En tant que députée et scientifique, il s’agit pour moi d’un chantier clé, avec celui de l’énergie et de la protection de la nature, qui nous permettra d’opérer cette transition écologique que nous appelons désormais tous de nos vœux. Ces trois chantiers sont d’ailleurs intimement liés et constituent un véritable projet de société : nous devons sortir du tout jetable et faire table rase de la société de consommation que nous avons héritée des trente glorieuses.
Comme le rappelait l’introduction de la « feuille de route pour une économie circulaire », qui sert de base au projet de loi porté par Brune Poirson, « le XXème siècle a été celui des gains de productivité sur le travail, le XXIème doit être celui des gains de productivité sur la ressource ». Aucun progrès technique et technologique ne remplacera la sobriété. Repenser notre rapport à la ressource, c’est aussi permettre à la France de réduire sa dépendance aux importations de matières premières et renforcer sa souveraineté.
Forts de ce constat, nous avons entamé, dès le début de la mandature en 2017, les travaux de concertation et d’élaboration de la « feuille de route de l’économie circulaire » afin de fixer des objectifs inédits et clairs en vue d’accélérer cette transition.
Le chemin est long et doit mener bien au-delà de ce texte de loi
La France se doit de progresser en matière d’économie circulaire. Elle est en retard par rapport à ses voisins européens. En 2014, le taux de valorisation des déchets ménagers n’était que de 39 %, un taux très inférieur à celui des Allemands (65 %) ou des Belges (50 %). 20 % des emballages plastiques sont effectivement recyclés alors que la moyenne européenne s’élève à 30 %. Le taux de collecte de bouteilles plastiques est en moyenne de 55 % alors que le taux de recyclage atteint plus de 90 % dans les pays nordiques.
La synthèse des travaux remise en janvier 2018 démontre la volonté du gouvernement de faire preuve d’ambition avec des objectifs chiffrés : Tendre vers 100 % de plastiques recyclés en 2025, réduire de 30 % la consommation de ressources rapportées au PIB d’ici à 2030 par rapport à 2010, réduire de 50 % les quantités de déchets non dangereux mis en décharge en 2025 par rapport à 2010, économiser 8 millions de tonnes de CO2 par an grâce au recyclage du plastique.
Ces objectifs trouvent leur traduction concrète dans le texte de loi « Anti-gaspillage pour une économie circulaire », qui s’inscrit dans la lignée du Plan climat présenté en début de mandat par Nicolas Hulot.
Ce texte pose ainsi les jalons de ce que nous devons faire pour passer du modèle économique linéaire « extraire, fabriquer, utiliser, jeter » à un modèle circulaire.
Il donne à la France les moyens d’accélérer et d’atteindre les objectifs européens, notamment l’objectif de collecte de 90 % des bouteilles plastiques.
Il interdit la destruction d’invendus non alimentaires. Nous devrons nous assurer que les acteurs concernés joueront le jeu, je pense particulièrement aux entreprises du luxe, et il faudra renforcer le texte dans ce sens, car cette disposition vise d’abord à développer le réemploi des articles et non le recyclage qui doit rester l’exception.
Il étend les filières de responsabilité élargie du producteur à de nouveaux secteurs comme les articles de sport, les mégots de cigarettes ou le BTP qui est le premier émetteur de déchets en France avec près de 40 millions de tonnes collectés en 2017.
La généralisation, prévue dans le texte, du système de consigne pour les bouteilles plastiques, suscite les inquiétudes des collectivités et a même été remis en cause par le Sénat mais c’est un moyen moderne d’assurer un taux de collecte élevé et de lutter contre la pollution plastique. Elle fera l’objet d’une discussion approfondie à l’Assemblée nationale afin qu’elle ne devienne pas une incitation pour les entreprises à recourir au plastique et ne déstabilise pas le mode de collecte mis en place par les collectivités.
Pour autant, ce texte a été largement salué par les acteurs de l’économie circulaire comme un texte majeur. Mais il faut déjà penser à l’après, aller plus loin et réfléchir à amplifier le phénomène.
La réduction de la production de plastique doit être notre priorité.
Il est impératif de se poser la question de la sortie du plastique, car les objectifs d’incorporation de matières recyclées ne règlent pas le problème de la pollution.
Il est nécessaire de repenser notre calendrier avant qu’il ne soit trop tard. Les objectifs fixés par l’Union Européenne et par la France ne suffiront pas à enrayer le réchauffement climatique et la dégradation de la nature.
Il faut encourager la mobilisation de tous les acteurs, du citoyen au producteur, des collectivités aux entreprises. C’est une mobilisation générale qui doit porter notre ambition d’une économie 100 % circulaire en France et en Europe. Pour cela chacun doit prendre conscience qu’il est le moteur du changement par ses habitudes de consommation. Etendons nos efforts aux pratiques agricoles et alimentaires.
Favorisons l’apprentissage des bons réflexes dès l’école primaire, de la réparation au collège dans les cours de technologie, de l’économie circulaire au lycée, développons les cursus universitaires créant des compétences et des débouchés dans les nombreux secteurs de cette nouvelle économie.
Enfin nous devons miser davantage sur la recherche scientifique pour trouver de nouvelles méthodes de recyclage et anticiper les besoins à venir dans des secteurs en forte croissance comme celui des batteries de véhicules électriques.
Ce texte proposé par le gouvernement n’est que le début de quelque chose, il est la première pierre de l’édifice, nous devrons le renforcer, et cela commencera dès son passage à l’Assemblée nationale dans les semaines à venir.
Plus généralement, nous nous inscrivons encore dans une vision productiviste, alignant les mesures, certes ambitieuses et parfois efficaces, de correction du système mais sans réflexion quant à la possibilité de développer un projet économique alternatif.
L’économie ne doit pas seulement se réconcilier avec l’environnement, elle doit également se réconcilier avec son écosystème.
Les vertus d’un modèle circulaire ne sont pas qu’écologiques mais également sociales. Les bénéfices en termes de création de richesses de proximité, d’innovation, d’emplois non délocalisables (près de 300.000) et pouvant être pourvus par des publics non qualifiés sont potentiellement importants.
Mais plus encore, il s’agit de retisser un lien économique, social, dans des territoires qui en manquent cruellement. Or pour valoriser des territoires dans toute leur diversité, l’économie classique ne suffit pas, au contraire, elle peut être parfois dévastatrice.
Les plateformes de ventes en ligne, telles qu’Amazon, installent des entrepôts gigantesques aux portes de nos villes, détruisent ainsi des tissus sociaux et économiques parfois fragiles, vident les centres-villes de toute activité économique pérenne, créent peu d’emplois viables par rapport à ceux détruits, sans compter les savoir-faire qui disparaissent avec. Nous devons réagir face à ce court-termisme économique suicidaire et imposer des règles plus strictes avec, par exemple, un moratoire sur les nouvelles installations d’entrepôts de ce type.
Pour autant, le numérique représente une opportunité majeure dans la transition vers une économie circulaire, notamment par la mise en réseau qu’il permet et l’accès à la donnée qu’il facilite pour le citoyen.
Elue d’une circonscription rurale, j’ai souhaité, dès le début de mon mandat, mettre en avant ce modèle d’économie verte et circulaire, parce qu’elle est une source d’innovation sociale et qu’elle permet la mobilisation des territoires autour de projets porteurs de sens.
Voilà pourquoi nous resterons mobilisés pour donner à cette économie, l’opportunité et les moyens de changer d’échelle et de faire entrer toute la France dans une ère nouvelle. ■