La crise de la Covid-19 que nous traversons actuellement bouleverse les équilibres économiques et financiers mondiaux. La pandémie qui nous frappe doit nous rappeler à l’ordre : les risques naturels peuvent aujourd’hui priver l’humanité du droit d’exercer ses libertés les plus élémentaires au niveau de sécurité le plus optimal.
L’État français et l’Union européenne ont engagés des plans de relance massifs pour relancer l’économie. En France, ce plan de relance a été conçu pour accélérer la transformation de notre économie vers un modèle durable et neutre en carbone.
Cependant, les besoins en capitaux nécessaires pour faire émerger l’économie verte de demain et accompagner la transition de nos acteurs existants sont colossaux. Il est donc vital que les investissements privés soient pleinement mobilisés pour réussir cette transition. La finance dite « verte » doit changer d’échelle : la finance, dans son ensemble, doit demain être verte.
Face à ce constat sans appel, nous ne sommes pas démunis. Nous pouvons et devons agir. A la demande du Premier Ministre, Edouard Philippe, j’ai publié un rapport en juillet dernier, proposant 24 recommandations concrètes pour réussir la mobilisation du système financier au service de la lutte contre le changement climatique.
Les propositions du rapport, fruits de plus de cent cinquante auditions avec des acteurs de la société civile, de la recherche, de l’industrie financière, des législateurs et des régulateurs issus de trois continents différents, visent à réussir cette mobilisation collective dont nous avons besoin. Celles-ci s’articulent autour de trois priorités : encourager l’innovation ; établir des outils indispensables à l’alignement avec les objectifs de l’Accord de Paris ; et les utiliser pour orienter l’investissement et financer la transition écologique en protégeant les acquis sociaux.
Une place financière française à la pointe de la modernité
La France a longtemps été pionnière en matière de finance verte et dispose encore aujourd’hui de nombreux atouts pour faire de Paris la capitale mondiale de la finance verte. Nous devons capitaliser sur cette avance et nous positionner en leader en Europe et dans le monde. Cet engagement s’est encore confirmé récemment au plus haut niveau de l’Etat en France. Lancé à l’initiative du Président de la République lors du One Planet Summit de 2017, le One Planet Sovereign Fund Wealth rassemble désormais 33 institutions financières gérant plus de 30 000 milliards de dollars soit une multiplication par 10 par rapport aux membres fondateurs et représentant près de 30 % des actifs mondiaux.
Durant les travaux de la mission, j’ai eu l’occasion d’observer les pratiques et innovations de plusieurs places européennes (Stockholm, Londres, Amsterdam…) et internationales (Singapour, New-York). L’une des propositions que je fais est de créer un Institut de la Finance verte en France. Cet institut permettrait de passer à une nouvelle étape du développement de la finance durable en France en rassemblant en son sein les synergies des différents écosystèmes : financier, universitaire et technologique. Ceux-ci seraient structurés en trois piliers distincts, sous l’égide de l’Institut de la Finance verte. Elaborer cette nouvelle superstructure permettrait de lutter contre la dispersion des organisations de place menant à une faible lisibilité des initiatives, et une fusion forcée, peu réaliste et contre-productive. L’Institut aurait également comme mission de promouvoir l’action de la France en matière de finance verte en s’inscrivant dans l’héritage de l’Accord de Paris qui a assuré à la France un rayonnement à l’international unique.
Développer de nouveaux outils pour mieux investir dans la transition
Il faut être lucide : le marché manque aujourd’hui cruellement d’outils financiers crédibles et compréhensibles pour financer la transition écologique. Nous avons besoin de développer et de normer de nouveaux outils de transition pour orienter plus efficacement les investissements vers les secteurs ayant la plus grande capacité de réduction de CO2.
Depuis la publication de mon rapport, dans lequel j’appelais de mes voeux la création d’un label « transition », des belles avancées peuvent déjà être constatées. Ce label avait dans mon esprit l’objectif d’être le réceptacle et outil permettant d’identifier des investissements contribuant à transformer notre modèle de production en modèle bas carbone. Le Ministère de la Transition écologique travaille actuellement à l’élaboration d’un label « entreprises en transition », qui pourrait être la première étape du chemin pour construire un label « transition » pour les produits financiers.
Un indicateur « de température » permettant d’établir l’emprunte carbone des portefeuilles d’investissement et de projeter celle-ci dans une trajectoire d’évolution doit également être développé rapidement. L’État français, hôte de la COP 21, a une légitimité morale incontestable pour entériner une méthodologie susceptible d’être un référentiel incontournable pour mesurer l’alignement avec l’Accord de Paris.
Je propose également le développement d’un standard « Accord de Paris » pour les obligations de transition. Ce standard permettrait de structurer l’innovation sur les produits de dette liés à des indicateurs de performance extrafinancière ou à d’autres outils d’identification du caractère de transition tel que défini par la taxonomie européenne, et à en assurer la crédibilité.
Enfin, à l’échelle du citoyen, nous devrons également nous assurer que les épargnants puissent facilement accéder à des produits d’épargne verts dont les encours participent activement et de façon crédible au financement de la transition écologique.
Faire de Paris, la capitale européenne et internationale de la finance verte
L’Union européenne a un rôle central à jouer en matière de finance durable, notamment pour développer, adopter et asseoir des normes susceptibles de s’imposer au-delà de nos frontières permettant ainsi une transparence et une comparabilité essentielles. L’expérience pionnière a permis à la France d’être moteur dans les évolutions européennes des dernières années, que ce soit en termes de publication extrafinancière, de labels ou encore de standards d’obligations vertes. Notre pays doit poursuivre son rôle de force motrice en Europe en faveur de la transition dans le contexte de la crise liée au Covid-19.
La standardisation d’un tronc commun « climat » de la finance durable doit être une priorité immédiate. La croissance de l’offre de produits financiers dits « ESG / ISR / durables » doit être encadrée au niveau européen pour préserver la crédibilité de ceux-ci. La France doit de positionner comme leader dans ce domaine et faire profiter de son expertise ses partenaires européens. La donnée extra-financière constitue, dans une large mesure, le nerf de la guerre de la finance verte. Renforcer sa qualité et sa comparabilité, c’est améliorer la robustesse de l’ensemble des analyses qui en découlent et donc mieux orienter les flux financiers et crédibiliser les engagements pris par les acteurs financiers. A ce titre, la France doit porter une ambition exigeante dans le cadre de la révision de la directive actuelle sur les informations non financières (NFRD) prévue au premier semestre 2021.
Enfin, j’appelle également de mes voeux la création d’une base de données extra-financières à l’échelle européenne, gratuite et libre d’accès, en open-data, pour garantir la transparence et l’accès public de l’information extra-financière. Cette base de données doit être gérée par un/des acteurs privés et à vocation commerciale pour être en mesure de s’adapter aux besoins des acteurs de marché dans un secteur en évolution constante et rapide. ■