Le Gouvernement déjà engagé dans la première réforme des régimes par répartition ne souhaitait pas ouvrir sur ce sujet un front avec les syndicats et demanda au député de surseoir à son projet mais sa ténacité eut raison, du moins un temps, des résistances de l’exécutif. La loi Thomas fut adoptée en 1997 mais faute de décrets d’application, elle ne fut jamais appliquée et fut abrogée en 2001. Un quart de siècle plus tard, si la France dispose bien de nombreux produits d’épargne retraite couvrant potentiellement la quasi-totalité de la population active, leur poids demeure marginal tant dans le paysage de la retraite que dans celui de l’épargne. L’encours de l’épargne retraite s’élevait, en 2016, à 219 milliards d’euros soit moins que le Livret A et qu’évidemment l’assurance vie. 12,7 millions de personnes détenaient un contrat de retraite supplémentaire en cours de constitution. Les cotisations pour l’ensemble des produits d’épargne retraite ont atteint, en 2016, 13,6 milliards d’euros.
Les suppléments de retraite par capitalisation se classent en deux catégories, les produits dits collectifs souscrits dans le cadre de l’entreprise ou de l’activité professionnelle (correspondant chez nos partenaires au 2ème pilier) et les produits dits individuels (correspondant au 3ème pilier), le 1er pilier étant assuré par les régimes de base et complémentaires. Dans la première catégorie figurent le Plan d’Épargne Retraite Entreprise (PERE, régimes à cotisation définies également dénommés article 83 en référence à l’article 83 du code général des impôts), l’article 82, l’article 39 (régimes à prestations définies appelés également « retraites chapeau »), le Plan d’Épargne Retraite Collectif (PERCO) et les Contrats Madelin. La seconde catégorie comprend le Plan d’Épargne Retraite Populaire (PERP), la Préfon, le Corem, le CRH et le Fonpel et le Carel-Mudel pour les Anciens Combattants ainsi que la Retraite mutualiste des combattants. En termes de cotisations, le premier produit est l’article 83 avec 2,989 milliards d’euros de collecte. Il est suivi par le contrat Madelin (2,831 milliards d’euros) et le PERP (2,226 milliards d’euros). En ce qui concerne les encours, l’article 83 arrive en tête (68,8 milliards d’euros). Il précède l’article 39 (40,261 milliards d’euros) et le contrat Madelin (38 milliards d’euros).
Sur les 16 millions de pensionnés en France, seulement 2,4 millions percevaient des prestations issues d’un contrat de retraite supplémentaire. Fin 2016, les prestations servies par les suppléments d’épargne par capitalisation représentaient 2 % du total des pensions retraite. Les sorties s’effectuent soit en capital soit en rente. 15 % des retraités touchent une rente viagère issue d’un produit d’épargne retraite en plus de leur pension versée par les régimes par répartition. Les rentes moyennes sont d’un faible montant, de 75 à 190 euros par mois contre 1 350 euros pour les pensions des régimes obligatoires.
Chez nos partenaires, la capitalisation assure de 10 à 15 % des revenus des retraités. La France, par dogmatisme et par conservatisme, prive ses retraités de compléments de revenus et ses entreprises de fonds propres. Ces dernières sont dès lors contraintes de chercher des investisseurs à l’extérieur des frontières, investisseurs qui exigent un rendement supérieur à des acteurs nationaux au nom de la prise de risque. Les entreprises du CAC 40 sont ainsi détenues à 45 % par des fonds étrangers. Comble de l’ironie, la France a accepté de soumettre l’assurance vie, le premier produit d’épargne, aux règles prudentielles Solvency II, ce qui a pour conséquences de dissuader l’acquisition d’actions cotées et non cotées. En revanche, les fonds de pension européens ont réussi à échapper à ces règles pour continuer à investir en actions, le meilleur support de long terme.
Par tradition mais également en réaction aux crises boursières à répétition, les épargnants éprouvent les pires difficultés à acquérir des actions. Ce trait de caractère est amplement partagé en Europe continentale mais il est temporisé chez nombre de nos voisins par la présence de fonds de pension. Pour faciliter justement la réorientation de l’épargne des ménages vers des placements longs, vers des placements actions, le Gouvernement d’Édouard Philippe entend faciliter la diffusion de l’épargne retraite au sein de l’opinion publique. À cet effet, il a privilégié l’harmonisation des produits à leur unification jugée trop complexe. Le Ministre de l’Économie a ainsi prévu d’instituer pour tous les produits des sorties en capital. Ces derniers seront transférables afin de pouvoir suivre leur bénéficiaire durant toute sa vie professionnelle. Aux mille-feuilles des produits d’épargne retraite, le Gouvernement prend le risque de générer des produits mille-feuille comportant plusieurs modes de sortie et soumis à plusieurs régimes fiscaux. L’objectif des pouvoirs publics est d’accroître, d’ici 2022, l’encours de l’épargne retraite de 50 %. Un objectif ambitieux au regard de l’évolution de ces dernières années.
Le développement des suppléments de retraite est d’autant plus nécessaire que le taux de remplacement des pensions (ratio calculé au moment de la cessation d’activité entre le montant des pensions et les revenus professionnels) de retraite baissera dans les prochaines années. La baisse pourra atteindre de 8 à 15 points selon la catégorie socio-professionnelle. Le niveau de vie des retraités devrait passer en-dessous de la moyenne de la population quand, aujourd’hui, il est de 6 points plus élevé.
La réforme de l’épargne retraite est étroitement liée à celle de la retraite que le Président de la République a placée au cœur de ses priorités. La place et le rôle des suppléments par capitalisation sont conditionnés par le niveau de couverture qu’assurera le régime universel de retraite. Les partenaires sociaux auraient avantage à prendre l’initiative de lancer des négociations interprofessionnelles ou de branche afin de mettre sur pied des régimes professionnels par capitalisation. Cette solution permettrait de faciliter la diffusion de ces suppléments auprès des salariés des PME qui, pour le moment, n’en profitent guère. Par ailleurs, de tels fonds de pension pourraient amener une cogestion à la française que les pouvoirs publics n’arrivent à mettre en œuvre malgré des tentatives répétées lors de ces cinquante dernières années. La retraite est un chantier français mais aussi européen or l’articulation entre les projets français et européens n’apparaît pas, pour le moment, évidente. La Commission de Bruxelles, travaille, depuis deux ans à la mise en place d’un supplément de retraite individuel par capitalisation accessible à tous les ressortissants européens, le plan paneuropéens d’épargne-retraite (PEPP). Ce produit accompagnerait la mobilité des assurés et faciliterait le financement des entreprises européennes. Son succès suppose une harmonisation entre les États membres en matière fiscale mais également dans les domaines de la gestion d’actifs, du devoir de conseil et de la supervision.
La refonte de l’épargne retraite doit également prendre en compte la problématique de la dépendance. En effet, d’ici 2040, le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie devrait doubler. Les besoins en services de santé, en services de proximité et en hébergement augmenteront. Une nouvelle journée de solidarité n’y suffira pas. L’idée de créer un dispositif assurantiel reposant sur une large mutualisation constitue une solution à étudier. Une petite fraction des cotisations d’épargne retraite pourrait être dévolue à cette assurance. Les retraités continueraient à cotiser pour l’assurance dépendance afin d’éviter un transfert du financement de ce risque à la charge exclusive des actifs.
Le financement des retraites et des dépenses qui y sont liées, assurance maladie, dépendance, restera la grande question des vingt prochaines années. Le vieillissement de la population est le symbole de réussite qui nécessite des ajustements économiques et financiers. La France a perdu beaucoup de temps. La sortie, en 1982, du livre de Dominique Strauss Kahn et de Denis Kessler « L’épargne et la retraite » soulignait déjà la nécessité de développer des suppléments par capitalisation. ■