Les semaines de confinement que nous avons vécues ont d’ailleurs pleinement démontré le rôle fondamental de la télévision et de la radio dans notre quotidien : les journaux télévisés sont redevenus la première source d’information dans laquelle les Français ont eu confiance, les médias, audiovisuel public comme privé ont bousculé leur programmation en un temps record, laissant une large place à la culture, à l’éducation et à la santé, l’information de proximité des antennes et chaînes locales et régionales ont joué un rôle majeur de cohésion sociale et territoriale. De même, les nouveaux usages qui se sont déployés ont fait de Canal Play, Netflix, Amazon, OCS, Spotify, Deezer ou Majelan des compagnons du quotidien dans cette crise sanitaire, démontrant aussi la rigidité voire l’obsolescence de certains dispositifs.
La loi de 1986 a permis de garantir ces différents principes, mais elle apparait aujourd’hui peu adaptée, insuffisamment agile et efficace au regard des bouleversements technologiques comme aux mutations des usages. Il est temps d’adapter un texte devenu complexe et peu lisible du fait de la sédimentation législative et règlementaire et de tirer les conséquences des bouleversements sociologiques et économiques induits par la révolution numérique.
Nous devons déterminer quel doit être le nouvel équilibre entre des principes suffisamment robustes qui doivent être posés dans la loi – suffisamment robustes dans le temps et suffisamment robustes pour s’adresser à l’ensemble des acteurs -, une place importante laissée à la négociation professionnelle et un décret socle qui viendra à s’appliquer en cas d’échec des négociations. C’est une nouvelle architecture qui doit être pensée et qui invite le législateur à s’effacer devant les possibilités élargies de négociation professionnelle et à affirmer ce qui lui semble essentiel. Ce sont ces principes que j’ai souhaité renforcer en tant que rapporteure générale lors de l’examen du projet de loi en commission des affaires culturelles début mars.
Le projet de loi consacre notamment la nécessité de moderniser le soutien à la création audiovisuelle et cinématographique, et notamment la contribution au développement de la production à laquelle consentent les éditeurs de chaînes de télévision et de services de médias audiovisuels à la demande.
La commission des affaires culturelles a souhaité consacrer le rôle de la production indépendante, pivot de la diversité culturelle : nous avons intégré les mandats de commercialisation, dont on sait qu’ils constituent le cœur de la valeur des œuvres, à la définition de la production indépendante. De la même manière, la commission a précisé quelle sera la répartition entre les œuvres européennes et les œuvres d’expression originale française, car elle n’est pas du tout anodine pour les acteurs étrangers, comme Netflix ou Amazon, qui seront désormais soumis à cette contribution et qui proposent pour la plupart des contenus principalement voire entièrement américains.
Nous nous sommes attachés également à définir les règles d’une concurrence plus équitable, notamment dans le domaine publicitaire. Alors que le marché publicitaire s’est progressivement et massivement décalé vers la publicité digitale, il semblait nécessaire de redonner de la souplesse à nos éditeurs de chaînes de télévision pour que ce gisement de croissance, qui finance une information plurielle et indépendante tout comme la création audiovisuelle et cinématographique, ne soit pas progressivement uniquement capté par les acteurs internationaux.
Beaucoup des règles qui concernent la publicité sont d’ordre règlementaire comme l’introduction de la publicité pour le cinéma à la télévision ou la capacité d’avoir des publicités plus ciblées et géolocalisées ; néanmoins, plusieurs mesures sont prévues par le projet de loi. Les écrans partagés lors des retransmissions sportives comme la possibilité offerte aux diffuseurs d’introduire une troisième coupure publicitaire dans les films de longue durée sont des mesures positives pour le secteur.
Le projet de loi permet aussi de supprimer des dispositions qui nous apparaissent aujourd’hui parfaitement anachroniques. Nous supprimons enfin les « jours interdits », qui empêchaient la programmation de films à la télévision certains soirs et jours de la semaine.
Mais la modernisation de la télévision, c’est aussi la modernisation de sa diffusion et de sa réception. Le projet de loi, sur ce point, accompagne le processus de passage à l’ultra haute définition de façon affirmée. Il fallait aussi que cela puisse être le cas pour la radio numérique terrestre, aussi appelée DAB+.
Sur l’audio justement, avec le développement rapide de nouveaux outils et usages associés comme les enceintes connectées, apparaissent des questions essentielles quant aux enjeux démocratiques : qui décide des contenus qui doivent être diffusés, priorisés ? A quoi la commande vocale répond-elle ? Ces outils seront peut-être le moyen privilégié pour beaucoup de Français d’accéder à l’information. A l’unanimité, notre commission a décidé que l’utilisateur devait impérativement rester maître dans le choix des contenus.
Le projet de loi est également l’occasion de transposer la directive « Droits d’auteurs », dont on sait que la rédaction a été emportée de haute lutte dans les instances européennes grâce à la ténacité des autorités françaises, face à ceux qui voulaient détricoter le droit d’auteur tel que nous l’entendons. Protéger les droits des créateurs, c’est évidemment lutter avec efficacité et courage contre le pillage massif que représente encore le piratage.
Le projet de loi permet de lutter plus efficacement contre le piratage d’œuvres culturelles, mais aussi de contenus sportifs. Je pense à l’inscription sur une liste noire publique des sites massivement contrefaisants, qui contribuera à la bonne information de l’internaute, qui en manque encore trop souvent. La commission a renforcé encore les dispositifs dans le sens de la lutte contre les « sites miroirs » ou dans la protection de toutes les compétitions sportives, y compris les plus courtes.
La régulation du secteur de l’audiovisuel et du numérique sera désormais assurée par la création d’une nouvelle autorité, résultat de la fusion du CSA et de la HADOPI. L’ARCOM constituera un outil puissant au service du respect de la loi et des droits. L’ARCOM sera notamment compétente pour la régulation des plateformes en ligne, et son rôle est accru dans l’accessibilité des services audiovisuels et numériques pour les personnes en situation de handicap ainsi que dans la protection des mineurs.
Enfin, l’audiovisuel public est particulièrement concerné et impliqué dans la révolution numérique en cours. La réorganisation de l’audiovisuel public autour d’une société mère, France Médias, réunissant France Télévisions, Radio France, France Média Monde et l’INA, doit permettre de lui donner les moyens de faire face à une concurrence mondialisée à l’ère du numérique. L’audiovisuel public a un rôle singulier ; ce sont ses missions qui doivent être clairement réaffirmées pour plus encore légitimer sa place auprès des Français. Plus que jamais, nous avons besoin d’un audiovisuel public puissant. Ce projet de loi doit clairement y concourir comme nous devrons demain sécuriser et pérenniser son financement. ■
Photo : © Jean-Philippe Baltel