ont progressé beaucoup moins vite que dans les années précédentes mais d’une façon inappropriée. Les dépenses de fonctionnement ont d’abord continué leur progression alors que les dépenses d’investissement ont été réduites. Tout s’est passé comme si les collectivités territoriales avaient cherché à maintenir leur propre niveau de vie. Du fait de la baisse des investissements, la réduction de la DGF a eu une action dépressive sur l’activité économique. Dans le domaine des infrastructures routières, les départements et communes investissaient près de 8 milliards d’euros en 2013 contre moins de 6 en 2015. Pour éviter l’aggravation de ce phénomène, les collectivités territoriales doivent être jugées sur leur capacité à maîtriser leurs dépenses de fonctionnement.
Le récent rapport de la Cour des comptes montre que les collectivités territoriales ont en 2016 réagi de façon plus efficace à la baisse de la DGF. Les dépenses totales (225,5 milliards) ont reculé de 1 % alors que les recettes progressaient (229,7) grâce aux produits fiscaux. L’excédent de 4,2 milliards a été quatre fois plus élevé qu’en 2015. Sur le seul budget de fonctionnement, un excédent de 16 milliards (15 % des recettes) a été dégagé. Faut-il rappeler qu’il est indispensable pour alimenter la section investissement sans accroître l’endettement ! C’est donc ce mouvement qu’il faut encourager : maîtrise des dépenses de fonctionnement pour soutenir l’investissement, lequel profite plus à l’activité locale que la distribution de salaires.
Bloc communal : éviter la double peine
Le principal problème que pose le bloc communal est que le transfert de compétences aux intercommunalités a peu d’impact sur les dépenses de fonctionnement des communes. Pourtant se contenter d’un coup de rabot uniforme pour sanctionner les communes ne serait pas opportun. D’une part car cela risquerait à nouveau de pénaliser l’investissement, d’autre part car depuis 2014, certains EPCI ont été vertueux et ils ne doivent pas subir une double peine. Le levier « dotations » est une bonne façon de responsabiliser, mais cela doit s’accompagner d’incitations intelligentes pour que soient récompensées les entités qui font des efforts sur les dépenses de fonctionnement et notamment les dépenses de personnel, tout en soutenant l’investissement.
Pour cela, nous proposons un mécanisme simple dont les principes seraient les suivants.
Pour les communes et les EPCI, la DGF serait globalement stable, mais elle pourrait être modulée à la hausse ou à la baisse en fonction de la tendance des dépenses de fonctionnement et notamment des dépenses de personnel. Un système de bonus-malus pourrait tenir compte :
• du niveau relatif de dépense par rapport aux entités de même taille. On ne peut traiter de la même façon ceux qui dépensent beaucoup et ceux qui, déjà, dépensent peu en valeur absolue, pour la même catégorie ;
• de l’évolution des dépenses de fonctionnement ;
• de l’évolution des dépenses de personnel ;
• de l’évolution des taux d’imposition ;
• de l’évolution des comptes consolidés (EPCI + communes) afin d’inciter à des efforts collectifs par une plus grande mutualisation des personnels, matériels, locaux…
Raisonner à l’échelle de l’EPCI offre un puissant levier de rationalisation. Chaque EPCI doit être incité à faire un bilan de son organisation et des optimisations possibles entre ses membres. C’est sur cette base collective que peuvent se faire des ajustements par commune, non pas pour dévitaliser l’échelon communal, mais pour le responsabiliser. Car sur la base du cinquième indicateur, chaque commune peut s’interroger sur la façon de faire évoluer favorablement les 4 premiers.
On pourrait aussi ajouter un bonus tenant compte de l’évolution comparée des dépenses de fonctionnement et des dépenses d’investissement. Si le lecteur trouve ce système d’incitations un peu compliqué, qu’il se rassure, c’est beaucoup plus simple et plus efficace que les mécanismes de péréquation déjà en place comme le FPIC et sur lesquels les collectivités n’ont aucune prise. L’auteur se tient à votre disposition pour fournir des exemples concrets avec les feuilles de calcul. ■
(1) Voir la récente note du Conseil d’Analyse Economique, Quelle stratégie pour les dépenses publiques ? N°43, juillet 2017
(2) Que les économistes appellent la « loi de Wagner », du nom de l’économiste allemand (1837-1910) qui a évoqué il y a plus de 100 ans l’hypothèse d’une extension croissante de la dépense publique.
(3) La dette publique dépasse 250 % du PIB au Japon et ce pays n’est pas en faillite.
(4) Depuis 21 ans, cet observatoire rend compte de l’évolution des finances des collectivités locales. Nous utilisons ici les dernières données, issues du rapport publié fin juillet 2016.