La téléconsultation est devenue une pratique de routine qui n’est plus réservée aux « initiés ». La Drees (septembre 2020) et l’Assurance maladie (idem) montrent que cette pratique s’inscrit dans une logique de long terme, territoriale, et en lien avec le médecin traitant dans la très grande majorité des cas.
Le projet de loi de finances pour 2021 entérine cette situation pour les 2 prochaines années avec le tiers-payant des téléconsultations (article 32). Il s’agit de la seule mesure qui concerne directement la télémédecine car le télésuivi des patients chroniques demeure régi par des dispositifs dérogatoires qui nuisent à la stratégie d’ensemble en les cantonnant à certaines affections de longue durée ou « ALD ». Ce PLFSS parait alors que le monde hospitalier et du médico-social ont accueilli plutôt favorablement les annonces du Ségur de la santé mais où les professionnels libéraux sont déçus et restent liés aux négociations avec l’Assurance maladie. Or, les échéances conventionnelles repoussées à 2023 (article 33) emportent avec elles l’espoir d’un régime commun ville-hôpital autour des pratiques de santé digitale jusqu’à cette date. Le caractère fondamental du parcours coordonné qui fait appel aux ressources territoriales pluriprofessionnelles pour exister s’en trouve fragilisé également, du fait de la discordance des modes de financement et de régulation entre les deux secteurs.
Les autres pratiques de santé digitale (télésurveillance, télésoin, télé-expertise) restent donc en statu quo, faute de volonté politique, d’investissement dans les outils et de formation des professionnels. Ce manquement stratégique est particulièrement préjudiciable pour la médecine de ville alors que le « temps médical disponible » doit impérativement être exploité au maximum pour pouvoir répondre aux demandes de la population française qui continue de vieillir et de souffrir de plus en plus de pathologies chroniques. A ce titre, le dernier avis du Cese (octobre 2020) est éclairant en insistant sur le fait que la télémédecine est essentielle pour que les citoyens puissent exercer leur droit à la santé et que l’hôpital doit être positionné comme une structure au service des parcours ambulatoires.
Culturellement, pour les médecins, l’appréhension réside souvent dans l’impossibilité de « toucher, palper » le patient alors que des outils d’auscultation à distance existent. L’interrogatoire des patients et l’accès à son dossier médical permettent de franchir ce cap la plupart du temps. L’essentiel des difficultés réside donc plutôt dans l’approche et l’appropriation de cette pratique, son organisation pratique au cabinet et la qualité de la connexion afin d’être sûr qu’elle permettra de réaliser l’intégralité de la téléconsultation (« zones blanches »). Partant de ces constats, les médecins qui se lancent aujourd’hui dans la téléconsultation se retrouvent, faute de formation, à défricher progressivement des situations qui auraient mérité de s’attarder sur les bonnes pratiques de téléconsultation (1). C’est pourquoi la SFSD a monté et validé des programmes de formation pour répondre à cet enjeu important.
Téléconsultation et consultation sont deux approches complémentaires d’un même enjeu : atteindre un objectif de soins. L’exercice de la téléconsultation, en tant que consultation à distance, nécessite une organisation et des précautions particulières ; c’est-à-dire une préparation à la téléconsultation. Cet exercice ne remet donc pas en question l’exercice de la consultation en lui-même mais nécessite une prise de conscience des adaptations nécessaires pour la réaliser dans de bonnes conditions. En parallèle, le principe éthique d’information des patients constitue la brique fondamentale pour bâtir une relation de confiance durable dans la télésanté. Cela signifie que l’enjeu est plus fort lors de la première téléconsultation car elle constitue une occasion unique de les informer. Leur consentement pour réaliser cette consultation à distance doit être formulé clairement en insistant sur leurs droits (notamment celui d’interrompre la téléconsultation à tout moment et requérir une consultation en présentiel) et les suites qui seront données en aval (compte-rendu, dossier médical partagé, communication sécurisée, etc.).
Ensuite, il devient urgent de mettre les outils de régulation au service de l’intelligence pratique et collective des équipes soignantes. Les règles qui déterminent le droit pour le médecin à pratiquer la téléconsultation et pour le patient à être remboursé sont devenues subitement obsolètes avec la crise sanitaire liée au coronavirus et les pouvoirs publics ont rapidement réagi en levant les verrous réglementaires. Toutefois, cela n’a pas permis d’éviter certains écueils, en particulier pour la continuité des soins des patients chroniques et des urgences médicales non liées au coronavirus. Cette situation résulte de l’insuffisante préparation des régulateurs du système de santé. En face, les professionnels ont su s’organiser avec leurs réseaux et les initiatives locales. De notre point de vue, cela interroge la pertinence de la régulation actuelle qui freine l’essor de la téléconsultation. Nous souhaiterions que les parlementaires s’interrogent sur la plus-value réelle de formaliser les organisations existantes sous une forme juridique déterminée (2). L’énergie et les moyens déployés pour les mettre en place ne seraient-ils pas mieux employés à consolider et diffuser des outils réellement performants pour que les soignants puissent construire avec les patients des parcours de soins correspondant à leurs objectifs ?
Dans cette optique, les recommandations de bonnes pratiques permettent de sécuriser la pratique en permettant de savoir comment commencer et à quel moment ne pas proposer une téléconsultation. En tant que société savante, nous nous engageons dans diverses instances et projets pour faire avancer, dans une logique de recherche-action, les connaissances et les compétences nécessaires pour élargir le périmètre des situations pertinentes pour la téléconsultation. En effet, plus les outils évoluent et plus les frontières s’élargissent, à la condition que ces outils répondent à des besoins réels et démontrent leur plus-value par rapport à « l’état de l’art » autant que leurs bénéfices cliniques.
Nous invitons les responsables politiques à aller vers les équipes de soins et les établissements pour construire une approche locale et adaptée en santé en s’appuyant sur la télésanté pour « réveiller les territoires », sans attendre que les institutions du monde de la santé ne les y convient. Des exemples d’initiatives locales ainsi portées se montrent cohérents en mêlant système sanitaire de ville et d’établissement, structures du médico-social et de la santé mentale pour construire une offre graduée. Ces projets sont ensuite avalisés par les ARS (Agences régionales de santé) et l’Assurance maladie. Soutenir les projets portés par les acteurs de la vie locale est fort de sens et permet de raccrocher le monde de la santé à celui de la vie en société. Cela permet une approche cohérente et inclusive (i.e. en équipes pluriprofessionnelles) favorisant l’action au service de la population et des parcours coordonnés de qualité. Ainsi, avec ces projets d’accès à la téléconsultation, le monde politique et administratif trouve une application pratique et porteuse de lien social, humain et économique importants avec des résultats visibles rapidement ! ■
1. Qualité et sécurité des actes de téléconsultation et de télé-expertise, guide de bonnes pratiques (Haute Autorité de santé, mai 2019)
2. Telles que les équipes de soins primaires (ESP), maisons de santé pluriprofessionnelle (MSP) et autres communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS)