L’élection de Donald Trump aura été la première étape, le coup d’envoi. Lors de la campagne, les positions du nouveau président américain sur le libre-échange, la protection de l’environnement ou l’immigration tranchaient fortement avec l’image d’une Amérique ouverte et tolérante incarnée par Barack Obama. Depuis, les différends s’accumulent. Sur l’Accord de Paris tout d’abord, duquel le président américain a très rapidement sorti son pays. Sur le plan commercial ensuite, où Donald Trump s’est érigé en ennemi public d’un commerce libre et ouvert. Cette posture l’a mené à abandonner les négociations du TAFTA avec l’Union européenne, à sortir du TPP (Accord de partenariat transpacifique) et à lancer son pays dans une guerre commerciale envers les Chinois… et ses alliés occidentaux. Les récents événements autour du G7 et de l’OMC viennent s’ajouter à une liste d’oppositions qui ne cesse de s’allonger.
Les désaccords sont particulièrement visibles sur le plan géopolitique. Sur la question israélienne premièrement, où les États-Unis ont fait cavalier seul en transférant leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem et se sont attirés les foudres de l’ensemble de la communauté internationale. Plus récemment encore, la question iranienne a été révélatrice des discordances au sein du bloc occidental. Face à des Européens cherchant avant tout le respect d’un accord ayant le mérite d’exister, Donald Trump s’est arc-bouté dans une posture de dénonciation, malgré les efforts d’Emmanuel Macron pour tenter de trouver un compromis. Si le début de mandat de Donald Trump laissait présager des différences de points de vue, l’actualité récente a révélé l’abysse qui oppose désormais les visions européennes et américaines des relations internationales. Elle a aussi attesté, plus gravement peut-être, de la divergence profonde de leurs valeurs.
Mais y a-t-il encore un camp occidental ? Il semble aujourd’hui que cela ne soit plus le cas. Car la recomposition diplomatique et l’éclatement du bloc de l’ouest ne se restreint pas à l’axe Europe-USA. Elle transforme jusqu’aux relations intra-européennes dont l’illustration la plus parlante est la crise migratoire. L’irresponsabilité affichée de certains États membres face à ce défi majeur est un rendez-vous manqué avec l’Histoire. Mais il nous a surtout montré que la solidarité n’est pas une valeur commune aux États de l’Union européenne. Le dernier exemple en date est celui des pays du groupe de Višegrad (Hongrie, Pologne, République Tchèque et Slovaquie) qui ont refusé de venir en aide à des pays désormais seuls face à l’arrivée des migrants : l’Italie et la Grèce. En conséquence, l’Italie a traversé la pire crise politique de son histoire et se retrouve maintenant avec un gouvernement populiste. L’ultimatum émis le 18 juin par le Ministre de l’Intérieur allemand à Angela Merkel concernant le refoulement des migrants arrivant du reste de l’Europe est un élément supplémentaire d’affaiblissement des fondements de la construction européenne.
Cette recomposition est particulièrement visible dans les relations entre le bloc occidental et des États comme la Russie ou la Turquie. La question ukrainienne en est une claire illustration. Faut-il exiger de la Russie un renoncement total à ses prises de guerre, comme le souhaitent l’Ukraine, les Pays Baltes et une partie des pays d’Europe de l’Est ? Faut-il laisser la porte ouverte en distinguant la situation du Donbass de celle de la Crimée ? Cette question, qui est celle du maintien de la Russie au sein du Conseil de l’Europe divise ses membres depuis 2 ans. Son départ serait un recul immense pour les droits de l’homme et pour les citoyens russes, mais son maintien sans conditions n’en demeurerait pas moins un reniement. En 2017, l’attitude à adopter lors du référendum constitutionnel turc avait également été l’occasion de débats, l’Allemagne ayant opté pour un durcissement du ton là où la France avait cherché à jouer l’apaisement.
Enfin, la Chine challenge le bloc occidental sur son propre terrain. Au cours des dernières années, le pays s’est en effet imposé comme un partenaire majeur sur plusieurs thématiques. Sous l’impulsion du nouveau président chinois Xi Jinping, la Chine a d’abord joué un rôle clef dans les négociations de l’Accord de Paris. C’est cette « nouvelle Chine » qui n’a cessé depuis de se positionner en héraut des valeurs écologiques. Elle est aujourd’hui devenue un acteur incontournable dans les énergies renouvelables (solaire, éolien, …) et a mis en place des politiques publiques particulièrement strictes en la matière. Or, l’arrivée de ce nouvel allié dans la lutte contre le réchauffement climatique coïncide avec le retrait brutal des États-Unis. Mais le retournement le plus spectaculaire concerne la position chinoise sur le libre-échange. Hier protectionniste et fermée, la Chine s’est érigée lors des sommets internationaux en chantre d’un commerce ouvert… au dépend une fois de plus des États-Unis. Il n’y a plus de bloc occidental, mais des alliances de raison qui se forgent avec ceux qui souhaitent aller de l’avant.
Il faut nous rendre à l’évidence : les États-Unis ne sont plus un partenaire fiable depuis les dernières élections américaines. Plus gravement peut-être, c’est aussi le cas de certains pays européens dont les gouvernements populistes mettent la construction européenne en péril. Est-ce leur arrivée tardive au sein de l’Union et leur absence durant ce qui fut une construction longue et sinueuse qui les amènent à la considérer comme un dû ? Certains pays membres ne semblent en tous cas pas avoir conscience que l’Europe ne se consomme pas : elle se construit. Aisément parfois, dans la douleur aussi, mais toujours dans l’effort et le compromis. De cette incompréhension découle les accusations incessantes à son égard, la perte de légitimité de l’Union et les tensions croissantes entre les pays membres.
Il nous faut mettre un terme à la naïveté des pro-européens. Trop longtemps, certains ont en effet pensé que l’Europe était nécessaire et utile par nature. Que, tôt ou tard, les citoyens s’en rendraient compte. Nous voyons bien que ce moment n’arrivera pas. Contre la vision d’une Europe impérissable, il nous faut au contraire mettre en garde contre sa vulnérabilité. Contre une Europe plus faible, il nous faut refonder l’Europe sur de nouvelles bases démocratiques et solidaires. Car, comme l’a rappelé le Président de la République, n’oublions pas que « l’Europe est mortelle. Elle n’est pas un Etat ». Face à cette situation, il ne peut y avoir d’hésitation : la réponse doit être européenne et forte. Face à l’attentisme de certains États, nous devons prendre nos responsabilités et poursuivre de construire l’Europe avec les pays qui en ont le courage. Entre se reconstruire ou mourir, l’Europe doit désormais choisir. ■