1 - D’abord, en finir avec la logique commerciale et son slogan stupide : « du flux, pas de stock ! », pas de stocks pour les masques, pas de stocks pour les médicaments, pas de stocks pour les lits d’hôpitaux. Il faut un moratoire sur tous les projets de nouveaux hôpitaux comportant une réduction du nombre de lits (le dogme est de moins 30 %). Il faut des services de médecine polyvalente dédiés à l’aval des urgences avec des lits non occupés et au niveau de chaque territoire des lits disponibles en réanimation. L’objectif d’occupation des lits à plus de 90 %, sur l’argument qu’un lit vide ça coûte, doit être révisé à la baisse. On ne paie pas les pompiers que losqu’il y a le feu !
2 - Il faut relocaliser la production en France et en Europe des médicaments et des dispositifs « d’intérêt thérapeutique majeur », aujourd’hui produits pour l’essentiel en Chine et en Inde. II faut construire une sécurité sanitaire européenne et imposer aux industriels détenteurs des autorisations de mise sur le marché (AMM) de disposer de 4 à 6 mois de stocks. Quant aux nouveaux médicaments, aux prix exorbitants déconnectés des coûts de production, il faut imposer la transparence des coûts au niveau de chaque maillon de la chaîne de recherche et développement. Il faut si besoin recourir à la clause de la licence d’office pour les médicaments vitaux.Les traitements, vaccins et dispositifs pour la Covid 19 devront être accessibles à l’ensemble de la population.
3 - Avant la pandémie 1000 postes d’infirmières étaient vacants à l’APHP. A l’automne 2019, les hôpitaux d’Île de France avaient été totalement dépassés par l’épidémie de bronchiolite faute de personnels formés et faute de lits. Il faut revaloriser les salaires, embaucher, loger, former, revoir les carrières soignantes spécialisées avec une validation des acquis d’expérience, débloquer l’accès aux heures supplémentaires. Il faut en la matière aller plus loin que le Ségur. L’exigence d’embauche et de formation est la même pour le personnel des EHPAD.
4 - Il faut en finir avec le couple destructeur de l’hôpital public : rigueur budgétaire et gestion commerciale. La rigueur imposée aux hôpitaux par un ONDAM hospitalier fermé depuis 2010 (contrairement à l’ONDAM de ville resté ouvert) a entraîné la chute des investissements, la réduction du personnel soignant et la dette atteignant 30 milliards d’euros. La gestion commerciale a été imposée par la généralisation en 2008 de la T2A à la quasi-totalité des activités soignantes visant à développer la concurrence entre les hôpitaux publics, les ESPIC et les cliniques commerciales. La crise a montré au contraire la nécessité d’une planification sanitaire organisant la complémentarité à l’encontre de la logique actuelle conduisant à privilégier les activités rentables pour le privé et à laisser le non rentable à l’hôpital public.
5 - La T2A n’est adaptée qu’aux activités programmées, standardisées telles que la chirurgie ambulatoire, la pose de pacemaker ou la dialyse. Pour le reste des activités, il faut une dotation annuelle ou bisannuelle, évoluant en fonction de données simples d’activité et cogérée entre soignants et administratifs. Encore faut-il que le budget corresponde aux besoins, contrairement à ce qui s’est passé depuis des années pour la psychiatrie aujourd’hui totalement sinistrée. Cette cogestion doit être la base d’une nouvelle gouvernance supprimant des strates de gestion bureaucratiques (pôles et DMU) dont la crise a montré l’inutilité. La gestion administrative doit être au service des équipes soignantes, comme pendant la première vague de la COVID, et non l’inverse, comme avant. L’hôpital doit reposer sur les structures de soins : les services pilotés par un binôme médecin / cadre de santé. Quant à la qualité des soins, elle suppose un personnel en nombre suffisant, formé et stable, une coordination avec les professionnels de l’amont et de l’aval ainsi que la mise en place d’évaluations impliquant les patients et dont les résultats doivent être portés à la connaissance du public. Mais le paiement sur des indicateurs de qualité conduit à soigner les indicateurs plutôt que les patients. Ce n’est pas une leçon de la crise de la COVID19. Nous faisons fausse route en suivant le modèle utilitariste anglo-saxon du « pay for performance » (P4P) qui n’a pas démontré son efficacité.
6 - L’augmentation prévisionnelle de l’ONDAM doit être calculée par une instance indépendante du gouvernement et donner lieu à une négociation globale entre la Sécurité sociale et les professionnels de ville et de l’hôpital, avant le vote du parlement. Il faut revenir sur l’abrogation de la loi Veil de 1994 et sanctuariser les recettes de la Sécurité sociale. La France consacre 11.2 % de son PIB à la santé ex-aequo avec l’Allemagne, derrière la Suisse et loin derrière les USA. Mais en dollars par habitant, nous ne sommes pas 3ème mais 12ème. Nous dépensons 20 % de moins que l’Allemagne qui a moitié plus de lits hospitaliers que nous. Si nous nous situons très en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE pour le salaire des infirmiers et le revenu des médecins généralistes, nous sommes par contre, très au-dessus en frais de gestion (7.5 milliards d’euros pour les « complémentaires » santé qui ne remboursent que 13 % des soins et 7.3 milliards pour la Sécurité sociale qui en rembourse 78 %) et nous avons une médecine très prescriptive. Cette médecine sur-prescriptive de médicaments, d’examens et d’actes est entretenue par la T2A et le paiement à l’acte.
7 - Il faut accélérer avec les professionnels de ville volontaires, notamment les jeunes, la construction d’un service public de la médecine de proximité dans lequel les soignants et les travailleurs sociaux collaborent en équipe pluri-professionnelle au sein des Communautés professionnelles de territoire de santé (CPTS), des Maisons et Centres de santé. Il faut en finir avec le paiement à l’acte pour le suivi des patients atteints de maladies chroniques et proposer à ceux qui le souhaitent une rémunération à la capitation ou par une dotation globale pour la population suivie. Contrairement à ce qu’on a connu lors de la pandémie, notamment à ses débuts, l’hôpital ne doit pas se substituer à la médecine de 1ère ligne mais doit coopérer avec elle en gardant sa place de recours.
8 - Finalement, nous avons construit un système de soin plus qu’un système de santé. Notre système reste performant pour les maladies aiguës et les gestes techniques, mais il est inadapté aux maladies chroniques et à leur prévention ainsi qu’aux urgences, aux consultations sans rdv et à la lutte contre les épidémies. C’est ce qui explique la crise des urgences et nos carences dans la gestion de la crise sanitaire actuelle. Il est temps de développer la santé publique. Les directeurs d’hôpitaux et d’ARS doivent être des professionnels de santé publique. La santé publique suppose une approche populationnelle en collaboration les communautés de territoriales. Elle implique le développant de la démocratie sanitaire avec les usagers et l’ensemble des citoyens avec la possibilité d’organiser des conférences citoyennes sur la santé
9 - La recherche en santé dans toutes ses dimensions, fondamentales, cliniques, translationnelles, en soins primaires, en soins infirmiers, et en santé publique doit être développée. Cela suppose d’alléger les contraintes bureaucratiques, comme cela a été possible pendant la crise. Et cela passe par une revalorisation des métiers de la recherche, la constitution d’équipes de taille suffisante, des dotations stables dans la durée et pas seulement par un financement sur les appels à projets. Le budget de la recherche doit atteindre 3 % du PIB. ■
Pour plus de précision voir le programme Santé « les jours heureux » sur le site www.odilejacob.fr