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La ville pour tous

La crise du logement dans les métropoles menace l’équilibre de nos sociétés. Une seule solution : repenser la propriété privée ! Partout, on exhorte à toujours plus de mobilité vers les grandes villes, alors même que les prix de l’immobilier ne cessent d’augmenter et d’exclure. Le foncier est aujourd’hui la ressource la plus rare au monde ! De Paris à San Francisco, de Lyon à Shanghai, de Nantes à Tokyo, les métropoles sont devenues des châteaux forts qu’on regarde de loin avec envie. Or seules ces métropoles génèrent de la croissance. Et plus que les richesses, ce sont les opportunités de progression sociale qui s’y concentrent. Rien n’arrêtera ce phénomène de métropolisation qui touche tous les pays, émergents comme développés. Pour l’entrepreneur et essayiste Robin Rivaton, une métropolisation heureuse est possible à condition de faire baisser drastiquement les prix de l’immobilier. Cela passe par des mesures radicales : confisquer, construire et contrôler, pour mieux redistribuer.

Auteur : Robin Rivaton*

* Ancien conseiller économique de Bruno Le Maire et de Valérie Pécresse, Robin Rivaton a fondé Real Estech, la plus grande communauté de start-up de l’immobilier en Europe. Il conseille de nombreuses entreprises de construction, promotion ou gestion immobilière. Il est membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique. Robin Rivaton est notamment l’auteur de La France est prête (Les Belles Lettres), Aux actes dirigeants ! (Fayard), Quand l’État tue la Nation (Plon) et L’Immobilier demain (Dunod).

L’ubérisation a envahi les unes des journaux et des médias. Pourtant, le phénomène reste bien modeste lorsqu’on le compare à ce qui a vraiment changé nos vies. Plutôt que l’ubérisation, l’urbanisation, suivie de la métropolisation, a certainement été le phénomène humain le plus frappant du dernier siècle. En 1900, moins d’un humain sur dix vivait en ville, alors qu’aujourd’hui c’est le cas de plus d’un sur deux. D’ici 2030, les villes vont accueillir plus d’un milliard d’êtres humains supplémentaires et trois milliards d’ici 2050.

Quatre cent dix-sept villes comptent plus d’un million d’habitants et trente-trois plus de dix millions, rassemblant un être humain sur huit. Qui dit concentration d’habitants dit concentration de richesses. En 2030, les 750 métropoles de plus d’un million d’habitants que comptera la planète produiront près des deux tiers de la richesse mondiale. Pour reprendre les mots de l’ancien maire de Denver, Wellington Webb, datant de presque dix ans déjà : « Le xixe siècle était un siècle d’empires, le xxe un siècle d’États-nations. Le xxie siècle sera celui des villes. » Plus exactement, celui des métropoles. […]

[…] Les métropoles sont comme les châteaux forts d’autrefois dont il serait sage d’abaisser les ponts levis avant de les voir assiégés. Elles ne pourront rester qu’une dystopie qui exclut et repousse du fait des prix de l’immobilier. Car c’est par là que s’opère la sélection. Il est surprenant de voir que nous restons aussi fatalistes sur le coût du logement. Si nous exprimons bruyamment notre mécontentement sur le prix de l’essence ou du pain, la hausse des prix de l’immobilier semble être acceptée par tous. Par les habitants comme par les élites. C’est que ce dysfonctionnement sert les intérêts des plus aisés en faisant miroiter l’accès au patrimoine aux autres, en les culpabilisant lorsqu’ils n’y arrivent pas, alors même que les conditions économiques ne le permettent plus. Il s’agit d’une politique publique marquée par un désintérêt de classe, qui ne prendra fin que le jour où les plus aisés se rendront compte que leurs propres enfants ne pourront plus se loger même avec l’aide familiale. Le désintérêt des gouvernements, des économistes et des régulateurs pour les sujets immobiliers les empêche de voir à quel point le dysfonctionnement du marché du logement est l’enjeu majeur des politiques publiques. Lorsque les banques centrales tentent de freiner l’inflation alors même que celle-ci, hors logement, est relativement faible, elles ne font qu’empirer le problème, qui est la faiblesse de constructions neuves. Des taux plus élevés freinent la production de logements. Il est trop facile de blâmer le marché. Quand on ne construit pas assez de logements dans une ville, on décide que quelqu’un ne pourra pas y vivre. La technologie ne résoudra pas la crise du logement. […]

Une métropolisation heureuse est-elle possible ? Je le crois. Revenir en arrière, se raccrocher au clocher du village, c’est la facilité, c’est condamner notre futur par manque d’imagination. Laisser faire, et c’est la ruine qui menace, le jour où les destinées territoriales auront fini de diverger. Comprendre la dynamique en cours, voir les progrès qu’elle apporte, peser ses effets négatifs et y apporter des réponses plutôt que poser des anathèmes et se lamenter. Entendre la colère de ceux qui ne manquent de rien sauf de sens. Comprendre pourquoi l’immobilier est à la fois trop cher à l’acquisition et pas assez cher à la détention. Le sujet n’est plus de regarder les statistiques mensuelles ou annuelles de la production de logements, se battre pour savoir si la cible est plutôt de 400 000 ou 500 000 logements en plus chaque année. Il s’agit de faire de la politique du logement la pierre angulaire de la refonte de nos institutions. Il faut offrir à tous la possibilité de venir vivre en métropole, dans leurs centres mêmes. Pas l’obligation, mais la possibilité. Pour ne pas nourrir le ressentiment de voir prospérer un monde qui exclurait. Pour ne pas avoir l’impression d’être rejeté sur le bas-côté. Pour ne pas se sentir étranger en son propre pays. Si le marché du logement fonctionne mal, c’est que les solutions proposées jusqu’à aujourd’hui ne sont pas suffisamment radicales. […]

Mettre fin à la pénurie

Les pouvoirs publics se sont éloignés des questions de logement ces quarante dernières années. Alors que la propriété immobilière est un levier indispensable pour eux, ils n’y voient bien souvent qu’un actif facile à taxer. Il n’y a pas de fatalité. On peut faire baisser les prix de l’immobilier. On le doit. Cela ne nécessite pas un anathème contre la propriété privée immobilière mais une politique déterminée, constante, résolue. Confisquer, construire, contrôler, voilà le triptyque de recettes pour repenser la propriété privée immobilière. Sans y mettre fin mais en mettant fin à ses abus.[…]

Confisquer

L’impôt personnel immobilier

L’auto-évaluation et la prime d’acquisition préfixée sur un marché libre sont la meilleure façon de redessiner notre marché immobilier en limitant les trois maux qui l’empoisonnent aujourd’hui : vacance, spéculation et surconsommation. Mais le taux de la taxe proposé par Eric A. Posner et E. Glen Weyl est erroné. Il ne peut être fixé trop haut. À 30 %, c’est la propriété immobilière elle-même qui deviendrait un repoussoir. Les auteurs estiment qu’elle n’est plus vraiment importante. C’est là qu’ils font erreur, la propriété privée est au coeur de nos économies. Il n’y a pas volonté de la contraindre mais simplement d’en limiter les défauts.

Je propose l’impôt personnel immobilier, impôt positif et négatif, au taux entre 4 et 6 %. Il faudrait également que seule la puissance publique puisse se porter acquéreur, au moins dans un premier temps. La détention des biens vacants deviendrait très coûteuse et ces derniers se retrouveraient alors mis en vente. D’ailleurs des taxations spécifiques frappant les biens vacants ont récemment été mises en place, sur les logements en zones tendues.

[…] L’impôt personnalisé immobilier vient bousculer la vie des rentiers en les forçant à générer des revenus. […]

Sans faire grimper les prix, l’auto-évaluation obligerait les ménages à mieux ajuster leurs besoins d’espace sans tenir compte du moment où ils ont eu la chance d’acquérir leur bien. Un couple dont les enfants sont partis mais qui souhaite conserver un grand appartement devra payer pour cet espace supplémentaire au prix du marché et non pas à un prix historique.

Aujourd’hui, il y a même un effet inverse : les prix ont tellement progressé que les biens les plus petits ont un prix au mètre carré souvent supérieur à celui des appartements familiaux. L’immobilier comme outil de transmission patrimoniale se heurte désormais à l’allongement de la durée de vie. Pourquoi être propriétaire d’un bien familial sous-occupé dont vos enfants hériteront lorsqu’ils auront 60 ans et vous 85 ? Il n’y a pas de logique à cela. La multi-détention est d’ailleurs de plus en plus importante. […] La multi-détention n’est pas un crime, loin de là, mais il faut pouvoir la faire payer à son juste prix.

La propriété privée illimitée dans un contexte de raréfaction délibérée de la ressource foncière se révèle un obstacle au bon fonctionnement de l’économie. Et les taxes foncières, trop faibles, sont devenues toxiques. […]

La propriété est importante, mais pas sacrée

Beaucoup d’experts estiment qu’on a sacralisé la propriété immobilière alors qu’il faudrait penser en termes d’habitat. C’est vrai, elle est devenue un vecteur trop important de transmission et d’accumulation du patrimoine, mais cela ne signifie pas que la propriété doive disparaître. L’immobilier est le seul actif pour lequel un ménage peut bénéficier de l’emprunt et donc de l’effet de levier de la dette. Il est donc un élément capital de la constitution de patrimoine.

Devenir propriétaire a longtemps été un idéal dans de nombreuses sociétés, d’abord comme un reflet d’ascension sociale et un héritage à transmettre puis, plus tard, face à l’allongement de la durée de vie et un marché du travail plus incertain, comme la garantie d’avoir un toit sur la tête quelle que soit sa situation. […]

Malgré ces évolutions sociétales, je suis convaincu de l’importance de maintenir la possibilité de créer des trajectoires d’accession à la propriété immobilière. Elle restera une façon d’accumuler du patrimoine au long de sa vie. Même dans le cadre d’une forte baisse des prix, elle permet aux classes populaires et moyennes de créer un actif à consommer lors de la retraite.[…]

Construire

Si l’objectif immédiat de l’impôt personnel immobilier est d’éviter le gaspillage de ressources lié à une acquisition ancienne à un prix inférieur au prix réel du fait d’une demande moins forte, son but à long terme est de permettre progressivement la densification des métropoles. Le mot est lâché. Construire plus d’habitations est aujourd’hui indispensable pour rendre nos villes plus accessibles.[…]

Si le prix du foncier et le refus de densifier sont les deux goulots d’étranglement de la construction de logements neufs, un troisième est en train d’apparaître au niveau de l’industrie de la construction elle-même. Le secteur souffre d’une pénurie de main-d’oeuvre et a du mal à recruter, les jeunes étant rebutés par les conditions de travail, notamment le travail en extérieur.

On estime qu’en Île-de-France, l’appareil de production est à son pic et ne pourrait pas encaisser un surplus d’offres de terrains sans une augmentation forte des prix. La construction hors site, autrement dit la production en usines de modules entiers qui sont seulement ensuite assemblés sur le chantier, est une filière à investir urgemment. En lien avec la distinction du foncier et du bâti, elle permettra de construire des bâtiments évidement plus efficaces énergétiquement, mais moins durables. À dessein. En effet, transmettre un bâtiment sur un siècle et demi est une erreur, un passif plutôt qu’un actif. Les coûts cachés de rénovation, d’entretien et de mise à niveau sont gigantesques. Les usages évoluent, les populations changent. Bien prétentieux seraient ceux capables de dessiner la ville dans un demi-siècle. Assurons-nous que le foncier soit à la main de la collectivité pour faire évoluer le bâti sans que celui-ci soit un fardeau. […]

Contrôler

Instaurer un impôt personnalisé immobilier permettra de remettre des logements en vente à des prix plus faibles. Construire plus permettra d’augmenter l’offre de logements notamment pour les classes moyennes qui sont aujourd’hui exclues. Mais pour rendre les métropoles accessibles à tous, il faut absolument développer une offre de logements à loyers modérés. La première stratégie consiste à soutenir la demande à travers plusieurs dispositifs souvent coûteux pour les finances publiques et compliqués à administrer. La deuxième est d’augmenter l’offre de logements publics à loyers modérés. La troisième est d’améliorer la situation des travailleurs modestes en augmentant les salaires pour qu’ils puissent se loger. […]

Fixer un salaire minimum en zone urbaine

Au-delà des aides pour rendre les locataires plus solvables ou des logements sociaux pour maintenir les loyers à des niveaux modérés, se pose la question des revenus des classes populaires dans les métropoles. Les emplois de service sont l’épine dorsale du travail dans les grandes villes. Mieux payés, ils seront plus qualifiés et mieux exécutés. Aujourd’hui, il y a une difficulté à trouver les personnels pour ces emplois-là car ils ne sont pas suffisamment rémunérés. Il n’est pas rare qu’ils soient pourvus par des immigrants, parfois clandestins.

La règlementation nationale du salaire minimum ne fait plus sens aujourd’hui en France. Les divergences de productivité et de coût de la vie obligent à envisager une distinction spatiale. Il faut pouvoir fixer un salaire minimum métropolitain. Ce mouvement s’observe déjà largement dans les grandes régions-métropoles américaines. […] 


La ville pour tous de Robin Rivaton – Editions de l’Observatoire - 192 pages


© Avec l’aimable autorisation des éditions de l’Observatoire

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