Le cap a été fixé par le Chef de l’Etat, le 11 octobre 2017 lors d’un déplacement à Rungis : « Permettre à chacune et à chacun d’avoir accès à une alimentation, saine, durable et sûre ». Un horizon qui après avoir guidé les travaux des Etats généraux de l’alimentation a également été le fil conducteur du projet de loi Egalim. Ce texte de loi a dû prendre en compte un grand nombre de paramètres allant des fortes attentes sociétales des consommateurs français pour une alimentation de qualité, respectueuse de l’environnement et accessible à tous en passant par le bien-être animal mais aussi la prise en compte des choix des agriculteurs. Des attentes et des objectifs parfois antagonistes.
Nouveaux modes de vie, nouvelles habitudes alimentaires
Du côté des consommateurs, il faut bien voir que leurs attentes sont le fruit d’un savant dosage et d’évolutions parfois difficilement perceptibles et souvent volatiles. Même si des tendances fortes se dessinent et ont pu être identifiés et/ou confirmées lors des Etats généraux de l’alimentation. Premier constat : les achats alimentaires et les comportements des consommateurs se font en fonction de caractéristiques socio-démographiques (composition du ménage, âge (vieillissement de la population), augmentation du nombre de personnes vivant seules, localisation géographique, éducation, revenu). Conséquence de la métropolisation et de l’emploi salarié des femmes, le temps consacré à la confection des repas et aux moments familiaux de transmission des savoir-faire culinaires ne cesse de diminuer cédant leur place à des repas rapidement préparés et consommés, aux plats préparés, aux repas pris à l’extérieur (restauration hors foyer). « Ces nouveaux modes de vie, ces nouvelles habitudes couplés et amplifiés par les stratégies marketing modifient les habitudes alimentaires » résume un atelier des EGA. L’urbanisation croissante et la complexité de la chaîne alimentaire font aussi que les consommateurs sont de plus en plus éloignés des produits et des acteurs des filières alimentaires. Signes des temps, les comportements de consommation évoluent : en 2000, on privilégiait « le goût », en 2007 « le frais », en 2015 « le bio » couplés d’une demande croissante pour des produits de proximité. Ces goûts et ces couleurs évoluent aussi en fonction des événements et des crises alimentaires (vache folle en 1986, dioxine en 1999, viande de cheval en 2013, œufs contaminés au Fipronil en 2017...).
L’alimentation, variable d’ajustement
Dans le même temps, on a pu constater que de nouvelles opportunités de consommation émergeaient (fractionnement et simplification des repas) tandis que se développe une « alimentation connectée » avec de nouvelles pratiques d’achat liées au digital (comparateurs de prix, bases de données, géolocalisation…). L’ensemble transformant les comportements alimentaires des consommateurs.
Dans le comportement alimentaire entre aussi en jeu, l’aspect pécuniaire. 3ème poste budgétaire (13, %) après le logement et les transports (2ème poste budgétaire pour 17,2 % de la population), l’alimentation, l’accès à l’alimentation est devenu « un enjeu extrêmement fort dans un pays qui compte 4,8 millions de personnes qui bénéficient de l’aide alimentaire et 8,8 millions de personnes sous le seuil de pauvreté ». Aussi pour beaucoup de Français, l’alimentation reste une variable d’ajustement. Le consommateur dans sa grande majorité est tenté d’acheter au prix le plus bas. Une habitude qui n’échappe pas aux grandes surfaces qui « ont fait de ce principe un axe prioritaire et stratégique dans leur politique de vente (omniprésence de la publicité et des promotions) ». Selon le profil du consommateur, le choix d’achat alimentaire se fera en fonction de la qualité et/ou du prix du produit, comme tout autre produit de consommation. Mais si « le prix est un critère d’achat relativement simple, en revanche la qualité des produits alimentaires est une notion complexe, qui englobe des critères gustatifs, nutritionnels, mais également des performances écologiques ou sociales selon les valeurs du consommateur ».
Recherche de naturalité, de sécurité et d’éthique
Face aux évolutions sociétales (vieillissement de la population et métropolisation), la synthèse des ateliers telle que l’on peut la retrouver sur le site de l’Assemblée nationale souligne l’apparition de trois principales tendances qui se dégagent chez le consommateur : recherche de la naturalité, de sécurité et d’éthique (produits « sans »), de fonctions nutritives (produits « plus ») et nouvelles pratiques d’achat et de consommation. Paradoxalement, poursuit la synthèse, on assiste à un recul des produits bruts dans nos assiettes et à une augmentation des prêts à consommer ; une baisse de la consommation des protéines animales en raison de la sensibilité au prix mais aussi des préoccupations nutritionnelles et environnementales, ainsi que des préoccupations quant au bien-être animal. Dans le même temps, « une attention nouvelle est portée par le consommateur sur l’origine et la traçabilité des produits, leur qualité nutritionnelle, sur les modes de production, d’élevage et d’abattage, les procédés de transformation, leur proximité ».
Des préoccupations environnementales
Apparaissent donc au grand jour des interrogations, des exigences de plus en plus fortes en matière environnementale notamment. Le consommateur plébiscite des produits et des pratiques respectueux de l’environnement dans ses diverses composantes : préservation de la biodiversité, des ressources en eau, lutte contre le changement climatique et adaptation, stricte contrôle des apports chimiques, rejets polluants, etc. « Ces préoccupations environnementales sont soutenues par l’inquiétude des consommateurs à l’égard de la présence de substances chimiques et notamment de pesticides dans leur alimentation ». Qualité et traçabilité sont ainsi au menu du consommateur citoyen préoccupé de ce qu’il peut trouver dans son assiette. Des attentes s’expriment notamment en faveur de la diminution d’apports d’ingrédients dommageables à l’équilibre et à la santé dans le processus de fabrication (sucres, graisse, édulcorants,...), la limitation des apports de produits chimiques dans la culture (utilisation excessive de produits phytopharmaceutiques), l’élevage (prescription d’antibiotiques), la transformation, le conditionnement et la conservation.
Le consommateur est aussi de plus en plus friand de produits sous labels qui « sont un gage de confiance et de repère » mais aussi de démarches qualité engagées par les professionnels et de produits de proximité (proximité géographique, relationnelle) qui favorisent l’ancrage territorial (diversification et relocalisation). A condition toutefois que ces labels et autres tampons apposés sur les emballages soient sérieux et contrôlés. La complexité finissant par nuire à l’objectif initial. « Les messages nutritionnels doivent être clairs, positifs et non-culpabilisants afin d’être compris et appliqués » demandent les consommateurs (synthèse des EGA). A noter encore une attente du consommateur de plus en plus forte dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, « dans une perspective à la fois sociale et écologique ».
Difficile perception du « juste prix »
L’autre aspect marquant du moment est bien celui de l’intérêt grandissant du consommateur en faveur du bien-être animal et des conditions d’élevage (accès au plein air, à un environnement adapté aux besoins physiologiques et comportementaux de chaque espèce, arrêt des mutilations, prise en charge de la douleur, réduction des temps de transports, renforcement de la protection des animaux à l’abattoir). « Garantir une alimentation de qualité passe par la prise en compte du bien-être animal » rappelait à juste titre la députée Laurence Maillart-Méhaignerie dans un avis pour la Commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire en début d’année.
Lorsqu’on les interroge, « les Français ne cachent pas leur attachement au monde agricole et leur désir pour une alimentation saine et durable pour laquelle, explique Laurence Maillart-Méhaignerie, ils sont disposés à payer le juste prix aux producteurs, conscients que la pérennité de notre agriculture ne sera assurée que par la mobilisation de tous ». Cela étant dit, dans les faits ce n’est pas aussi simple. Si une réelle volonté de soutenir l’économie nationale et locale existe, elle achoppe cependant sur la perception que le consommateur peut avoir du « juste prix ». « Les consommateurs, soulignent les EGA, se sont habitués à la baisse des prix alimentaires. Le coût lié aux efforts de qualité se heurte à l’idée que le consommateur se fait du « juste prix » des denrées alimentaires ». Ainsi, le pouvoir d’achat est un élément incontournable dans la décision de consommation de tel ou tel produit, malgré la prise de conscience des difficultés des producteurs et les effets sur leur santé des produits consommés notent les EGA.
Autant de considérations que le texte de loi a voulu comprendre et a cherché à intégrer. ■