La plante Cannabis sativa possède, selon la variété, de nombreuses propriétés, de ses fibres utilisées pour le papier ou les cordages jusqu’aux molécules ayant des effets biologiques, notamment psychoactifs, ce qui lui a valu son classement en tant que stupéfiant par l’ONU en 1961.
Une seule espèce de chanvre Cannabis sativa, dépourvue de la molécule psychotrope THC, est aujourd’hui cultivée en France. Elle est dénommée « chanvre industriel » car les fibres issues de la tige de la plante servent à des applications de cette nature ; elle peut aussi être consommée, sous la forme d’huile, de farine ou de graines.
Un sujet politiquement sensible qu’il faut consolider scientifiquement
Le sujet, politiquement sensible, n’a pas pour autant empêché les parlementaires de s’en saisir. C’est dans ce contexte que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a souhaité porter un éclaircissement sur les connaissances scientifiques actuelles en matière d’usage du cannabis. Pour une analyse scientifique plus ciblée, j’ai été chargée par l’OPECST de produire une note sur « les enjeux sanitaires du cannabis » dont j’ai rendu les conclusions le 7 novembre 2019. J’ai ainsi jugé utile d’examiner les différents aspects sanitaires du cannabis : à la fois les effets bénéfiques dans le soulagement de symptômes et, les effets négatifs plutôt associés à une consommation dite « récréative ».
Il est communément accepté de classer les multiples utilisations de cette plante en trois catégories : « médical », « bien-être » et « récréatif ». Les enjeux pour chacun de ces usages sont différents et si le cannabis « médical » est aujourd’hui largement autorisé dans de nombreux endroits, l’usage du cannabis à des fins dites « récréatives » reste globalement interdit à travers le monde.
Cependant, l’évolution de la législation en Amérique du Nord, en Uruguay, aux Pays-Bas et dans plusieurs autres pays nous amène à réintroduire le débat autour de ce produit et à approfondir notre travail sur les effets sanitaires de cette plante, tous usages confondus.
Le débat est constant depuis des années et agite bien au-delà de la communauté scientifique. Disons-le clairement, le potentiel économique d’un tel marché se compte en milliards d’euros et aiguise les appétits de nombreux acteurs qui ont un intérêt à ce que l’on accélère en direction d’une libération de la réglementation sur le cannabis.
Il s’agit dès lors de sortir de l’agitation et des débats de postures, souvent motivés par l’idéologie ou le marché, pour se recentrer sur cette question essentielle : quels sont les effets du cannabis sur la santé ? Autant le dire, la réponse n’est pas évidente. Les études internationales manquent et sont parfois orientées, le monde de la recherche en a publié un nombre conséquent mais elles ne sont que peu exploitées et en France nous manquons pour le moment de spécialistes et de laboratoires prêts à se lancer dans des études approfondies à cause des freins liés à l’interdiction du cannabis.
Des effets palliatifs reconnus pour le traitement de certains symptômes malgré des risques bien connus pour des publics fragiles
Notre pays est en retard sur le plan du cannabis médical et de ses différentes utilisations. Nous savons cependant que les principaux effets positifs de la plante résident dans le caractère palliatif des molécules issues du cannabis. Elles permettent de soulager certains symptômes de maladies comme la sclérose en plaques, le sida, le cancer, l’épilepsie. C’est d’ailleurs ces maladies qui seront au coeur de l’expérimentation votée par les députés.
Les risques pour la santé, liés à la consommation de cannabis résultent, eux, des effets psychoactifs du THC et de la perturbation du fonctionnement du cerveau en phase de développement jusqu’à 25 ans. La consommation de cannabis s’avère donc risquée pour un certain nombre de publics fragiles, principalement les jeunes, qui s’exposent, en plus des risques pour leur santé, à des risques de décrochage scolaire qui auront des répercussions définitives sur leur vie future.
La consommation de cannabis a également un impact sur le développement de maladies mentales comme la schizophrénie avant 25 ans.
Nous avons également constaté que de nombreuses femmes enceintes consommaient du cannabis, ignorant bien souvent les risques qu’elles font courir à l’enfant et à elles-mêmes.
Amplifier la prévention et la recherche scientifique
Le sujet est politique, presque philosophique, car il touche à la liberté de l’individu : jusqu’où protéger des individus éclairés et conscients des risques contre eux-mêmes en les empêchant d’utiliser certains produits psychotropes et dangereux pour la santé ? Cette question, nous nous la posons également pour l’alcool et le tabac qui causent une dépendance plus importante que le cannabis à ceux qui en consomment mais qui sont des produits largement plus acceptés.
Le sujet est aussi celui de la cohérence des politiques de santé publique que nous mettons en place : à l’heure où nous portons à 10 e le paquet de cigarettes, est-ce bien cohérent d’envisager une légalisation du cannabis dit « récréatif » ? Si nous décidons de lutter pour une société plus libérée des produits dangereux à long terme pour la santé, il semble inenvisageable d’autoriser une quelconque utilisation fumée du cannabis.
C’est aussi une question d’efficacité des politiques mise en place. Il apparaît indispensable d’accentuer et étendre de manière conséquente la prévention quant aux effets négatifs sur la santé du cannabis auprès des publics les plus fragiles.
Il est impératif de développer une véritable culture de la prévention au sein de l’Education nationale afin de construire un discours qui ne se concentre pas uniquement sur l’aspect répressif mais présente aussi les impacts sur la santé de la consommation de cannabis. Cette prévention doit commencer dès l’entrée au collège, c’est-à-dire avant que les collégiens ne soient entrés en contact avec le produit.
Il convient également de se référer aux différentes expériences de légalisation de certains usages dans le monde et d’en tirer des leçons qui sauront éclairer notre jugement. La France est, pour différentes raisons, l’un des principaux consommateurs de cannabis au monde. Il faut établir les constats qui s’imposent quant à l’échec de la politique particulièrement répressive menée depuis des années et qui n’a pas empêché le joint de devenir un produit courant de consommation.
Enfin, il est nécessaire d’encourager la recherche académique et industrielle. D’une part, pour établir rigoureusement la pertinence d’une utilisation médicale du cannabis et d’autre part pour mieux identifier les mécanismes d’action du cannabis et les conséquences biologiques et comportementales qui en découlent.
Pour cela, la première mesure à mettre en place pourrait consister à faciliter l’accès des chercheurs à tous les types de cannabis, y compris ceux que l’on achète dans la rue (ceux contenant les plus forts taux de THC) pour permettre une évaluation optimale des conséquences sanitaires de cette consommation.
Nous devons agir pour une meilleure compréhension de ce produit afin de ne plus être débordés par sa consommation illégale et tirer le meilleur profit sanitaire de ses effets positifs. L’outil scientifique est encore trop mis de côté lorsqu’il s’agit du cannabis, cela doit cesser, car il est le meilleur appui pour permettre aux pouvoirs publics de prendre les décisions difficiles qui se présenteront à eux. ■