Ce penchant pour la deuxième économie de la planète que dirige avec de plus en plus de fermeté et d’autoritarisme Xi Jinping, n’a en soi rien de condamnable, d’autant plus si l’on suit une ligne gaullo-mitterrandiste ou chiraquienne, c’est-à-dire que l’on défend l’idée d’une France plus autonome vis-à-vis de l’allié américain. Seulement derrière ce vernis géostratégique se cachent aussi des logiques plus personnelles, carriéristes ou affairistes. A cet égard, il est assez troublant de constater à quel point certains de nos plus éminents hommes politiques ou diplomates se sont ces dernières années fait les chantres de l’amitié franco-chinoise. Même lorsque celle-ci débouche sur des contrats léonins, du partage technologique au profit de Pékin et bien souvent sur des destructions d’emplois dans l’Hexagone.
Parmi ces hérauts français de l’Empire du Milieu, nous pouvons citer le cas d’Emmanuel Lenain. Chef de la direction Asie et Océanie du Quai d’Orsay (2015-2017), puis conseiller diplomatique d’Édouard Philippe à Matignon, cet énarque est depuis septembre le nouvel ambassadeur de la France en Inde. A côté de ces fonctions publiques, Emmanuel Lenain a également cofondé en 2012, lorsqu’il était consul général à Shanghai (2010-2015), la France China Foundation qui se décrit comme une « plateforme de dialogue entre les leaders français et chinois d’aujourd’hui et de demain ». Celle-ci, qui sélectionne chaque année une quarantaine de personnalités françaises et chinoises amenées à jouer un rôle dans leur pays (Emmanuel Macron ou Édouard Philippe ont par le passé figuré dans ce classement), se montre surtout particulièrement active dans l’organisation d’événements franco-chinois. Et cela s’avère pour le moins lucratif. Ainsi, contre un chèque qui peut aller de 15.000 à 50.000 euros par an, la France China Foundation, propose aux entreprises plusieurs offres, principalement des invitations à ses événements et de la mise en avant publicitaire. Cette double-casquette du diplomate a toutefois fini par faire grincer quelques dents au sein du pouvoir. Elle a même empêché Emmanuel Lenain d’être nommé ambassadeur à Pékin en septembre comme il l’espérait. « Le Quai d’Orsay a défendu auprès de l’Élysée qu’il n’était pas bon de nommer à Pékin une personne qui n’avait jamais été ambassadeur jusque-là et a pointé le mélange des genres lié à la France China Foundation » nous a précisé un cadre du ministère.
Ancien patron d’Emmanuel Lenain au ministère des Affaires étrangères, Laurent Fabius fait également partie de cette catégorie des « amis de la Chine ». Il l’a démontré lorsqu’il dirigeait le Quai d’Orsay (2012-2016), par l’intérêt porté à Jack Ma, le fondateur du géant du commerce en ligne chinois Alibaba. Homme le plus riche de Chine avec une fortune estimée à 40 milliards de dollars, Jack Ma s’est vu remettre des mains de Laurent Fabius en mai 2016 la légion d’honneur. Quelques mois plus tôt, le ministre des Affaires étrangères, promoteur d’une diplomatie économique plus musclée, avait surtout œuvré au rapprochement entre la France et Alibaba. Ainsi en mai 2014, le gouvernement et le géant chinois ont signé un protocole afin de faciliter les exportations des entreprises françaises en Chine via la plateforme de vente en ligne Tmall d’Alibaba. Un système de distribution très intéressant pour les marques tricolores qui lorgnent le gigantesque marché chinois, Alibaba y comptant plus de 550 millions d’utilisateurs actifs. Mais la négociation de cet accord a aussi provoqué une véritable levée de boucliers au sein de l’administration française ; une partie de celle-ci pointant du doigt le très grand nombre de produits contrefaits vendus sur les sites d’Alibaba. « Cet accord revenait en quelque sorte à pactiser avec le diable, appuie un haut fonctionnaire. D’un côté nous déclarons la guerre à la contrefaçon qui est un véritable fléau et de l’autre nous signons un accord avec une entreprise qui propose d’acheter de nombreux produits contrefaits, notamment français. Bercy, les douanes et les services de renseignement n’y étaient pas favorables. Le Quai et Fabius, si. Ils ont eu gain de cause ». Le patron du Quai d’Orsay espère aussi à cette époque convaincre le milliardaire chinois d’ouvrir en France une plateforme logistique destinée à livrer les produits européens vers les consommateurs chinois. « Si (Jack Ma) décide de choisir un hub d’implantation, possiblement en France – c’est sa décision – nous avons proposé plusieurs sites » déclare-t-il en octobre 2014. Des appels du pied qui ne seront pas couronnés de succès puisque c’est à Liège, en Belgique, que Alibaba décidera d’implanter son premier hub en Europe.
L’actuel président du Conseil constitutionnel n’est pas le seul ancien Premier ministre à avoir un faible pour Pékin. Reçu comme un quasi chef d’État à chacun de ses déplacements en Chine, Jean-Pierre Raffarin est lui entré dans le cercle très fermé des « grands et vrais amis de la Chine », aux côtés du célèbre diplomate américain Henry Kissinger par exemple. Avec l’industriel Alain Mérieux, l’ex sénateur est probablement la personnalité française la plus en cour à Zhongnanhai, l’Élysée chinois. A l’aise en « Sarkozie » - l’ex chef de l’État lui avait proposé le poste d’ambassadeur en Chine en 2009, Jean-Pierre Raffarin l’est également en « Macronie ». Il s’est ainsi vu confier début 2018 une mission de soutien aux entreprises françaises en Chine et a été nommé représentant spécial du gouvernement pour la Chine.
Mais l’ex élu de la Vienne œuvre aussi au « rapprochement franco-chinois » à titre plus personnel. La liste de ses activités liées à la Chine est pour le moins fournies. Jean-Pierre Raffarin est ainsi : membre du board du Forum de Boao, le Davos asiatique ; président de la fondation Prospective et Innovation qui organise notamment tous les étés à Poitiers un séminaire sur la Chine ; président du colloque économique franco-chinois du Comité France-Chine (un organe d’influence français auprès des décideurs chinois) ; co-président du Forum sino-européen des affaires (un autre lieu de rencontres entre businessmen des deux pays) ; administrateur de l’équipementier automobile Plastic Omnium en Chine ; membre du conseil stratégique de la France China Foundation et enfin Professeur à l’école de commerce sino-européenne CEIBS basée à Shanghai (Jean-Pierre Raffarin dirige la « Chaire du Général de Gaulle » et dispense un cours comparatif des stratégies de leadership chinoises et françaises).
Des casquettes multiples et variées qui ne plaisent pas à tout le monde au sein de l’État, lequel compte plusieurs contempteurs de l’ancien Premier ministre et pointent une certaine « confusion entre son action au service de la France et les intérêts privés qu’il défend ». Des accusations rejetées en bloc par Jean-Pierre Raffarin. « Penser que je roule pour la Chine est totalement indécent. J’ai aidé plus de mille entreprises françaises ces dernières années en Chine. J’ai toujours défendu des intérêts français et je ne serai, par exemple, jamais membre du conseil d’administration d’une entreprise chinoise » soutient-il. Quant à ceux qui épinglent son prosélytisme lorsqu’il défend les concepts « d’harmonie » ou de « communauté de destin partagé », loués par le parti communiste chinois pour justifier son maintien au pouvoir, l’ex sénateur se veut chiraquien. « Nous devons parler avec tout le monde. La Chine est aujourd’hui une puissance que nous ne pouvons pas ignorer. Nous devons échanger avec elle et surtout trouver des équilibres dans cette guerre entre Pékin et Washington ». Pas sûr toutefois que le point d’équilibre pour la France soit de s’aligner sur le discours de Pékin. ■
*Antoine Izambard est journaliste au magazine économique Challenges om il couvre l’actualité internationale depuis 2014.
Vient de publier « France-Chine, les liaisons dangereuses – espionnage, business... révélations sur une guerre secrète » aux éditions Stock – 250 pages