La COVID a malheureusement et « miraculeusement » réveillé la conscience collective en pointant du doigt les faiblesses de la France et de l’Europe quant à leur autonomie en matière de production et de distribution de médicaments.
C’est-à-dire très exactement ce que nous dénoncions par notre rapport, voici deux ans !
Avouons-le franchement, l’origine de ce rapport était anecdotique suite à une discussion avec des étudiants s’étonnant de l’inaccessibilité de certains médicaments, j’interrogeais le pharmacien de mon village : Réponse : « Mais Monsieur le Sénateur, la France est un pays du tiers monde en la matière ! »
Trois mois de travaux entamés dès 2018. Plus de 70 auditions programmées pour tenter de comprendre une situation révélant, hélas, les défaillances du secteur public et du secteur privé en matière de production et de distribution des médicaments.
La situation est grave et nous inquiète de manière extrême à la lecture de certains chiffres. Nous avons appris que dès 2017, le nombre de signalements de rupture et risques de rupture de stock et d’approvisionnement de médicaments essentiels auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament affichait des chiffres alarmants.
1 – Le constat : la perte de notre indépendance sanitaire
Depuis 10 ans, l’aggravation des situations de rupture et de stocks d’approvisionnement connaît une évolution dramatique pour certains médicaments notamment des médicaments anti - cancéreux, ou anti infectieux.
Ce phénomène s’amplifie et ne concerne pas que la France mais la plupart des Etats de l’OCDE.
Cette pénurie qui devient chronique entraîne des coûts financiers importants sur les plans humain et médical.
Pire, ces pénuries conduisent clairement à ne pas soigner, avec toute l’efficacité requise, les patients. De plus, les solutions de substitution sont parfois insatisfaisantes. Ce qui déroute les patients et crée un climat de défiance inacceptable. Un quart des Français a été confronté à cette carence. En mars 2019, la plateforme de l’Ordre des Pharmaciens indiquait 652 ruptures d’approvisionnement dont les durées atteignent 60 jours quand elles étaient de 35 jours, l’année précédente.
Cette crise est mondiale, ce qui n’est pas une consolation. Elle trouve, en effet, sa source au sein de plusieurs phénomènes, au premier rang desquels la délocalisation, depuis des décennies, de l’industrie pharmaceutique dans les pays tels que la Chine ou l’Inde. Selon l’agence européenne du médicament, « près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent de pays tiers et 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont situés en dehors de l’Union. » Selon un autre Rapport du Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques de 2017, « 35 % des matières utilisées dans la fabrication des médicaments provenaient de trois pays, l’Inde, la Chine et les Etats-Unis » en France.
Nous avons perdu les plus beaux fleurons de notre industrie et nous vivons une perte d’indépendance sanitaire plus que préoccupante et angoissante à l’heure où la COVID, révèle de manière encore plus prégnante, notre fragilité.
Il est vrai que cette vulnérabilité est le fruit de profondes mutations de l’industrie du médicament qui doit répondre à une demande en forte expansion à l’échelle mondiale. Les difficultés d’approvisionnement en matières premières, les exigences imposées par le haut niveau de technologie, la démultiplication des normes de sécurité et la forte concentration des sites de fabrication en Asie expliquent la profonde transformation de ce secteur.
Face à ce constat, plus que consternant, nous avons alerté les pouvoirs publics sur la nécessité de concevoir une véritable stratégie industrielle nationale et européenne afin de recouvrer notre indépendance c’est-à-dire de recréer les conditions d’une production pharmaceutique de proximité. L’absence de masques, en mars 2020, que nous devions commander à la Chine, a fait prendre conscience au grand public l’ineptie de cette situation. Et nous nous sommes rassurés de voir nos compatriotes sortir les machines à coudre pour lancer la production artisanale de cet accessoire devenu progressivement indispensable !
Notre rapport formule trente propositions concrètes, précises dont la plupart peuvent être mises en œuvre rapidement si la volonté politique s’y prête. En voici les principales dispositions.
2 - Redonner les conditions d’une production pharmaceutique de proximité
Par des incitations fiscales, il faut encourager des entreprises s’engageant à investir en France, dans des sites de productions de médicaments et de substances pharmaceutiques. L’une de nos propositions les plus audacieuses est de déclencher un programme public de production et de distribution de certains médicaments très ciblés, confié à la pharmacie centrale des armées et à l’agence générale des équipements et produits de santé. Oui, l’Armée française possède une compétence en la matière et nous l’ignorions ! Ce serait quand même un comble de se priver de cet atout sans pour autant appeler à la nationalisation de la production des médicaments !
Sans entrer dans des considérations trop techniques, nous avons également proposé de revoir les procédures des appels d’offres hospitaliers afin de sécuriser les approvisionnements ou de privilégier des solutions alternatives en cas de défaillance du titulaire du marché. Les spécialistes nous comprendront.
3 - Renforcer l’éthique et la responsabilité des entreprises pharmaceutiques
La production pharmaceutique relève de la liberté d’entreprise. Mais, compte tenu de la spécificité de cette activité économique et de son financement, assuré par la contribution de la solidarité nationale, il semble légitime de lui imposer des exigences précises. L’objectif est de contraindre les entreprises pharmaceutiques à publier, dans la plus grande transparence, l’historique des ruptures de médicaments et à rendre publics les plans de gestion des pénuries mis en oeuvre par les industriels et les sanctions adressées en cas de manquements à ces exigences. L’installation d’une plate-forme d’information centralisée sur les situations de rupture ou risques potentiels a été également suggérée.
4 - Assouplir la marge de manœuvre du pharmacien
Il faut renoncer à nos corporatismes et conforter la confiance entre les différentes professions. Les pharmaciens doivent avoir la faculté de proposer un médicament de substitution en cas de pénurie. Aujourd’hui le pharmacien doit appeler le médecin pour connaître la prescription. Mais que se passe - t-il si le médecin n’est pas joignable pour une raison ou une autre ? Le patient doit-il interrompre son traitement en attendant la réponse du médecin ? C’est proprement inconcevable.
5 – Mise en œuvre d’une coopération européenne
Il est bien évident que le sujet ne peut se régler sur le seul plan national.
Une coopération européenne s’impose naturellement. Le rapport de la députée européenne, Madame Colin-Oesterlé, de septembre 2020 invite la Commission européenne à lancer une stratégie pharmaceutique pour résoudre la question de la disponibilité, de l’accessibilité et du caractère abordable des médicaments sûrs en Europe.
Parmi nos propositions, l’une d’entre elles consiste à créer une cellule nationale de gestion des ruptures d’approvisionnement, placée auprès du Premier Ministre. Cela permettrait d’anticiper.
Notre rapport, présenté au Ministre de la Santé, a reçu certain écho médiatique relancé, hélas, par l’épidémie de la Covid 19. En revanche, nous nous inquiétons sur les suites qui lui seront apportées sur le plan politique.
Certes nous savons qu’il faudra des années pour relancer la relocalisation indispensable, et donc notre indépendance sanitaire qui est une des facettes de notre indépendance nationale chère au fondateur de notre Constitution.
C’est parce que ce sera long qu’il faut agir dès maintenant pour une éthique de la santé publique. ■
*Rapport d’information « Pénuries de médicaments et de vaccins : renforcer l’éthique de santé publique dans la chaîne du médicament » N° 737 -2017-2018