La fin de l’union sacrée, la fin des illusions. L’émotion forte et légitime exprimée par l’ensemble des élus s’est évanouie lorsqu’il a fallu débattre du projet de loi de « conservation et restauration » de Notre-Dame présenté par le Gouvernement et censé faciliter les procédures, clarifier les financements et permettre une reconstruction dans les cinq ans selon la volonté d’Emmanuel Macron. En Commission d’abord puis en séance – et même si peu de députés étaient présents pour débattre ce vendredi 10 mai –, les discussions ont été houleuses. Finalement, le projet de loi a été adopté par 32 voix pour, 5 contre et 10 absentions. 13 heures durant, élus de l’opposition et élus de la majorité ont fait entendre des voix discordantes mettant à terre le fol espoir d’Aurore Bergé, toujours très en verve exprimer au lendemain de l’incendie, de voir « s’unir ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas ».
Edifiée entre 1163 et 1272, Notre-Dame de Paris est inscrite dans notre patrimoine religieux, historique, architectural et littéraire depuis plus de huit siècles.
L’étendue des dégâts connue dans plusieurs mois
Elle a connu des épisodes forts au cours de son histoire du mariage d’Henri de Navarre au sacre de Napoléon Ier en passant par la célébration d’un Te Deum à la Libération de Paris jusqu’aux funérailles des présidents de Gaulle, Pompidou et Mitterrand. Classée monument historique en 1862 et inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1991, la cathédrale était jusqu’à ce 15 avril, le monument le plus visité d’Europe, avec plus de treize millions de visiteurs par an. Au fil des siècles, Notre-Dame a connu diverses rénovations. La plus emblématique fut celle orchestrée par les architectes Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Antoine Lassus au XIXème siècle, permettant la réinstallation de la flèche, démontée au XVIIIème siècle. Les années 90 ont vu le nettoyage de la façade nord et la restauration du grand orgue. Le programme de restauration engagé au printemps 2018 était de grande ampleur. Il visait en premier lieu à restaurer la flèche, la toiture de plomb mais aussi le chœur, les arcs boutants de la nef, les vitraux et le statuaire de la sacristie. Un échafaudage de 100 mètres de haut était en voie d’installation et devait être achevé en septembre 2019.
Mais voilà…. Ce lundi 15 avril, premier jour de la Semaine Sainte, à 18h50, un feu se déclare dans la partie supérieure de la cathédrale avant de se propager rapidement à la toiture, la « forêt » de poutres de chênes quasi millénaire. Plus de 500 sapeurs-pompiers armant 70 engins se sont battus contre le « monstre » pendant plus de sept heures. Leur ténacité a permis d’éviter le pire même si les dégâts sont très importants. L’effondrement de la flèche a percé la voute, les rosaces comme le grand orgue et les stalles miraculeusement épargnés devront toutefois faire l’objet d’une importante restauration. Le Trésor de la cathédrale et ses reliques - couronne d’épines du Christ, tunique de Saint-Louis notamment - ont été sauvées ; de nombreux tableaux et sculptures de grandes valeurs culturelles aussi mais nécessiteront des soins attentifs.
L’étendue des dégâts ne sera réellement connue que dans plusieurs mois tant les fortes températures - jusqu’à 800 degrés –, les fumées et les grandes quantités d’eau déversées pour éteindre le feu ont pu endommager en profondeur la structure du bâtiment. Des travaux d’urgence de soutènement ont été très vite entrepris et des bâches ont été tendues pour protéger la cathédrale des intempéries. Cette protection n’est que provisoire et sera remplacée par une structure de « parapluie » plus pérenne qui permettra de réaliser les travaux de reconstruction.
Le soir même de l’incendie puis le lendemain, le Chef de l’Etat prenait acte de la vive émotion et très vite – trop vite ont dit certains – annonçait que Notre-Dame serait « rebâtie dans son intégralité dans un délai de cinq années » avec le lancement d’une souscription nationale à cet effet.
Plusieurs mesures ont ensuite été annoncées en Conseil des ministres du 17 avril, comme la nomination du général Jean-Louis Georgelin comme représentant spécial du Président et du Gouvernement pour la reconstruction de la cathédrale.
L’intégralité des dons pour Notre-Dame de Paris
Très vite, l’afflux des dons a suscité de nombreuses questions. Au-delà de la polémique sur une mobilisation que d’aucuns ont pu juger comme disproportionnée, non seulement l’afflux et la gestion de ces sommes ont posé souci mais aussi leur affectation. La gestion de la souscription a donc été confiée à plusieurs établissements et fondations d’utilité publique habilités à collecter des dons (le Centre des monuments nationaux, la Fondation Notre-Dame, la Fondation du patrimoine et la Fondation de France). « La définition d’un cadre pour la gestion de cette souscription vise à permettre à chacun de contribuer de façon transparente et sécurisée, et à garantir que la totalité des dons réalisés soit bien affectée à la reconstruction de Notre-Dame » indique Anne Brugnera, la rapporteure. Le texte tel qu’adopté par les députés acte l’ouverture d’une souscription nationale depuis le 16 avril et valide que l’ensemble des dons recueillis iront à l’Etat ou à un établissement public. Mais face aux interrogations sur la destination des dons, Franck Riester, le Ministre de la Culture a dû réaffirmer que l’intégralité des dons irait « uniquement et intégralement à Notre-Dame » et « même si les dons dépassent le coût du chantier ». Au sein de la majorité et en Commission, d’autres voix ont cependant été entendues estimant qu’il « ne serait pas incongru que l’élan populaire pour Notre-Dame puisse aussi financer le patrimoine en danger ». L’article 2 du projet de loi prévoit donc que « Les fonds recueillis au titre de la souscription nationale sont destinés au financement des travaux de conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et de son mobilier dont l’État est propriétaire ainsi qu’à la formation initiale et continue de professionnels disposant des compétences particulières qui seront requises pour ces travaux ». Le projet de loi instaure également un dispositif fiscal généreux pour les donateurs privés avec une réduction d’impôt de 75 % au lieu de 66 % dans la limite de 1000 euros.
Article 9 : « un chèque en blanc » ?
En Commission, le projet de loi a fait débat avec l’article 8 habilitant le Gouvernement à créer par ordonnance un établissement public spécifique chargé de concevoir, réaliser et coordonner les travaux de restauration et surtout l’article 9 habilitant le Gouvernement « à prendre par ordonnance toutes dispositions législatives permettant de faciliter la réalisation de ces travaux, en précédant le cas échéant à des adaptations ou dérogations aux règles d’urbanisme, de protection de l’environnement, de voirie, de commande publique ou de domanialité publique ». En Commission, l’ancienne ministre de la culture, Marie-George Buffet a dénoncé la méthode et le moyen : « vous envoyez ce message : pour aller vite, il faut contourner les règles ». Dans l’hémicycle, on a entendu Frédérique Dumas (UDI-Agir) dénoncer ce principe dérogatoire : « vous nous proposez, par habilitation de vous donner un chèque en blanc » a-t-elle lancé. Ce texte que certains qualifient même de loi d’exception inquiète aussi les juristes qui craignent un précédent en matière de restauration du patrimoine. Les juristes mais aussi l’opinion publique que dans un sondage Odoxa ont dit refuser « une loi d’exception » (72 %). « Cet article est le pire du texte. Il nous propose de nous affranchir de toutes les règles pour aller plus vite » s’est indigné Marc Le Fur (LR). Cet article est même pour Jean-Louis Bourlanges (MoDem) « celui qui résume tous les défauts de ce projet de loi, inutile et abusif ».
Ne pas confondre « vitesse et précipitation »
Vite, c’est bien aussi ce qui pose problème. Ce délai de cinq ans exigé par le Chef de l’Etat a notamment provoqué l’ire des professionnels du patrimoine qui s’en sont pris à ce calendrier : « Laissez le temps du diagnostic aux historiens et aux experts avant de vous prononcer sur l’avenir du bâtiment » écrivent 1700 signataires dans le Figaro (29 avril). La course de vitesse engagée par Emmanuel Macron devrait permettre, selon le Chef de l’Etat, à la cathédrale d’être encore « plus belle », et fin prête pour les Jeux Olympiques de 2024 croient certains même si l’Elysée dément. « Moi, je ne demande pas qu’elle soit plus belle, mais à l’identique » s’est époumoné en séance Thierry Benoit (UDI, Ille-et-Vilaine). Un dialogue de sourd s’est alors engagé entre l’opposition qui par voie d’amendements a tenté de remplacer « reconstruction » par « restauration ». Mais, compte-tenu du délai, il apparaît d’ores-et-déjà impossible de refaire Notre-Dame à « l’identique » comme l’exige l’opposition. Ce qui d’ailleurs ne semble n’avoir jamais été l’objectif du Chef de l’Etat qui dans son allocution a souhaité « un geste architectural contemporain » pour remplacer la flèche de Viollet-le-Duc avec le lancement d’un concours international d’architecture. En présentant le texte, la rapporteure estimait que « l’utilisation des techniques modernes dans les travaux est même souhaitable ». « Le Premier ministre veut une nouvelle flèche adaptée aux enjeux de notre époque. Est-ce que les saints devront être à parité hommes et femmes ? Est-ce qu’il y aura une éolienne dans la flèche ? Est-ce qu’elle devra récolter de l’eau pour faire des petits potagers bio ? » a lancé, caustique, Pierre-Henri Dumont (LR, Pas-de-Calais). Franck Riester, après avoir pointé du doigt une opposition coupable de vouloir « politiser » le débat s’est toutefois montré prudent quant aux aménagements futurs : « La décision n’a pas été prise », « un geste contemporain (…) ne veut pas forcément dire en rupture » avec l’existant. Des propos qui n’ont pas rassuré, le « Monsieur Patrimoine » et pourtant proche du président, Stéphane Bern : « Allez expliquer aux donateurs que vous allez faire un geste architectural ! Les gens ont payé pour revoir Notre-Dame comme ils la connaissaient » a-t-il ainsi dit au Figaro.
Mais plusieurs élus se demandent si, au fond, derrière tout cela ne se profile pas une volonté jupitérienne comme semble le croire Guillaume Larrivé (LR, Yonne) : « nous avons besoin que vous nous garantissiez que l’intention du Président de la République n’est pas de façonner à sa main la cathédrale Notre-Dame de Paris ». La députée communiste Elsa Faucillon s’est elle aussi inquiétée de voir le Chef de l’Etat s’improviser « architecte en chef, décrétant vouloir un délai de cinq ans pour la reconstruction ». Au final, ils sont nombreux à dénoncer un projet de loi d’exception en déplorant que l’exécutif confonde « vitesse et précipitation ». ■
Et au Sénat…
« Cette loi est exceptionnelle, mais elle n’est plus une exception depuis qu’elle a été réécrite par le Sénat » résume le sénateur socialiste de Paris David Assouline après l’adoption du texte de loi largement remanié par la Haute Assemblée le 28 mai dernier. De nombreux points litigieux du projet de loi ont ainsi été revus et corrigés par le Sénat, voire même supprimés comme l’article habilitant le Gouvernement à déroger à certaines règles (urbanisme, environnement, construction, préservation du patrimoine, commande publique). Franck Riester a bien tenté le rétablissement de cet article 9 mais en vain. Pour le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, par ailleurs conservateur du patrimoine, cela s’apparentait à une « dépossession » des autorités compétentes « au profit d’un dispositif contrôlé depuis le plus haut sommet de l’Etat ». C’est aussi ce fameux délai de 5 ans imposé par le Chef de l’Etat qui a agacé les sénateurs. « Vous ne savez pas encore où vous allez aller. On ne sait qu’une chose, c’est qu’il y a une injonction : c’est cinq ans. Et pour le reste, on ne sait pas » a dénoncé David Assouline. « Que vous vouliez aller vite, pourquoi pas ? À condition que cela reste un objectif et non pas un impératif, Le chantier durera ce qu’il doit durer » a ajouté la présidente centriste de la Commission de la Culture Catherine Morin-Desailly. « À la patience, vous substituez l’urgence (...), à la persévérance vous substituez la performance » s’est emporté le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau. Contre l’avis du Gouvernement, les sénateurs ont aussi pu inscrire dans la loi le fait de « préserver l’authenticité et l’intégrité » de Notre-Dame qui devra être fidèle au « dernier état visuel connu » du monument avant l’incendie, flèche comprise.