En effet, partout où il s’est déployé ces dernières années, le populisme est en échec. Ainsi, Donald Trump n’a pas réussi à faire litière du processus électoral américain et va devoir bon gré mal gré quitter la Maison Blanche. Javier Bolsonaro est en piteuse forme au Brésil et Viktor Orban doit faire face à une contestation inédite de la jeunesse hongroise après avoir minutieusement piétiné les libertés politiques de son pays. Matteo Salvini est quant à lui en train de disparaître dans les limbes de l’histoire politique italienne. Le rejet de ces figures emblématiques du populisme est acté ou grandissant. De surcroît, la crise de la COVID 19 a montré à la planète entière l’inanité de leurs solutions simplistes plus encore que dans toutes les démocraties libérales. L’échec du trumpisme est, en la matière, une sinistre caricature. Mais paradoxalement, en France, alors que cette réalité nouvelle devrait nous laisser entrevoir un éloignement de la menace, le populisme n’a jamais semblé aussi près de conquérir le pouvoir.
Le populisme contre la démocratie. Trop largement banalisé le mot « populisme » me semble tout d’abord devoir être reprécisé dans sa véritable dimension politique. Il traduit une spécificité : la manipulation de la notion de peuple.
Si le populisme se décline de façon singulière selon les pays, il se développe partout grâce à cette même manipulation. Les populistes n’envisagent pas le peuple comme l’ensemble de la communauté nationale mais comme une partie de celle-ci, une masse composite dont ils prétendent résoudre tous les maux. Le populisme est d’abord une démarche politique qui crée « l’illusion de donner la parole au peuple mais en ne lui donnant surtout pas les moyens d’être intelligent », explique l’écrivain et essayiste François Rachline. La stratégie populiste consiste donc en une instrumentalisation d’une masse décrite comme étant LE peuple prétendument vertueux dans le but de reprendre le pouvoir à une élite politique supposée corrompue. Puis, dominer, toutes les autres parties de la communauté décrites comme des ennemis de ce « peuple ». Il faut à ce titre relire les écrits de Chantal Mouffe, la philosophe de référence de Jean-Luc Mélenchon, qui explique que le peuple, dans une vision populiste, n’a pas de cohérence dans sa constitution ni dans ses objectifs mais qu’il s’agit tout simplement d’un outil. Un outil de la conquête du pouvoir.
La « démocratie populiste », au contraire de la démocratie libérale, ne se construit pas sur la concurrence pacifique ou le compromis, telle que définie par Raymond Aron, mais sur l’affrontement. Si nécessaire l’affrontement violent.
Qualifiée parfois d’illibérale sur le modèle hongrois de Viktor Orbán, cette démocratie s’incarne par le fameux « homme-peuple », et se traduit par le mépris de la règle de droit, et donc de la justice, des institutions indépendantes, de la liberté politique, des libertés individuelles. Une autre caractéristique est intrinsèquement liée au populisme : le repli identitaire. Nationaliste ou souverainiste, il s’affirme par le rejet brutal des « autres », le rétablissement des frontières, la construction de murs.
Les échecs de la démocratie libérale. C’est en son sein que le populisme est né en France comme partout dans le monde et ne cesse de prospérer. C’est parce que notre vieille démocratie n’a pas su – ou pas voulu – réguler un capitalisme financier que les inégalités sociales, économiques mais aussi éducatives et géographiques se sont accrues. L’éloignement des prises de décisions politiques a creusé le fossé entre une partie des citoyens et ses dirigeants. De même on constate que les élus de la nation constituent une réalité assez distordue du peuple et la représentativité sociologique est à tout le moins est assez faible… Il n’y a, à l’Assemblée nationale, que peu ou pas d’ouvriers, d’intérimaires, de chômeurs et force est de constater que représentation nationale ne se construit en vérité qu’à partir d’une strate de la communauté nationale, le « petit peuple » que décrivait si bien Victor Hugo est totalement absent.
C’est dans ces brèches incontestables que le discours populiste a fait flores et que la stratégie du « Nous » (le peuple) contre « Eux » (les élites politiques, intellectuelles, médiatiques) a trouvé l’écho qu’on lui connaît aujourd’hui. La responsabilité des tenants de la démocratie libérale, depuis vingt ans, est considérable. Et en ce sens celle d’Emmanuel Macron est sans doute plus grande encore que ses prédécesseurs. Elu pour endiguer une vague populiste qui était potentiellement majoritaire (l’addition des suffrages des différents candidats à l’élection présidentielle de 2017 approche les 50 %), le chef de l’Etat n’a pas apporté les solutions politiques, économiques, sociales pour provoquer le ressac. Pire la contestation sociale notamment pendant la crise des Gilets jaunes, a donné un autre élan aux principaux leaders populistes. Un élan que les efforts de l’État pour amortir les conséquences financières et sociales de la crise sanitaire ne semblent pas en mesure d’atténuer
Le rassemblement populiste. C’est aujourd’hui la question centrale d’un mouvement potentiellement majoritaire. Et les défenseurs de la démocratie libérale commettraient, selon moi, une erreur en considérant qu’un rassemblement des populismes de gauche et de droite demeure impossible. Au-delà des appareils politiques il me paraît même de plus en plus vraisemblable. Les électorats de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen mais aussi les abstentionnistes grandissants, citoyens désenchantés de notre démocratie, pourraient bien finir par sceller une union populiste. Rappelons nous qu’Au printemps 2019, peu après les élections européennes, un sondage Ifop-Fiducial indiquait que pour la présidentielle de 2022, plus de 60 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon voteraient au second tour pour Marine Le Pen dans l’hypothèse d’un duel avec Emmanuel Macron.
En réalité derrière les postures et les personnalités forcément antagonistes, Le Rassemblement national et la France insoumise, les deux principaux mouvements populistes ont bel et bien des valeurs communes. Ils dénoncent les mêmes élites, la même oligarchie… Le fameux « système » fustigé, en premier, par Jean-Marie Le Pen est aujourd’hui vilipendé tant par sa fille et ses amis que par ceux de Jean-Luc Mélenchon. On pourrait ainsi égrainer les postures, de la détestation de médias supposés « au service » du libéralisme et de journalistes mystificateurs à la victimisation systématique dès qu’une contradiction leur est opposée ou, pire encore, qu’ils doivent affronter la justice.
La crise des Gilets jaunes a accentué la netteté des convergences sur le fond. Les deux faces du populisme français ne partagent plus seulement les critiques du libéralisme économique et politique, mais prônent en bien des aspects des solutions aussi simplistes que comparables : retraite à soixante ans, augmentation des plus bas salaires, revalorisation de ceux des fonctionnaires, abrogation des traités de libre-échange, mise en œuvre du référendum d’initiative citoyenne, sortie de l’Otan, pour ne citer que quelques exemples. La référence souverainiste est également largement partagée par les deux camps.
Alors certes des divergences perdurent sur l’immigration et l’islamisme essentiellement mais il n’est pas certain qu’elles soient aussi profondes que ses leaders veulent le dire. En réalité il me semble que ce sont Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon eux-mêmes qui empêchent le rassemblement d’un champ populiste pour le moment éparpillé. Ni l’un ni l’autre ne sont en position d’incarner ce fameux « homme-peuple », pierre angulaire du populisme. C’est dans la perspective de trouver le sauveur populiste que Michel Onfray a lancé une revue ou que d’autres poussent en coulisses le général Pierre de Villiers. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon résistent convaincus que le dégagisme suffira à asseoir la victoire du populisme. ■
* Vient de publier : « Ils veulent tuer la démocratie » - Impacts Editions