Jusqu’à récemment, le modèle économique de financement et d’évaluation des médicaments en France bénéficiait d’une forte légitimité (bon accès aux soins dans le respect des contraintes budgétaires). Mais des bouleversements médicaux, économiques et sociaux suscitent des inquiétudes quant à la capacité de l’État à réguler les prix tout en garantissant l’accès aux médicaments innovants pour l’ensemble des patients.
Sur le plan médical, l’innovation change de nature. Le tournant du XXIème siècle est celui de l’arrivée des médicaments biologiques et des thérapies géniques. Leur proposition de valeur s’exprime davantage en termes de “guérison” voire “d’éradication” de certaines pathologies (hépatite C, cancers, etc.). Ces innovations impliquent de repenser les mécanismes d’évaluation et d’accès au marché qui, pour la plupart des acteurs publics et privés, ne permettent ni d’anticiper l’arrivée des nouveaux traitements, ni de les rendre accessibles.
Sur le plan économique, la problématique du financement de l’innovation se pose sous un nouveau jour dans une période de contrainte budgétaire forte. Le vieillissement de la population, qui s’accompagne d’une forte augmentation des maladies chroniques, contribue notamment à l’augmentation tendancielle des dépenses de santé qui remet en cause la pérennité financière du système.
Sur le plan social, notre réflexion s’inscrit dans un double mouvement : l’évolution de la place des patients dans les processus de régulation et une défiance croissante de la population envers les industriels et les autorités de santé. Ce changement de paradigme fait émerger avec force de nouvelles interrogations dans le débat public, dont celui du prix des médicaments.
Notre système nécessite dès lors d’être réformé en profondeur, pour restaurer la confiance et faciliter la coopération entre tous les acteurs. Le rapport Médicaments innovants : prévenir pour mieux guérir, consultable sur le site de l’Institut Montaigne et publié en septembre 2019, formule des propositions visant à permettre un meilleur accès à l’innovation pour les patients, stimuler l’attractivité et la compétitivité économique de la France, saisir les opportunités du numérique pour améliorer la prise en charge et le financement des innovations avec pour horizon un pilotage politique et européen de l’innovation thérapeutique. Ces propositions sont le fruit des réflexions d’un groupe de travail composé d’experts et de professionnels du secteur médical, d’une soixantaine auditions et d’une analyse approfondie des systèmes de santé étrangers.
En matière d’accès à l’innovation, nous préconisons de profiter de la réforme engagée en 2015 pour améliorer la lisibilité et la pertinence des critères d’évaluation des médicaments, mieux réévaluer les médicaments entre eux à l’arrivée de nouvelles innovations et pouvoir orienter la négociation des prix vers des accords conditionnels aux résultats d’études en vie réelle. L’évaluation conditionnelle permettrait d’évaluer le médicament plus tôt et plus vite, quitte à confirmer ou infirmer ces résultats.
De plus, notre rapport propose de mettre en place une procédure d’évaluation prioritaire, à partir de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), pour les produits ayant bénéficié d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). En s’inspirant du label américain breakthrough therapy, l’idée serait de rendre possible la priorisation des dossiers concernant des médicaments supposés innovants au sein des autorités chargées de l’évaluation et de la négociation du prix. Sur le modèle allemand, nous recommandons également de mettre en place un mécanisme qui permette aux médicaments innovants (dès l’obtention de l’AMM) d’être pris en charge par l’Assurance maladie. Un tel mécanisme pourra s’appliquer aux médicaments revendiquant une amélioration du service médical rendu (ASMR) élevée.
Nous préconisons également d’améliorer le fonctionnement de la Haute Autorité de Santé en lui permettant d’attirer en son sein des experts capables de renforcer ses compétences médico-économique et médico-scientifique en vue de réduire le délai de traitement des dossiers.
Afin de rendre la France plus attractive et plus compétitive en matière de recherche et de production biopharmaceutiques, nous proposons d’accentuer les efforts autour de plusieurs axes : la réduction des délais de mise en place des essais cliniques, le développement de passerelles professionnelles entre le monde universitaire et l’entreprise, et la création de centres de production pharmaceutique d’avenir.
D’autre part, le caractère imprévisible de l’impact budgétaire des innovations pharmaceutiques rend nécessaire l’idée d’une gestion sur plusieurs années des dépenses de médicaments. L’ONDAM ne tient pas suffisamment compte des enjeux de long terme et reste structuré selon une logique de sous-enveloppes plus ou moins fermées. Un pilotage pluriannuel pourra apporter plus de visibilité et de flexibilité aux acteurs, tout en permettant la fongibilité des enveloppes.
Le numérique représente une véritable opportunité pour améliorer la prise en charge et le financement des innovations. Il est urgent de favoriser des modèles de financement innovants, en particulier la définition de prix par indication et le développement du paiement à la performance. Ce dernier permet de s’appuyer sur le recueil des données pour avoir des évaluations plus fines : il s’agit de ne pas se limiter aux patients inclus dans les essais cliniques mais de voir les conditions réelles d’utilisation des médicaments sur une population plus large. Des expérimentations sont en cours mais on peut regretter à ce jour l’absence de cadre réglementaire pour l’utilisation de ces données, ce qui freine leur développement et leur utilisation.
Le développement du diagnostic aidé des outils numériques est un élément clé de l’avenir de la médecine. Le déploiement de l’IA en santé permet déjà d’affiner le diagnostic médical dans certaines spécialités, comme nous le précisions dans une précédente note IA et emploi en santé : quoi de neuf docteur ?. L’objectif n’est pas de contraindre les prescriptions des médecins mais de leur permettre de bénéficier des recommandations les plus actualisées et de prescrire les médicaments les plus pertinents pour un patient donné.
Enfin (et surtout), nous souhaitons qu’un véritable pilotage politique et européen de l’innovation thérapeutique émerge.
Au niveau national, la création d’un grand rendez-vous, sur le modèle des conférences de citoyens, aurait pour objectif d’assurer un pilotage stratégique de l’innovation en santé tenant compte des objectifs de santé publique et des innovations sur lesquelles les laboratoires travaillent. L’idée serait de créer un forum où se rassemblent l’ensemble des acteurs pour déterminer les perspectives sociétales des questions liées au médicament afin de sortir d’une logique trop technicienne, que les citoyens peinent à appréhender.
Nous proposons d’inciter les pays membres de l’Union européenne à collaborer autour de plusieurs axes complémentaires : la mise en place d’un horizon scanning européen de l’innovation en santé, l’harmonisation des méthodologies de calcul de l’impact budgétaire ou la création d’un Health Data Hub européen. Il nous paraît urgent de créer les conditions d’un pilotage plus européen de l’innovation thérapeutique. ■