Une modification en profondeur doit répondre à deux objectifs majeurs : conserver la valeur relative des cotisations passées tout en assurant l’équilibre budgétaire du système. Cette double exigence découle de la volonté d’assurer une équité entre générations (les générations futures ne subissent pas le déficit actuel du système) et entre individus d’une même génération.
Trois principes devraient être retenus pour assurer le respect de ces objectifs, que soit le système choisi. Il convient premièrement de revaloriser les droits passés (en euros ou en points) proportionnellement à la croissance des salaires, afin de conserver la valeur relative des droits accumulés. Le pouvoir d’achat des retraités par rapport à celui des salariés est ainsi indépendant des hypothèses de croissance. A l’inverse, la revalorisation des salaires portés aux comptes en fonction des prix induit un niveau de pension beaucoup plus dépendant de la conjoncture : le pouvoir d’achat relatif des retraités est maintenu uniquement lorsque la croissance économique est suffisamment proche de celle de la croissance des salaires.
Deuxièmement, le maintien du pouvoir d’achat relatif des retraités passe nécessairement par la prise en compte du facteur démographique pour maintenir l’équilibre du système. Jusqu’ici, la faible revalorisation des droits passés visait à limiter le déséquilibre financier persistant du système de retraite induit notamment par la hausse du ratio démographique.
Dans un contexte de vieillissement de la population il est nécessaire d’ajuster le coefficient de liquidation en fonction des évolutions démographiques pour compenser un potentiel déséquilibre budgétaire. Ces évolutions sont de deux ordres en France : l’espérance de vie et l’arrivée à l’âge de la retraite des générations du baby-boom expliquent la hausse du ratio démographique jusqu’en 2030, puis uniquement l’évolution de l’espérance de vie.
Troisièmement, le taux de remplacement doit être fixé en lien avec la politique de revalorisation des pensions pendant la période de retraite. Pour qu’une masse de pension soit garantie pendant la durée de retraite, la revalorisation appliquée aux retraites après liquidation doit être connue au préalable. Un niveau initial de pension plus faible est nécessaire si le choix est fait de redistribuer du pouvoir d’achat aux retraités via une revalorisation importante des pensions. A l’inverse, une revalorisation faible durant la période de retraite induit un niveau initial de pension plus élevé.
Les trois principes énoncés précédemment assurent l’équilibre d’un système de retraite : le niveau des dépenses s’ajuste aux chocs macroéconomiques lorsque le lien entre taux de croissance et niveau des retraites est restauré (principe 1). Intégrer les modifications du ratio démographique dans le calcul des pensions permet de faire face aux chocs démographiques (principe 2). Enfin, quelle que soit la dynamique de revalorisation choisie, le volume des retraites correspond aux cotisations précédemment versées (principe 3). Dans ce cadre, la référence à un « âge de la retraite » n’est plus essentielle. Les réformes précédentes modifiaient ce paramètre à la marge afin d’équilibrer le système, tandis que dans le modèle envisagé c’est la variation du taux de remplacement à chaque âge de liquidation qui joue le rôle d’âge de référence. Le système s’équilibre dès lors que la hausse du ratio démographique conduit à l’augmentation du taux de remplacement à un âge légèrement plus élevé, de façon similaire à l’augmentation des bornes d’âge ou de durée requise d’assurance.
Un système de retraite appliquant ces principes peut être envisagé de multiples façons. L’opposition entre comptes notionnels et système à points est en réalité un faux débat dans la mesure où les deux systèmes fonctionnent en répartition, avec une traduction des droits en euros dans le premier cas et en points dans le second. Dans un système en comptes notionnels, les cotisations sont revalorisées chaque année par un taux de rendement afin d’ajuster la valeur des droits accumulés en fonction de la croissance du reste de l’économie. Dans un système en points, la valeur d’achat des cotisations joue un rôle identique. Les droits accumulés sont ensuite convertis en rente : en comptes notionnels, le « coefficient de conversion » constitue l’outil majeur d’ajustement du système puisqu’il vise à égaliser pour chaque génération la somme des cotisations versées et des pensions reçues. Il dépend explicitement de l’espérance de vie et du taux de revalorisation des retraites. Un système à points peut également remplir les objectifs précédemment évoqués : pour un taux de cotisation donné, la valeur de service du point peut être ajustée en réponse à un choc démographique ou économique, afin de maintenir l’équilibre budgétaire du système.
Une fois ces trois principes énoncés, plusieurs arbitrages sont nécessaires. Tout d’abord le choix du taux de cotisation est central. Dans le système actuel, il existe d’importantes différences de taux de cotisation entre les régimes. L’unification des règles n’oblige pas à l’unification des taux de cotisation, mais certaines différences sont difficiles à justifier (on peut donner l’exemple des taux appliqués aux traitements indiciaires et ceux appliqués aux primes) et pourraient faire l’objet d’une convergence plus ou moins progressive. D’autre part il est nécessaire de trancher de quelle façon la transition s’effectue entre l’ancien et le nouveau système : une transition lente peut être considérée plus acceptable à court terme politiquement, cependant elle contribue à maintenir plus longtemps les dysfonctionnements de l’ancien système. En Italie, les modifications apportées par la réforme de 1995 s’appliquaient uniquement aux nouveaux entrants sur le marché du travail, ce qui a nécessité le vote d’une nouvelle loi.
Accorder les mêmes droits pour un montant donné de cotisations implique une distinction stricte entre droits contributifs et non-contributifs, et peut permettre d’engager une réflexion plus globale sur les dispositifs de solidarité existants. Certains pourraient être repensés : un rapport de l’IPP (Bonnet et al. 2013) souligne qu’actuellement les droits familiaux et conjugaux manquent en partie leur objectif de réduire les inégalités de pension entre hommes et femmes et entraînent un mécanisme de redistribution qui manque de clarté. Un autre pan de l’architecture des dispositifs de solidarité concerne le maintien de droits contributifs pour les assurés ayant peu cotisé pendant leur carrière et éligibles au minimum vieillesse. Un complément d’un minimum de pension individuel pourrait être pensé de sorte à garantir une pension bonifiée aux individus ayant cotisé une part substantielle de leur carrière.
Il a été annoncé que la réforme des retraites visait à éviter des réformes paramétriques successives futures, contrairement aux réformes précédentes qui ont mobilisé des leviers d’équilibrage pour contenir la hausse des dépenses de retraite sans assurer l’équilibre à long-terme du système. Un équilibre en 2050 suppose actuellement que le taux de croissance atteigne au moins 1,3 % chaque année. Il est au contraire souhaitable que le nouveau système soit viable quels que soient les chocs démographiques ou économiques potentiels. L’utilisation de règles de pilotage (règles d’indexation des droits acquis, règles d’évolution de conditions de liquidation et règles de revalorisation) assure un tel équilibre de long terme mais n’induit pas la fin de la gouvernance politique. Des choix sociaux évoqués précédemment sont indispensables dans la mise en œuvre initiale du système, tels que la structure des dispositifs de solidarité. Eviter le report des dépenses de retraite actuelles sur les générations futures constitue en soi un engagement fort, qui induit des règles de pilotage adaptées. On ne peut qu’espérer que la lisibilité accrue du système et l’adhésion qu’il suscite soient le fruit d’un débat de qualité rassemblant l’ensemble des acteurs concernés. ■
* https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2018/04/n31-notesIPP-avril2018.pdf