L’Etat va engager en 2021 une trentaine de milliards d’euros pour le climat (1). C’est nettement plus que les années précédentes, et c’est parce que s’ajoute au budget de l’Etat « habituel » le volet climat du plan de relance français, financé par l’Union européenne.
Un effort budgétaire sans précédent pour le climat
Ce volet mobilise des sommes conséquentes pour réduire la consommation d’énergie des bâtiments publics ou augmenter les aides aux ménages pour la rénovation de leurs logements et l’achat de véhicules moins polluants. Ces sommes vont aussi permettre de développer l’offre de transports en commun et de pistes cyclables, ou encore d’investir dans l’hydrogène. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le plan de relance, sur les secteurs oubliés, ceux qui auraient nécessité plus d’investissements ou des investissements sous une autre forme. Il y aurait beaucoup à dire aussi sur les propositions de « contreparties environnementales » des entreprises au plan de relance. Tout cela a déjà fait l’objet d’un vif débat ces derniers mois, et il est temps de se tourner vers l’avenir.
Mais cet effort est prévu pour durer seulement deux ans, alors que les besoins vont continuer à augmenter. A partir de 2023, si rien n’est prévu pour prendre le relais du plan relance, les financements publics favorables au climat retrouveront leur niveau des années précédentes, alors que les besoins, eux, continueront d’augmenter.
Combien de milliards d’euros seront nécessaires pour le climat ? Il y a plusieurs réponses possibles à cette question, selon qu’on privilégie, dans les options de politiques publiques, le recours aux subventions publiques, aux obligations et interdictions, ou à la fiscalité ; selon qu’on souhaite subventionner tout le monde ou seulement les plus modestes, toutes les entreprises ou plutôt les PME… Les experts d’I4CE ont proposé un scénario de financement public basé sur le mix de politiques publiques qui leur semble le plus pertinent pour rattraper le retard d’investissement de la France. Les chiffres d’I4CE sont évidemment discutables, et ils sont là pour être discutés. Dans ce scénario, les pouvoirs publics devront consacrer, entre 2024 et 2028, environ 40 milliards d’euros par an pour remettre les trois secteurs clés que sont le logement, la mobilité et l’énergie sur la trajectoire de la stratégie nationale bas carbone.
D’où vient cette augmentation des besoins par rapport à aujourd’hui ? Si les technologies bas-carbone deviennent moins coûteuses, le nombre de projets à financer va augmenter considérablement. Et d’autres projets auront besoin de davantage de soutien. C’est notamment le cas de la rénovation des logements des ménages modestes et de la lutte contre la précarité énergétique, pour laquelle il existe peu d’alternatives aux financements publics. Le défi budgétaire posé par la rénovation des bâtiments est maintenant bien documenté, comme le rappelle le dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat « Rénover mieux : leçons d’Europe ». Au-delà de la rénovation des bâtiments, les financements publics vont aussi devoir augmenter pour investir dans le fret ferroviaire et plus généralement dans une mobilité plus durable.
Il faudra certainement dépenser plus après 2022, il faudra aussi dépenser mieux
Il faudra certainement dépenser plus si on en croit le scénario d’I4CE, scénario qui ne prend du reste pas en compte les besoins, encore difficilement quantifiables en l’état actuel des connaissances, pour accompagner la transition agricole, décarboner l’industrie, adapter le territoire français aux impacts inéluctables du dérèglement climatique, répondre à ces chocs climatiques quand ils surviennent, ou encore pour aider les collectivités, les entreprises et les ménages les plus en difficulté.
S’il faudra dépenser plus, il faudra aussi dépenser mieux car, c’est une évidence bonne à rappeler, la lutte contre le dérèglement climatique se moque des euros : ce sont les émissions évitées et la résilience de notre économie et de nos territoires qui importent. Il y a de nombreuses marges de progrès pour dépenser « mieux », comme en témoignent les difficultés rencontrées dans le domaine des aides à la rénovation des logements. L’impact de ces aides, en termes d’économies d’énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre, a trop souvent été décevant par le passé : rénovations peu ambitieuses, travaux de piètre qualité, faible utilisation par les ménages modestes, et effet d’aubaine significatif.
Un autre champ d’action dans lequel il faut apprendre à dépenser mieux est celui de l’adaptation : l’enjeu budgétaire principal de l’adaptation aux changements climatiques n’est pas tant de dépenser toujours plus, il est avant tout de s’assurer que les investissements actuels – par exemple pour la rénovation urbaine – seront pertinents dans un climat qui change. Dépenser mieux, enfin, c’est aussi s’attaquer à l’ensemble des dépenses publiques défavorables au climat, qui se comptent en milliards voire dizaine de milliards d’euros, et prennent généralement la forme de niches fiscales.
Futurs candidats à la présidentielle, posez-vous les bonnes questions dès maintenant
Si la responsabilité du gouvernement et des parlementaires d’aujourd’hui est évidemment de veiller à la mise en œuvre du plan de relance et de son efficacité pour le climat, elle est aussi de lancer le débat sur la « stratégie climat des finances publiques de la France » après 2022. Nous devons nous préparer ! L’Etat va sortir de la crise avec une dette accrue, des dépenses plus importantes, des recettes en baisse notamment du côté de la fiscalité énergétique… et des besoins toujours significatifs pour le climat. Une bonne stratégie climat des finances publiques doit permettre de se prémunir contre les coupes qu’exigeront peut-être les circonstances de la reprise.
Quant aux responsables politiques qui aspirent au pouvoir pour le prochain quinquennat, ils doivent dès maintenant se poser la question : quel sera mon budget pour le climat ? Une question générale qui en entraine en fait d’autres, plus précises : combien d’argent public et pour quels secteurs ? Quelles aides, quel modèle de financement, quelle fiscalité climat ? Les (futures) équipes de campagne et les candidats ne pourront pas faire l’économie de répondre à ces questions et à bien d’autres (voir l’encadré ci-dessous). Les réponses permettront de doter le futur locataire de Bercy, dès son installation mi-2022, d’une « feuille de route climat » claire pour les budgets du nouveau quinquennat et notamment pour son premier projet de loi de finances. ■
1. Dans son « rapport sur l’impact environnemental du budget de l’Etat », l’administration estime que les montants identifiés comme « favorables au climat » dans le projet de loi de finances 2021 et le plan de relance atteignent 37 milliards d’euros au total en 2021. Ce chiffre couvre tous les secteurs de l’économie. Notons néanmoins que la définition « favorable au climat » est contestable pour certaines mesures (e.g. la prime à la conversion) et qu’elle n’indique qu’une amélioration par rapport à l’existant, qui n’est pas forcément compatible avec la Stratégie Nationale Bas-Carbone de la France (SNBC). I4CE de son côté, en se limitant aux trois secteurs que sont le logement, la mobilité et logement et en ne comptant que les financements publics cohérents avec la SNBC, estime que les financements publics favorables au climat en 2021 et en 2022 seront de l’ordre de 24 milliards d’euros par an en moyenne. Aux 15 milliards d’euros annuels dédiés, ces dernières années, à ces trois secteurs, il faut ajouter les montants du plan de relance dédiés à la transformation de ces 3 secteurs et qu’I4CE évalue à 18 milliards sur deux ans, soit 9 milliards par an en moyenne.
Stratégie climat des finances publiques : les questions à vous poser dès maintenant
Combien d’argent public comptez-vous investir dans la lutte contre le changement climatique à partir de 2023 ?
Evidemment, plus qu’un chiffre global, il faut une idée de l’enveloppe pour chaque secteur – énergie, mobilité, bâtiments, alimentation… - pour les enjeux d’atténuation et d’adaptation, pour les différents types d’acteurs. Il faut éviter de répondre « ce seront les collectivités qui s’en chargeront » sans préciser quels moyens leurs seront donnés pour cela. Certains pourraient proposer de limiter dépenser au un strict minimum les dépenses d’argent public pour le climat, tout en gardant maintenant la France a France sur sa trajectoire vers la neutralité carbone. Pour inciter les entreprises et les ménages à réaliser les investissements nécessaires, ils devront alors privilégier une approche par la fiscalité ou par les interdictions, et l’assumer. Ce sont des approches qui ont aussi leurs limites comme l’histoire récente nous l’enseigne.
Quelles aides publiques comptez-vous réformer ?
Des marges existent pour dépenser mieux pour le climat, pour être plus efficient et aussi plus juste. Il serait donc bienvenu de commencer à réfléchir aux grandes réformes à mener et sur quels dispositifs. Dépenser mieux, c’est aussi s’attaquer aux dépenses publiques qui vont à l’encontre des réductions d’émissions de gaz à effet de serre ou qui prennent insuffisamment en compte l’évolution du climat.
Comment comptez-vous financer tout cela ?
A l’évidence, il y aura des réponses très différentes, allant de l’endettement public assumé à la hausse de certains prélèvements, en passant par la hausse des recettes publiques de la « croissance verte » ou par des économies budgétaires ailleurs dans les dépenses de l’Etat. Préciser quelles économies et quels impôts serait aussi le bienvenu.
Quelles réformes fiscales sur l’énergie et le climat ?
Une option pour financer la transition serait d’augmenter la fiscalité énergétique ou environnementale et d’y consacrer toute ou partie de ses recettes. C’est une proposition répandue, encore faut-il s’assurer que les ménages et entreprises aient accès à des solutions et alternatives pour réduire leur empreinte carbone. La recette politique pour rendre cette fiscalité juste et acceptée est loin d’être évidente. D’où la question : quelles réformes fiscales « vertes » mènerez-vous dans le cadre de votre premier budget, que ce soit pour trouver de nouvelles recettes pour la transition ou pour inciter les acteurs économiques ? Pourraient-ils y avoir des pistes à explorer du côté de la fiscalité locale ?
Que ferez-vous des dépenses fiscales “défavorables” au climat ?
Un des enjeux fiscaux sera les niches fiscales défavorables au climat. Les taux réduits de taxe sur l’énergie pour certaines filières économiques par exemple se comptent en milliards dans le budget de l’Etat. Certaines de ces niches soutiennent des pans de l’économie en difficulté et peuvent parfaitement se justifier. Elles pourraient néanmoins être réformées pour soutenir ces secteurs sans avoir recours à des taux réduits de taxes sur l’énergie. La question à se poser est : que ferez-vous de ces niches fiscales et, pour celles que vous réformerez, que ferez-vous de l’argent économisé ? Comptez-vous « compenser » les filières en difficulté et qui perdraient à ces réformes ?