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La France made in China - La France peut-elle résister à la puissance chinoise ?

La France a accueilli en grande pompe le Président Chinois Xi Jinping. A la suite de cette visite d’Etat, plusieurs contrats ont été signés. Mais en France certains s’interrogent sur les intentions cachées des investisseurs Chinois et leur appétit pour nos fleurons industriels. Un « essor » qui rime aussi avec lobbying politique, espionnage industriel et transfert de technologie imposé. En s’appuyant sur une enquête rigoureuse et de nombreux entretiens, Pierre Tiessen et Régis Soubrouillard montrent le nouveau dilemme de la France face à une puissance économique chinoise. Une France tiraillée entre la volonté d’attirer ces nouveaux investisseurs et celle de protéger des savoir-faire stratégiques. Mais en France, la Chine sait pouvoir compter sur ses « amis ».

Auteurs : Pierre Tiessen et Régis Soubrouillard*

*Formé au chinois à l’Université des langues à Pékin où il a été correspondant pendant une dizaine d’années, Pierre Tiessen couvre l’actualité chinoise pour Challenges. Journaliste à Marianne pendant dix ans, Régis Soubrouillard collabore aujourd’hui à divers médias, notamment économiques.

Les « amis » de la Chine

Jean-Pierre Raffarin, le « panda kisser »

[…] Même s’il n’est plus Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin sert de relais aux gouvernements français successifs pour dialoguer avec Pékin, ce qui lui vaut le surnom de « chef des pompiers » dans la presse chinoise. En 2008, les relations entre les deux pays se tendent brusquement. Le parcours de la flamme olympique a été perturbé à Paris par des militants pro-Tibet. Jean-Pierre Raffarin est appelé à la rescousse. Il s’envole alors régulièrement à Pékin pour tenter de calmer les esprits. La presse officielle chinoise rend compte avec enthousiasme de l’une des conférences de presse qu’il donne sur place pour dénoncer les actes des « provocateurs français ». […]

Jean-Pierre Raffarin adore la Chine – et c’est réciproque – mais pas au point de s’y installer. Il aurait pourtant pu y être ambassadeur de France, poste que lui a proposé Nicolas Sarkozy en 2010. Il a préféré refuser la proposition : « Je suis libre alors que lorsque l’on est ambassadeur, on ne l’est pas vraiment », nous explique-t-il.

Libre au point d’écrire des livres, publiés uniquement en Chine. Des ouvrages qui suivent la « ligne du parti » comme le notera Philippe Grangereau, correspondant en 2011 de Libération à Pékin qui a lu Ce que la Chine nous a appris, un ouvrage paru en 2010 et édité par une maison d’édition liée au ministère des Affaires étrangères chinois dans lequel l’ancien Premier ministre ne cache pas son admiration pour les caciques du parti. « Les leaders chinois ont toujours pléthore de talents, et leur culture est extrêmement profonde. Les dirigeants chinois sont tous d’une grande qualité », écrivait-il alors.

Pour le journaliste de Libération, « Raffarin est entré dans le cercle très fermé des “vrais amis de la Chine”, aux côtés d’Henry Kissinger et quelques autres. Le Quotidien du peuple les interviewe fréquemment, et les autorités les reçoivent presque comme des chefs d’État. Un universitaire américain les a un peu méchamment baptisés les “panda kissers”. » (1) […]

L’ancien Premier ministre de Jacques Chirac serait-il toujours un « panka kisser » ? En retrait de la vie politique française, il est en tout cas toujours (très) actif quand il est question de la Chine. Il est même presque devenu un intime de Xi Jinping. « Quand il y a une conférence avec 50 personnes alignées, c’est moi qu’il vient saluer en premier », nous raconte-t-il pour assurer de sa proximité avec l’actuel Président Chinois. […]

Professeur à l’école de commerce sino-européenne CEIBS, basée à Shanghai, Jean-Pierre Raffarin y dirige la « Chaire du Général de Gaulle », créée en 2018, qui se veut une étude comparative des stratégies de leadership françaises et chinoises. Il a également rejoint la même année le conseil d’administration de la holding chinoise de l’équipementier automobile français Plastic Omnium.

À côté de ses activités privées, il joue au Quai d’Orsay le rôle de représentant spécial pour la Chine. Une mission que lui a confiée Jean-Yves Le Drian en janvier 2018. Une fonction officieuse de « superambassadeur » pour laquelle il précise ne pas être payé. Il siège également au sein du comité de direction du Boao Forum for Asia, directement organisé par le PCC, rappelle Emmanuel Dubois de Prisque, corédacteur en chef de la revue Mondes Chinois. […]

Une multitude de « casquettes » qui amènent certains à se demander si Jean-Pierre Raffarin ne sert pas tout simplement la propagande du régime chinois (2)[…].

Dominique de Villepin, l’homme qui a dit « oui » à la Chine

L’ancien patron du Quai d’Orsay a marqué l’histoire diplomatique française par son discours prononcé à l’ONU en 2003 au moment de la crise irakienne. L’homme qui a dit « non » aux Américains a été largement célébré par les médias chinois. « Villepin le lettré » est depuis considéré par Zhongnanhai comme une référence. Un « ami » de la Chine. Une amitié qu’il sait entretenir depuis sa prise de distance de la vie politique française. Dominique de Villepin, aujourd’hui consultant international, est en effet une référence dans les milieux d’affaires chinois. Il est à la tête de deux sociétés enregistrées à Hong Kong dont Villepin International China Limited. Cette entité locale de Villepin International est gérée par son fils Arthur Galouzeau de Villepin, résidant à Hong Kong, par ailleurs à la tête de Pont des Arts, une société d’export de grands vins français.

De quoi, pour certains, poser la question de sa « neutralité » lorsque l’ancien patron du Quai d’Orsay s’exprime sur les questions de politique internationale[…].

Ce n’est pas la première fois que l’ancien Premier ministre fait profiter les organismes économiques chinois de sa réputation. Sa reconversion dans le privé a presque commencé à Pékin. En 2013, il demande en effet à toucher sa retraite de diplomate, pour devenir président du conseil consultatif international de UCRG, la première agence de notation chinoise, dont l’ambition vise à cette époque à concurrencer les agences de notation occidentales. UCRG est détenue par Dagong, une institution financière mais aussi une émanation du pouvoir chinois, pour laquelle Dominique de Villepin a déjà effectué des missions de conseil. La notoriété internationale de l’ancien Premier ministre français représente un atout non négligeable pour cette agence qui a l’ambition de lutter contre l’alignement américain des milieux financiers. […]

[…] L’ancien Premier ministre intervient toujours régulièrement dans les médias officiels pour y commenter la vie politique chinoise. En novembre 2017, il est ainsi l’invité du China Global Television Network au moment du 19ème congrès du PCC qui consacre la « réélection » de Xi Jinping pour un nouveau mandat de cinq ans. Pour Dominique de Villepin, il s’agit d’un « moment historique. […] Nous avons vu la plus importante action politique de ces dix dernières années ». Puis il défend le modèle de parti unique qu’il estime tout à fait adapté au « format » chinois. « Pour les Occidentaux, il est parfois difficile de comprendre pourquoi un Parti comme le Parti communiste chinois a autant de responsabilités mais je crois qu’il est réellement adapté au format de la Chine. Vous ne pouvez pas diriger 66 millions de personnes comme vous dirigez 1,5 milliard d’habitants. » Contacté par nos soins pour commenter ses paroles, Dominique de Villepin nous répondra par e-mail que celles-ci « doivent être appréciées dans leur contexte évoquant les nécessités de la modernisation du pays et de structuration de la société et de la nation chinoises, autant que le contexte de prise de responsabilités mondiales pour la sécurité de l’ordre international ».

Jean-Marie Le Guen, du modèle taïwanais au business chinois

À ses débuts en politique, c’est peu dire que Jean-Marie Le Guen n’a pas été tendre avec la Chine communiste. « Depuis des années, la Chine nous roule dans la farine. Nous avons perdu que trop de temps, et il nous faut repenser maintenant complètement notre stratégie dans cette région », déclare-t-il en 1992 au magazine Capital. Le député de la 9ème circonscription de Paris qui comprend le 13ème arrondissement – où réside une grande partie de la communauté chinoise parisienne – plaide alors pour un renforcement des relations France-Taïwan. Son ami et mentor Dominique Strauss-Kahn est sur la même ligne et estime que « la France finance trop de projets franco-chinois ». À l’époque, cette frange du Parti socialiste a clairement choisi son camp entre la République populaire de Chine et la République de Chine (autre nom de Taïwan), en plaidant pour un renforcement du dialogue avec Taipei. […]

Mais en 2003, l’élu change de camp, et intègre le groupe d’amitié France-Chine à l’Assemblée nationale qu’il ne quittera qu’en 2017. Tout ce temps, le député du 13ème sera l’un des principaux référents sur la Chine au sein du Parti Socialiste.

Une expertise qu’il saura faire valoir. Au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron à l’Élysée, faute d’avoir pu obtenir l’investiture de LREM, Jean-Marie Le Guen rejoint en effet Siaci Saint Honoré, le premier courtier en assurances français. Il y conseille Pierre Donnersberg, son président, qui signe en janvier 2018 un partenariat avec HNA, un conglomérat chinois à la tête de la compagnie aérienne Hainan Airlines et ancien actionnaire à hauteur de 10 % du groupe Pierre & Vacances. HNA est aussi propriétaire du suisse GateGroup – spécialisé dans la restauration et l’industrie du voyage – racheté fin 2016 pour 1,5 milliard de dollars. En mai 2017, Jean-Marie Le Guen intègre également le conseil d’administration de cette société. Puis, quelques mois plus tard, celui de Swissport, un fournisseur de services aux aéroports également racheté par HNA en 2015 pour près de 3 milliards d’euros. […] Dans une de ses enquêtes, parue en 2017, le Financial Times qualifiera la structure actionnariale du groupe de « complexe et alambiquée » entre ses actionnaires fantômes et la multiplication des filiales dans des paradis fiscaux.

Les autres amis de la Chine (et cercles d’influence)

C’est l’une des tables d’affaires les plus prisées de Paris. L’une des plus sélectes aussi. Impossible, pour un gourmet lambda, de pousser la porte du Chinese Business Club (CBC) sans carton d’invitation. Pour participer aux agapes « 5 étoiles » de ce réseau d’affaires franco-chinois – le plus coté de la place –, il faut en être membre. Et débourser pour cela un droit d’adhésion fixé à plusieurs milliers d’euros en échange d’une dizaine de rendez-vous par an[…].

Mais surtout de précieux temps d’échanges ; de « business matching », selon le vocable maison. Car ici, en plus de bien manger, l’on « réseaute ». Être encarté au CBC – créé il y a seulement huit ans –, c’est en effet croiser, le temps d’une formule rapide (3 heures montre en main, apéritif compris), tout le gotha économique et financier des échanges France-Chine. Au total, une centaine d’entreprises sont membres. Henri Giscard d’Estaing, fils aîné de l’ex-président français et patron du Club Med (aux mains du groupe Fosun), y a ses habitudes. De son vivant, l’industriel Serge Dassault y avait ses entrées aussi. L’ex-sénateur de l’Essonne et ses lieutenants y ont d’ailleurs conclu, sur un coin de table dit-on, plusieurs ventes de Falcon privés avec de riches hommes d’affaires hongkongais. Bernard Laporte – patron du rugby français – y a déjà pris place à table. Tout comme l’ex-ministre de l’Intérieur Claude Guéant, reconverti dans le conseil en Afrique, ou Bernard Squarcini, ancien patron du Renseignement intérieur français… Et même, dernièrement, Alexandre Benalla – l’ancien adjoint au chef de cabinet de l’Élysée, reconverti, depuis son éviction du Palais, dans la sécurité internationale. Côté chinois, on y trinque avec le président France du géant bancaire ICBC ou encore avec celui du premier opérateur télécom mondial China Mobile. Du lourd.

Mais c’est avec les « super-VIP » – ses invités prestigieux, à la fois people et politiques – que le CBC s’est imposé comme l’un des clubs d’affaires les plus influents de France. The place to be pour qui fait du business avec Pékin. À son palmarès : Nicolas Sarkozy, Anne Hidalgo, le prince Albert de Monaco, Pierre Gattaz, Guillaume Pepy, Sophie Marceau, Isabelle Huppert, Juliette Binoche… Tous, sans exception y ont vanté « l’amitié France-Chine » et prôné un renforcement des échanges bilatéraux. Même Arnaud Montebourg, à l’époque patron de Bercy et déjà infatigable défenseur du « Made in France », s’est laissé tenter en 2014. Jean-Pierre Raffarin y est quant à lui un invité régulier, sinon permanent. Tandis que Jean-Yves Le Drian y a récemment déjeuné. Autre visite remarquée au CBC : celle d’Emmanuel Macron, en 2015, accompagné de cinq autres ministres du gouvernement Valls de l’époque. Alors ministre de l’Économie, l’actuel chef de l’État avait ce jour-là appelé ses auditeurs à une « révolution culturelle » … La référence maoïste avait fait mouche.

[…] Parfois, ce sont les entreprises chinoises elles-mêmes qui cherchent à s’entourer d’influents relais. C’est notamment le cas du géant des télécoms Huawei, dont Jean-Louis Borloo est membre du conseil d’administration depuis fin 2016. « Le 13 décembre au soir, l’ancien Ministre a convié quelques-unes de ses relations au Ritz pour leur présenter Ken Hu, le grand patron de Huawei », écrit à l’époque Le Canard enchaîné. Jean-Marie Le Guen et Paul Boury, lobbyiste proche de François Hollande, étaient présents. Mais aussi Antoine Gosset - Grainville, ancien directeur adjoint du cabinet de François Fillon à Matignon, Édouard Tétreau, conseil en entreprise et soutien d’Emmanuel Macron… « Objectif : convaincre que Huawei n’est pas une boîte si affreuse que ça… » En février 2017, le groupe chinois fera à la ville de Valenciennes, dont Jean-Louis Borloo fut maire de 1989 à 2002, un cadeau d’une valeur de 2 millions d’euros, annonçant le renouvellement complet du système de caméras de la ville.

Huawei est en réalité un grand adepte du lobbying assuré par le cabinet Boury, Tallon & Associés, très actif dans les milieux politiques et enregistré au Sénat en tant que « groupe d’intérêts ». Si l’on en croit les échanges d’e-mails révélés par WikiLeaks, le responsable des affaires publiques de Huawei a invité Pierre Person à Roland-Garros dans son carré VIP, en juin 2016. Lors de la campagne présidentielle de 2017, Pierre Person était le conseiller politique d’Emmanuel Macron. Devenu député, il nous répondra : « N’occupant aucun poste à responsabilité auprès d’En Marche, et étant simple salarié du privé ne disposant d’aucun mandat d’élu national et local, je ne pouvais être alerté sur les activités de cette entreprise. Le cadre de ce rendez-vous informel nous a permis d’échanger avec plusieurs représentants de think tanks sur la question du secteur des télécoms. » Pourtant, après cette rencontre « informelle », Huawei cherche à se rapprocher du mouvement En Marche et propose un voyage en Chine « dans une optique prospectiviste et d’ouverture sur de nouveaux business models » pour découvrir le campus de Huawei à Shenzhen et visiter Tencent, le géant de l’Internet chinois. Le voyage ne se fera pas mais les échanges en disent long sur l’objectif du groupe chinois de séduire les milieux politiques. 


(1) « Le Petit livre rouge de Raffarin », Libération, 27 octobre 2011


(2) En juillet 2018, l’hebdomadaire Valeurs actuelles écrit que « les relations très étroites de Jean-Pierre Raffarin avec la Chine ont attiré l’attention de la DGSI […] Dans le jargon, on dit qu’il “clignote” ». Jean-Pierre Raffarin a adressé à Valeurs actuelles un droit de réponse dans lequel il se dit « choqué par les insinuations que contient votre article sur mon travail au service des relations franco-chinoises. En effet ces relations n’ont rien de mystérieux : elles sont officielles, publiques et transparentes. J’ai notamment aidé plus de 1 000 entreprises françaises ces dix dernières années. Mes contacts, établis depuis bientôt 50 ans, ont toujours été mis au service des intérêts français et toujours avec des relations de confiance avec l’ensemble de nos services ».

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