Il y a une raison essentielle à cette nécessité du changement : le temps politique s’est fortement accéléré. Pendant très longtemps, il a semblé en décalage total avec le rythme de la vie quotidienne de nos concitoyens et presque « hors du temps » : toujours les mêmes candidats aux élections pendant des décennies, des réformes qui étaient présentées comme impossibles et qui revenaient régulièrement au-devant de la scène, des politiques publiques et des administrations qui se réformaient trop lentement….
L’élection d’Emmanuel Macron et, dans une moindre mesure, celle des néo-députés, a constitué une prodigieuse accélération du temps politique. En un peu plus d’un an, un ministre nouveau venu dans la vie politique est devenu Président. De nombreux candidats ont été propulsés de la société civile à l’Assemblée nationale à un rythme effréné. En ce qui me concerne, 46 jours seulement se sont écoulés entre mon investiture et mon élection en tant que Vice-président de l’Assemblée nationale. Ce rythme s’est largement poursuivi lors des six premiers mois de l’Assemblée. Fait inédit : plus de 150 séances se sont déjà tenues, près de 616 heures de débats ; 68 textes examinés dont 36 textes adoptés définitivement ; plus de 8000 amendements en discussion, dont plus de 1500 adoptés, etc…
Malgré cette accélération du temps politique, le temps législatif quant à lui est toujours en décalage. Entre l’émergence d’une loi et sa mise en œuvre complète par les décrets d’application, il se passe en moyenne 12 à 18 mois, voire plusieurs années. Et pourtant certaines réformes ne peuvent attendre, lorsque l’urgence de la situation dans laquelle se trouve notre pays exige de transformer notre société, et de le faire vite. A une première lecture à l’Assemblée succède une première lecture au Sénat, puis une seconde lecture à l’Assemblée pour corriger les amendements du Sénat puis une seconde lecture au Sénat, puis une commission mixte paritaire qui souvent échoue à converger, puis une troisième lecture à l’Assemblée pour recorriger encore une fois les amendements du Sénat. Trois fois on vit les mêmes lectures, les mêmes débats, les mêmes amendements. C’est le premier étonnement quand on arrive à l’Assemblée nationale. Ce temps long de l’élaboration des lois, revendiqué par certains comme une nécessité, semble en décalage total avec les rythmes de notre société et les enjeux de sa transformation.
Deuxième étonnement : un député peut, s’il le souhaite, puisqu’il en a le droit, déposer un nombre illimité d’amendements. Soit, c’est peut-être une liberté qu’il faut maintenir. Mais non seulement il peut déposer ces amendements (qui plus est à différents échelons du processus législatif), mais il dispose aussi d’un « droit de tirage » de deux minutes par amendement qui lui permet de s’exprimer autant de fois qu’il y a d’amendements devant ses 576 collègues. Donc, s’il a décidé de produire 250 amendements, ses collègues l’écouteront 250 fois, puis ils écouteront l’avis de la commission 250 fois, puis celui du Gouvernement 250 fois, tout comme les deux réponses au gouvernement 250 fois. Ce jeu de ping-pong entre un auteur d’amendements à la chaîne et le duo commission / Gouvernement dépasse l’entendement. D’autant que ces 250 amendements sont traités avec les mêmes règles quelle que soit l’importance de l’amendement : un amendement qui change le temps de travail des Français et un amendement qui change une virgule en point-virgule bénéficient du même processus, des mêmes temps de débats, sans différenciation.
Un Troisième étonnement réside dans les invectives que hurlent certains députés au travers de l’hémicycle pour théâtraliser nos débats et marquer leur opposition à l’orateur - surtout lors des questions au Gouvernement médiatisées. Il s’agit là d’une attitude qu’aucune école, aucun collège, aucun lycée, aucune entreprise ne tolèrerait. Bref, une pratique contraire au respect de l’orateur, à l’écoute et au débat démocratique. Une image pathétique de la représentation nationale qui ne l’honore pas !
Le quatrième étonnement enfin concerne les critères d’évaluation du député. Les présences effectives en hémicycle ne sont pas répertoriées mais mesurées en fonction des actions (prises de parole, vote formel, etc…). Les invectives lancées à la volée sont retranscrites et sont comptabilisées comme de véritables prises de parole par des plateformes internet d’évaluation, et le nombre d’amendements déposés incrémente un compteur personnel. De ce fait, les multirécidivistes des amendements qui hurlent dans l’hémicycle sont ainsi assurés d’être bien notés…
C’est dire combien les chantiers de la “Nouvelle Assemblée” lancés par le Président François de Rugy sont une nécessité absolue. Aucun d’entre nous, qu’il vienne du monde de l’entreprise, des collectivités territoriales ou de l’associatif, quel que soit son parcours, ne peut et ne doit se satisfaire de cette situation. Il y a urgence à changer et à transformer aussi le fonctionnement de l’Assemblée nationale.
Trois facteurs clefs de succès pour transformer l’Assemblée nationale
Le premier facteur clef est de ne pas opposer efficacité et qualité du débat démocratique. Sans limiter la liberté de déposer des amendements, il faut absolument rompre la logique du temps de parole individuel systématique en hémicycle sur chaque amendement. En limitant, par exemple, le nombre d’amendements débattus en hémicycle tout en préservant le travail exhaustif en commission ; ou en limitant le temps de parole cumulé par groupe en hémicycle, charge à chaque groupe de prioriser les amendements qui nécessitent plus de débat et à s’organiser librement dans ce cadre.
Une autre proposition pour enrichir le débat démocratique serait de donner une place à l’écrit en permettant à chaque député de s’exprimer sur les textes de loi et sur les amendements de leurs collègues. Cela élargirait ainsi le pouvoir d’expression et de contribution de chaque député.
Le deuxième facteur clef est d’impliquer les parlementaires en amont d’un projet de loi sur son intention et ses objectifs précis ; cela favoriserait l’efficacité de notre travail législatif et la qualité de l’évaluation a posteriori de la loi. Il est nécessaire que notre Assemblée, en plus de « voter les lois », participe à leur élaboration quand elles émanent du Gouvernement, avec un véritable débat en amont. De même, le Gouvernement devrait rendre compte, en aval, quelques mois après le vote d’une loi, de la publication des différents décrets d’application et de l’avancement de sa mise en œuvre.
Enfin, il est indispensable de reprendre la maîtrise de notre temps. Les réunions de commissions sont concomitantes aux séances en hémicycle. La présence possible en circonscription est trop limitée. Les séances de nuit s’accumulent du fait de l’imprévisibilité du nombre d’amendements et de la durée des débats. Il nous faut nous organiser autrement. De nombreux parlements organisent leur temps de travail par des séries de semaines dédiées à des missions précises, ordonnées et prévisibles avec des sujets connus 3 à 6 mois avant. La France devrait s’en inspirer ; cette prévisibilité nous permettrait aussi de mener en amont des débats publics dans nos circonscriptions sur les sujets clefs.
Reprendre la maîtrise du temps législatif est déterminant dans la réussite du mandat
Il y a urgence à réformer drastiquement notre processus démocratique, parce qu’il y a urgence à réformer le pays. C’est à mon sens une condition de la réussite du quinquennat d’Emmanuel Macron. Beaucoup d’entre nous en ont conscience, dans la majorité comme dans l’opposition.
Le fonctionnement du cœur de notre démocratie doit évoluer pour plus d’efficacité, de qualité et d’équité du débat démocratique. Nous sommes nombreux à être plus que jamais déterminés à mener à bien cette transformation de notre Assemblée, essentielle à nos yeux pour mener la transformation dont notre pays a tant besoin et pour laquelle nous avons été élus. ■