Avant même la crise, certains pays faisaient déjà face à des difficultés dans leurs organisations sanitaires, à la fois en termes d’infrastructures, mais aussi de compétences disponibles. En Roumanie par exemple, l’émigration continue des médecins fragilise gravement le système de soins, alors même que les autorités investissent considérablement dans la formation des professionnels et que des efforts sont entrepris depuis quelques années pour renforcer l’attractivité des professions de santé.
La division ne s’observe pas seulement entre l’Est et l’Ouest, mais aussi entre le Nord et le Sud, par exemple en matière de culture de prévention et de santé publique. Aucun pays n’a à gagner de voir ces inégalités perdurer.
Au début de l’épidémie, le manque de réaction de la part de l’Union européenne (UE) a été critiqué. A raison : la crise était une menace transfrontière grave pour laquelle l’UE avait toute légitimité à agir. Mais aussi un peu à tort, en raison d’une incohérence institutionnelle qui fixe des ambitions fortes (un niveau élevé de protection de la santé humaine), tout en limitant les moyens d’exécution (des compétences d’appui).
Après un moment de flottement, les institutions européennes ont agi : rapatriement de ressortissants, financement de la recherche, achats groupés et livraisons de matériels de protection, constitution d’une réserve stratégique... Le Parlement européen (PE) a rapidement appelé à la création d’un mécanisme européen de réponses sanitaires visant à doter l’UE des moyens de répondre rapidement à tout type de crise sanitaire (1).
A l’occasion de l’anniversaire de la déclaration Schuman, Paris et Berlin proposaient une « nouvelle approche européenne reposant sur la souveraineté sanitaire stratégique », tout en œuvrant à un endettement commun pour financer des dépenses d’avenir.
Fin mai, la Commission européenne présentait un instrument dédié pour financer à hauteur de 9,4 milliards d’euros l’Europe de la santé. La Commission renonçait non seulement à son idée originelle de diluer les financements pour la santé dans un Fonds social européen au périmètre élargi (FSE +), mais proposait aussi un budget 23 fois plus important que lors des sept années précédentes.
Las, l’ambition aura été de courte durée. Au petit matin du 21 juillet, nous apprenions que les chefs d’Etats ou de gouvernements avaient préféré rogner les programmes pan-européens au profit d’un co-financement européen des plans de relances nationaux.
Le budget santé s’est ainsi vu réduit à 1,7 milliard d’euros, sur 7 ans. Si le PE est déterminé à faire en sorte que le programme Santé soit financé de manière adéquate, si la Présidente von der Leyen s’est engagée à être aux côtés des parlementaires pour remédier aux restrictions, nous resterons certainement loin des montants initialement envisagés
Certains Etats membres continuent à prôner la révision du projet à la baisse : davantage de coupes dans le budget, davantage de prérogatives données aux Etats. L’été 2020 aura pourtant rappelé qu’une juxtaposition de mesures nationales ne constituait pas une politique de santé publique européenne.
Le nationalisme sanitaire est d’autant plus inquiétant que les défis sont nombreux, et réclament une action à l’échelle européenne.
Des défis géostratégiques :
La COVID-19 a accéléré la prise de conscience d’une possible mise en danger des patients par les pénuries de médicaments. Aujourd’hui, avec la mondialisation, nous sommes bien dans une situation d’interdépendance, avec des chaînes de valeurs mondiales. S’il est illusoire de produire tous les médicaments en France, l’action à l’échelle de l’UE serait plus efficace pour diversifier et rapatrier en partie notre production massivement délocalisée en Inde et en Chine, et mettre en place une surveillance assortie de mécanismes d’alerte et de stocks de sécurité.
L’échelon européen est pertinent pour rassembler une masse critique de financements, mais aussi pour éviter une fragmentation d’efforts nationaux. La création d’un Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority) européen, récemment proposée par le Parlement et la Commission, permettrait, à la lumière de l’exemple américain, de financer des partenariats publics-privés avec les laboratoires, de stimuler la recherche et l’innovation européennes et de constituer une incitation au maintien ou au retour de la production médicamenteuse.
La recherche biomédicale d’avenir reposera beaucoup sur la collecte de données massives et leur traitement par des méthodes d’Intelligence artificielle. Mais la confiance, indispensable, passe aussi par l’indépendance vis à vis des GAFAM, et requiert donc une stratégie européenne respectueuse des exigences des citoyens en matière de protection des données. Le futur espace européen des données de santé constituera une étape cruciale. En attendant, l’initiative Franco-Allemande, Gaia X, visant à construire un réseau européen de cloud souverain, est déjà une avancée.
Des enjeux sociétaux considérables :
Grâce aux progrès de la médecine, nous vivons plus longtemps, c’est une bonne nouvelle. Le vieillissement de la population entraîne cependant une augmentation des dépenses de santé, liées notamment à l’augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies chroniques. Ne pas investir aujourd’hui dans la prévention, ce serait laisser aux prochaines générations une dette importante, ou nous mettre dans l’incapacité collective de financer les soins pour tous. Ce serait un échec cinglant, un renoncement brutal à nos engagements inscrits dans le socle européen des droits sociaux.
Le mandat parlementaire actuel est une opportunité non négligeable pour s’attaquer aux déterminants de santé, car des initiatives sont sur la table :
Avec le Green Deal européen nous portons un vaste plan de prévention : un décès sur 8 est lié à un mauvais environnement. Les objectifs « zero pollution », la stratégie pour une alimentation raisonnée « de la fourche à la fourchette », et la préservation de la biodiversité font partie intégrante d’une stratégie de santé globale.
Le plan européen contre le cancer permettra de réduire les inégalités d’accès à des soins de qualité et à des traitements innovants. De plus, promouvoir des modes de vie sains, lutter contre les comportements à risques sera utile pour prévenir des cancers, mais aussi d’autres maladies chroniques. Les plans français successifs depuis 2003 ont démontré le caractère modélisant de la lutte contre le cancer pour d’autres pathologies.
Pour finir, il ne faudrait pas non plus oublier les enjeux sociaux : en garantissant un salaire minimum décent, en réduisant les risques au travail, en luttant contre la pauvreté dès le plus jeune âge, nous agissons aussi sur la santé.
La transition écologique, numérique, sociale et solidaire que nous construisons aujourd’hui fera la santé de demain. ■
1. Résolution du Parlement européen du 17 avril 2020 « action coordonnée de l’Union pour combattre la pandémie de COVID-19 et ses conséquences » (2020/2616 RSP) URL : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2020-0054_FR.html