Quel impact économique ?
À long terme, les pertes économiques dépendront de l’accord commercial final avec l’UE. Elles seront d’autant plus fortes que les relations entre le Royaume-Uni et le reste de l’UE seront distendues : absence d’accord (application des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, OMC) ou accord commercial a minima, peu éloigné des règles de l’OMC.
Sauf changement de ce qui a été décidé au niveau de l’UE, le calendrier actuel laisse peu de chance de trouver un accord commercial très approfondi. Si l’accord de retrait, dit aussi accord de divorce, est approuvé d’ici fin janvier 2020, il faudra ensuite négocier un accord définissant les nouvelles relations commerciales en trois années maximum : la période de transition jusqu’à fin 2020 ne pourra être prolongée que deux fois. Or les accords commerciaux approfondis nécessitent entre 5 et 7 ans pour être finalisés.
Le coût économique d’un accord commercial a minima est d’abord le miroir inversé des gains qu’avait engendré la suppression des droits de douane et des temps d’attente aux frontières. Mais il y a des coûts induits beaucoup plus importants, comme de plus faibles investissements étrangers, des chaînes de valeur ajoutée moins efficaces, une moins grande mobilité de la main d’œuvre, …
L’OCDE a estimé le coût cumulé du Brexit sans accord au bout de trois ans à 3 points de PIB pour le Royaume-Uni, mais à seulement un demi-point de PIB pour l’UE. Cet impact beaucoup plus faible est lié au fait que seulement 7 % des exportations de l’UE se font en direction du Royaume-Uni, tandis que 40 % des exportations britanniques se font vers les autres pays de l’UE.
Certains pays de l’UE, qui exportent relativement plus vers le Royaume-Uni, seront comparativement plus touchés. L’impact négatif sur le PIB irlandais pourrait être de 1,5 point au bout de deux ans. La France, elle, ne se différencierait pas de la moyenne européenne.
Au-delà de l’effet macro-économique, certains secteurs souffriront de façon plus marquée. Une étude sectorielle de l’OCDE montre qu’en Irlande l’agriculture ou les petits secteurs manufacturiers souffriraient énormément. En revanche, il y aurait des effets plus positifs sur certains secteurs des services, le secteur financier, par exemple.
Paradoxalement, les effets immédiats d’un Brexit sont les plus incertains. Comme après la catastrophe de Fukushima, où l’on s’est brutalement rendu compte que beaucoup de composants essentiels étaient fabriqués dans le nord du Japon, des chocs peuvent ne devenir apparents qu’au dernier moment étant donné l’imbrication étroite des économies.
La Commission européenne a cependant cherché à pallier les principaux risques. Elle a ainsi mis en place des clauses d’équivalence. Ainsi les règles de sécurité britannique en matière de transport resteront valides au regard des normes de l’UE. Trains, avions, bateaux continueront donc de circuler, au moins temporairement, entre le Royaume-Uni et l’UE.
Un autre risque difficile à apprécier est l’application future des règles. Par exemple, la dette bancaire émise avant le Brexit selon le droit anglais était implicitement soumise aux règles de l’UE. Après le Brexit, il reviendra au juge anglais de déterminer s’il faut encore appliquer les directives européennes de résolution bancaire en cas de faillite bancaire : c’est potentiellement une forte insécurité juridique.
Il y a enfin une incertitude très forte sur le degré de préparation, que ce soit des entreprises (quid de la constitution de stocks ?) ou des gouvernements (gestion des frontières ?). À titre d’illustration les entreprises irlandaises soumises à d’éventuels droits de douane seraient multipliées par neuf, et malgré ses efforts, l’Irlande n’est pas en état actuellement d’assurer un tel contrôle douanier.
Quelles conséquences humaines ?
La principale question humaine que pose le Brexit est celle des trois millions d’Européens qui vivent au Royaume-Uni. Il sera pratiquement impossible pour le Royaume-Uni de gérer l’attribution des titres de séjour avant la fin de la période de transition.
En outre, remplir les critères peut s’avérer difficile. Pour être accepté résident permanent, il faut notamment prouver cinq années de résidence, ce qui risque de poser un problème pour tous ceux qui ont un statut un peu particulier : ceux qui n’ont pas eu un travail en permanence, ceux qui en ont eu un, mais n’ont pas nécessairement les moyens de le prouver, ceux qui ne travaillaient pas, mais sont mariés à des personnes dont c’est le cas, ou encore les travailleurs frontaliers, qui sont très nombreux (notamment les Irlandais).
Du fait de ces complexités, des personnes pourraient faire face à des difficultés importantes, comme se retrouver sans assurance maladie. La situation pourrait même devenir dramatique en cas de retour des troubles en Irlande du Nord.
Quelles répercussions politiques pour l’Union européenne ?
Le départ du Royaume-Uni pourrait avoir des conséquences importantes sur les choix politiques de l’UE dans les années à venir, conduisant potentiellement à sa réorientation.
L’enjeu politique le plus immédiat sera la détermination du nouveau budget pluriannuel pour la période 2021-2027, qui reflètera le point d’équilibre entre les points de vue des États membres. Comme la contribution britannique représentait près de 7 % du budget de l’UE, l’UE devra faire des choix fondamentaux concernant la taille future de son budget, son orientation et son financement.
Le dernier rapport de l’OCDE sur l’UE a suggéré des pistes. D’abord de rationaliser certaines dépenses. Ainsi, l’ensemble des soutiens aux agriculteurs pourraient ne plus être liés au volume de production et les aides structurelles pourraient, elles, être recentrées sur les régions les plus pauvres. Ensuite en identifiant de nouvelles ressources. Compte tenu de sa relative petite taille, il ne serait sans doute pas opportun de réduire davantage le budget européen alors que de nombreuses dépenses, comme celles liées à la recherche, sont plus efficaces au niveau européen. Une piste serait d’augmenter les ressources propres de l’UE, avec par exemple une fraction plus grande de TVA ou de l’impôt sur les sociétés. Une autre option serait de reconsidérer les rabais accordés à certains pays contributeurs nets, rabais qui avaient été accordés à la suite du rabais britannique et qui ne justifieraient plus guère après la sortie britannique.
Le Brexit pourrait aussi jouer un rôle d’accélérateur pour certains projets. Par exemple la finalisation du projet d’union des marchés de capitaux va devenir plus urgent avec la diminution du rôle de la place financière de Londres. Ce serait une conséquence positive car cela renforcerait la capacité de la zone euro à résister aux crises.
Plus fondamentalement, la disparition de l’influence politique du Royaume-Uni pourrait affecter l’orientation politique globale de l’Union. Les Britanniques ont été les grands promoteurs du marché unique et de la concurrence. Avec leur départ, les partisans d’une politique industrielle pourraient prendre l’ascendant sur ceux d’une politique de la concurrence, comme l’a illustré récemment la polémique sur la fusion entre Siemens et Alstom. Ce serait une conséquence majeure de Brexit.
Enfin, le départ britannique pose la question des causes du rejet de l’UE. Une origine fréquemment évoquée du vote en faveur du Brexit est l’écart croissant entre les régions dynamiques et les autres : ce sont souvent les régions délaissées qui ont voté en faveur du Brexit. Le mouvement des gilets jaunes en France s’explique aussi en partie par le sentiment d’abandon qu’éprouvent les habitants des villes ou régions périphériques. Si l’UE veut éviter un désamour entre ses citoyens et son projet, elle devra éviter que la convergence des pays entre eux ne se fasse qu’au bénéfice des régions les plus dynamiques. Une première réponse serait de revoir la politique des fonds structurels. Par exemple avec une meilleure conditionnalité, de manière à s’assurer que l’argent soit utilisé efficacement. Certains fonds, peu connus, pourraient aussi être développés, comme le Fonds d’ajustement à la mondialisation qui sert à aider les entreprises ou les personnes qui subissent des pertes d’emplois en raison de la mondialisation. ■
* Chef de division études par pays (Belgique, Zone euro / Union Européenne, France, Irlande, Luxembourg, Pologne, Portugal, Roumanie et Espagne).