En particulier, après la manifestation du 16 mars 2019, et son bilan matériel ainsi que symbolique particulièrement lourd, le Président de la République a laissé entendre que des mesures correctives, voire punitives, pourraient être prises à l’encontre de la Préfecture de police.
Cette administration bicentenaire fait l’objet d’attaques féroces : elle serait tour à tour responsable de la hausse de la délinquance, fragilisée par la complexité de son organisation interne, minée par l’enchevêtrement de ses compétences avec la mairie de Paris et insuffisamment attractive pour les policiers qui y servent et qui demanderaient à la quitter dès la fin de leur obligation minimale de service. Si l’on ne saurait nier la complexité de l’organisation de la Préfecture de police, la force d’inertie de certaines de ses structures, ou la sédimentation de ses cadres, il paraît excessif de vouer aux gémonies cette instance qui a pu essaimer à Marseille par exemple.
La question de sa modernisation est parfaitement légitime si elle s’attache à son organisation générale plutôt qu’à ses résultats ponctuels, si l’esprit qui l’anime construit plus qu’il ne déconstruit, bref si l’effet recherché est celui de la réforme de long terme et non la revanche à court terme.
Alors que ni la nature, ni l’étendue d’une réforme de la Préfecture de police ne sont officiellement annoncées, cette dernière pourrait efficacement s’articuler autour de deux axes forts :
• Le premier consisterait à consolider les prérogatives de la Préfecture de police en matière de sécurité publique, d’ordre public et de sécurité civile ;
• Le second entamerait la bascule progressive des compétences relatives à la lutte contre l’immigration irrégulière, à la police judiciaire et au renseignement aux directions centrales de la Direction générale de la police nationale (DGPN).
Savoir tirer profit du particularisme parisien renforcer les prérogatives de la Préfecture de police en matière de sécurité publique, d’ordre public et de sécurité civile
Nouveau Préfet de police, Didier Lallement souhaite accorder une priorité à la « fluidité et la rapidité de la décision en ordre public » couplée à une « déconcentration au profit des commissaires de police ». Cette déconcentration, qui repositionne le commissaire, en tant qu’autorité civile à la tête du dispositif sur le terrain, doit s’accompagner d’une définition plus claire des prérogatives propres aux échelons stratégiques et tactiques au sein de la Préfecture de police (Préconisation n°1). Par ailleurs, la volonté de Didier Lallement de conforter le monopole de la DOPC dans la conduite des opérations d’ordre public et de circulation devrait être renforcée par la rédaction de règlements spécifiques fluidifiant les rapports entre les deux entités (Préconisation n°2). En raison des spécificités de la plaque parisienne (manifestations, visites protocolaires, flux massifs de touristes) un renforcement de l’autonomie fonctionnelle de la DOPC et de la DSPAP vis-à-vis de la DGPN apparaît comme souhaitable (Préconisation n°3). Dans cette logique, la future architecture de la PP devra donner une marge d’adaptation nécessaire par rapport aux doctrines de la DGPN afin d’expérimenter des modèles d’organisation et des méthodes d’intervention propres aux particularités parisiennes (Préconisation n°4).
La BSPP (1ère brigade européenne et 3ème au monde avec 8 500 personnels) incarne un modèle expert de la sécurité civile en zone urbaine dense. Son rattachement à la PP présente l’avantage d’avoir induit une très forte interopérabilité avec les autres services de la Préfecture, non seulement la DOPC et la DSPAP mais aussi la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) avec laquelle ont lieu des entraînements. Cette culture commune de travail doit être aujourd’hui être préservée (Préconisation n°8). Face aux fragilités sociales et à la difficulté d’accès à des médecins, la population se tourne désormais de plus en plus vers la BSPP, seul service public à même de fournir uniformément sur la plaque parisienne un service de secourisme qualitatif en moins de dix minutes. Cette sur-sollicitation opérationnelle met en péril l’efficacité du modèle de la BSPP en la privant du temps qu’elle devrait normalement allouer à la préparation physique et tactique de ses personnels. Face à cette difficulté, l’enjeu ne réside pas tant dans l’augmentation des budgets que dans le développement de logiques de subsidiarité (Préconisation n°9). La BSPP doit pouvoir se recentrer sur son cœur de métier (l’urgence) et déléguer à d’autres acteurs de proximité les interventions présentant un faible degré d’urgence et de gravité. En parallèle, l’interopérabilité avec le SAMU doit être accentuée.
La Police municipale parisienne, dont Anne Hidalgo a annoncé la création pour l’automne 2019, doit inscrire son action dans un cadre partenarial avec la Préfecture de police (Préconisation n°10). Il s’agit pour elle, non de remettre en cause les prérogatives de la Police nationale mais de chercher à faciliter le recentrage de cette dernière sur son cœur de métier (délinquance de voie publique, lutte contre le trafic de stupéfiants, enquêtes judiciaires, etc.). L’équipement des policiers municipaux (bâton de défense, bombes lacrymogènes, …) n’a toutefois nul besoin d’être étendu. Au contraire, leur armement systématique en arme de poing de calibre 9 mm créerait une confusion avec la Police nationale (Préconisation n°12).
Immigration, police judiciaire, renseignement : organiser la bascule au profit des directions centrales de la DGPN
Si le rattachement de la mission de lutte contre l’immigration irrégulière à la DCPAF fait aujourd’hui consensus, ses modalités méritent un examen minutieux (Préconisation n°13) car plusieurs risques persistent : d’abord, une possible dégradation des conditions de circulation de l’information entre la police de sécurité publique des territoires et la nouvelle entité. L’affectation d’un agent ou d’un bureau de liaison à la Préfecture de police permettrait d’y remédier (Préconisation n°14). La pérennité de cette action partenariale implique également que les maires d’arrondissement soient mis en contact avec leurs nouveaux interlocuteurs (Préconisation n°15). Enfin ce transfert nécessiterait une clarification de la répartition des compétences entre la DCPAF et la PP sur les plateformes aéroportuaires de Roissy-Charles de Gaulle et d’Orly.
La feuille de route du nouveau Préfet de police évoquerait également un possible rattachement de la Direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de la PP à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), de sorte à limiter la concurrence entre les services d’investigation et simplifier l’organisation de la filière sur le territoire national. Deux difficultés majeures persisteraient alors. La première concernerait le traitement des doublons entre les brigades centrales de la DRPJ et les Offices centraux de la DCPJ. La solution la plus évidente consisterait en un rattachement de ces brigades aux offices centraux correspondants (Préconisation n°16). La seconde, plus complexe, a trait au devenir de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) de la Préfecture de police, forte d’une double compétence de police judiciaire et d’intervention. S’il est envisagé que l’intervention dite « de 3ème niveau » bascule au RAID tandis que demeureraient les opérateurs de police judiciaire, en charge notamment des filatures et des interpellations (la BRI Paris s’apparenterait ainsi à une BRI régionale classique), la future unité d’intervention parisienne devrait, par conséquent, conserver une implantation dans Paris intra-muros pour préserver l’effectivité du contrat opérationnel qui prévoit un délai d’intervention maximal de 20 minutes (Préconisation n°17). Par ailleurs, si ses capacités d’intervention devaient être transférées au RAID, le maintien d’une forte coordination entre ce dernier et les autres services de la Préfecture de police serait alors indispensable (Préconisation n°18).
Malgré deux tentatives avortées de réforme (2008 et 2014), la DRPP dispose d’une vision globale du spectre du renseignement sur un phénomène donné. La logique commanderait pourtant que les compétences actuelles de la DRPP soient partagées entre la DGSI (pour le haut du spectre), et le SCRT pour une couverture homogène de l’intégralité de l’Île-de-France (Préconisation n°19). Le succès d’une telle réforme reste cependant conditionné au fait que le Préfet de police dispose d’une autorité fonctionnelle effective sur le SCRT parisien afin d’orienter les priorités en fonction des enjeux de sécurité de la plaque parisienne et que le SCRT soit pleinement capable d’assurer le suivi des communautés étrangères face aux enjeux que pose l’hyper-concentration de lieux diplomatiques et consulaires (200 ambassades) à Paris.
Exporter le modèle de sécurité parisien rénové
Nonobstant les critiques et les ajustements qui ont jalonné son histoire bicentenaire, le modèle intégré de la Préfecture de police ne connaît pas de dysfonctionnements majeurs. Le défi de la coordination des acteurs de la sécurité intérieure est ancien ; la force de la PP a été de le relever au moyen d’une efficace, et toute napoléonienne, hyper centralisation. S’il est aujourd’hui légitime d’envisager son articulation avec les autres entités de la DGPN, le point d’équilibre qui en résultera ne manquera pas d’inspirer les autres préfectures sur la réforme de leur propre organisation. Au-delà de différences de taille, la création d’une Préfecture de police marseillaise montre que ce modèle n’a rien d’irréaliste, ni d’inopérant. On pourrait ainsi imaginer le déployer, une fois réformé, sur certaines métropoles (Lille, Lyon, Marseille, …). (Préconisation n°20). ■
* L’Hétairie est une association qui a pour objet de produire et de diffuser une réflexion de gauche sur l’ensemble des sujets qui structurent la vie politique française. Elle contribue au débat d’idées par des propositions destinées à mettre en valeur les contributions de ses membres. Elle entend participer au renouveau de l’action publique.