Pourquoi avez-vous voulu vous lancer dans cette réforme territoriale ? Quelle était votre réflexion à l’époque ?
Depuis plusieurs années était évoquée la nécessité d’une réforme territoriale. Les critiques se multipliaient pour dénoncer le millefeuille territorial, ce système bien français qui empilait les strates les unes aux autres, sans cohérence et sans clarté.
Ces demandes étaient parfois contradictoires. J’entendais d’un côté ceux qui souhaitaient voir disparaître les départements, d’autres qui voulaient faire des métropoles des acteurs majeurs mais s’exprimaient aussi les défenseurs de l’identité communale qui militaient pour la conservation du cadre départemental.
Bref, le consensus pour une réforme territoriale paraissait impossible à trouver. Ce qui expliquait d’ailleurs qu’elles ont été plusieurs fois annoncées mais toujours différées de président en président, d’alternance en alternance. Pour réussir j’avais défini une méthode, d’abord créer les métropoles et renforcer l’intercommunalité puis conforter la légitimité des conseils généraux par une réforme du mode de scrutin et enfin redessiner les découpages des régions.
J’étais attaché, et je ne le regrette pas, au département comme cadre d’action de l’Etat, et comme collectivité de proximité pour la solidarité aussi bien sociale que territoriale.
Mais le statu quo n’était pas possible pour les régions.
Justement, comment cela s’est-il fait ? Avez-vous rencontré des résistances ?
Maintenir 22 régions, 100 départements en plus des intercommunalités et des métropoles, beaucoup, sans le dire, s’en satisfaisaient. J’ai espéré des initiatives des territoires eux-mêmes. L’Alsace s’est lancée dans une opération référendaire pour une fusion du Haut-Rhin et du Bas-Rhin mais elle n’a pas abouti. Les Savoyards ont cherché à se regrouper, la Bretagne a voulu s’élargir jusqu’à la Loire Atlantique… Mais rien ne s’est fait jusqu’à ce que je prenne la décision de créer ces grandes régions.
C’est un exercice qui doit avoir une cohérence. Supprimer seulement trois ou quatre régions ? C’eut été beaucoup de bruit pour presque rien. Ne garder que dix régions ? C’était possible. Mais nous aurions dû passer en force et mettre en cause des positions que je respectais au plan local. D’où ce choix final de faire 13 grandes régions.
Comment les découper ?
J’avais posé un grand principe : de garder l’unité des régions préexistantes, de ne pas les dépecer, de ne pas déplacer un département d’une région à une autre. Je connaissais notamment la revendication de la Loire-Atlantique d’être rattachée à la Bretagne. Mais que serait alors devenue la Région Pays-de-la-Loire ? De la même manière pour la Nouvelle-Aquitaine, n’était-il pas envisageable de mettre deux départements de la Charente en Nouvelle-Aquitaine et deux autres départements en Pays-de-la-Loire ? Que faisait-on de l’Alsace ? Gardait-on dans un même ensemble la Champagne et les Ardennes ? La règle préalable que j’avais posée a largement facilité l’exercice.
Ce débat peut ressurgir.
Oui. Ce sont des sujets qui peuvent évidemment revenir dans une campagne présidentielle. Mais je doute que les candidats principaux cèdent à cette tentation.
La carte redessinée, n’avez-vous pas eu des regrets sur votre découpage ?
Oui. J’ai regretté de ne pas avoir convaincu les « Pays-de-la-Loire » et la région Centre de se rapprocher. Le Centre y était prêt, Pays-de-la-Loire ne l’était pas et regardait plutôt du côté de la Bretagne, laquelle Bretagne n’en voulait pas.
Quant à la Région Grand Est, elle donnait à l’Alsace le premier rôle avec comme capitale européenne Strasbourg. Certes je savais les Alsaciens attachés à leur identité mais sans l’Alsace, la région Grand Est aurait du mal à trouver son équilibre et son centre. Quelle serait la ville chef-lieu ? Metz ? Châlons ?
En pratique qu’a apporté votre réforme ?
J’avais prévenu que dans un premier temps, une réforme territoriale ne génère pas d’économies. Quand plusieurs collectivités fusionnent, il y a forcément des superpositions, des doublons mais aussi des sites à maintenir, des personnels dont on ne peut pas se séparer. Il peut même y avoir des dépenses supplémentaires. Les économies viennent dans un second temps.
La Cour des comptes a publié un rapport plus équilibré qu’il n’a été dit, les magistrats notent qu’il y a eu des augmentations de dépense dans les régions fusionnées, mais tout autant dans les autres.
Les économies viennent dans un second temps, dites-vous. Mais encore.
Les économies viendront par l’application bien connue du principe d’économie d’échelle. La gestion des lycées peut se faire d’un lieu unique, des bâtiments sont reclassés, d’autres loués… Certes ces économies peuvent être consommées par des dépenses nouvelles, dans la recherche, les grandes infrastructures. Mais c’est le but : moins de dépenses de fonctionnement et plus de dépenses d’investissement.
Les exécutifs des régions ont-ils suffisamment joué le jeu ?
Je peux comprendre les présidents de région élus en 2015 qui ont dans un premier temps voulu apaiser toutes les tensions qui existaient dans les régions qui s’effaçaient. Ils ont essayé de maintenir des services, de manière à ce que cette fusion ne soit pas vécue comme une amputation. Ce sera moins vrai dans la prochaine mandature. Les grandes régions sont davantage installées, les crispations sont retombées. Les exécutifs des régions vont accélérer l’intégration.
Votre réforme a-t-elle permis de donner des moyens nouveaux à ces régions ?
Oui. Avec des capacités d’investissement plus importantes et une solidarité territoriale plus forte. Les régions fusionnées font davantage pour les départements, les villes ou les espaces ruraux les moins favorisées.
N’y a -t-il pas eu un risque d’éloignement des centres de décision ?
La région n’est pas une collectivité de proximité. On ne s’y rend pas pour régler un problème personnel. La présence des conseillers régionaux dans tous les départements garantit le maintien d’un accès aux services proposés par les régions. C’eut été très différent si l’échelon départemental avait été supprimé.
Il y a aussi une interrogation sur la perte d’identité et du manque d’unité de ces nouvelles régions ?
De quelle identité régionale parlons-nous ? Comment les Français se définissent-ils ? D’abord par leur commune. Plus par la commune que par l’intercommunalité. On s’identifie ensuite par son département. Cela va demeurer vrai. Souvenons-nous que les 22 régions créées par le général De Gaulle l’ont été plus sur le mode de l’action administrative que sur une reconnaissance d’identité locale.
Malgré tout, votre réforme a été et est toujours contestée.
Ce qui me convainc du bien-fondé de cette réforme, c’est que personne ne déclare vouloir la remettre en cause. Je ne vois pas aucune nouvelle proposition sur le sujet. Il est d’ailleurs intéressant de constater que dans la campagne présidentielle de 2017, ni le candidat de la droite, ni ses colistiers de la primaire, ne se sont jamais exprimés là-dessus.
Aujourd’hui, alors que l’échéance de 2022 se rapproche, je n’entends pas non plus de prétendant qui en fait un sujet. Même constat dans les régions, exception faite peut-être pour le Grand Est et la Bretagne où l’on sait que persiste un débat récurrent.
Peut-être par peur d’ouvrir la boîte de Pandore. Surtout par la volonté de faire vivre ces régions dans le cadre qui est le leur.
La création de la nouvelle collectivité européenne d’Alsace n’est-elle pas le signe d’un semi-échec de votre réforme avec la création d’une nouvelle strate ?
Non. Cette nouvelle collectivité va supprimer deux départements pour n’en faire plus qu’un. Comme en Corse. Les grandes régions peuvent provoquer des rapprochements de départements. Je pense à la Savoie, à l’Ardèche et la Drôme qui ont pensé un moment fusionner, ou encore les Hauts-de-Seine et les Yvelines. Rien ne me paraît figé de ce côté-là.
Le Premier ministre a déclaré en janvier dernier en Alsace, ne pas avoir été « convaincu » par votre réforme. Faut-il y voir un coup politique ?
Si tant est qu’un coup a été imaginé, il est raté. Dès le lendemain, sa ministre Jacqueline Gourault indiquait que le Gouvernement n’entendait pas revenir sur le découpage.
Oui, mais dans le même temps, elle a dit que le Premier ministre exprimait tout haut ce que tout le monde pensait tout bas.
S’ils le pensent tout bas, pourquoi ne le font-ils pas d’en haut ? C’est paradoxal. Si le Premier Ministre pense que le découpage n’est pas le bon, notamment sur le rapprochement du Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées, parce que je crois que là est son problème, que n’engage-t-il pas cette réforme ? Finalement, sa déclaration a suscité beaucoup plus de troubles qu’elle n’a clarifié le débat.
Un mot sur le débat d’un éventuel report des régionales.
J’attends l’avis du conseil scientifique. Si le calendrier des vaccinations est bien respecté, cette question devrait trouver sa solution. Mais si pour des raisons majeures, le gouvernement était obligé de reporter le scrutin, ce serait préoccupant pour l’image de notre démocratie. Nous serions le seul pays à le faire. Les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Espagne, Israël ont maintenu leurs élections en pleine pandémie. Je ne vois pas pourquoi, même dans une situation compliquée, la France n’organiserait pas ce scrutin en juin comme annoncé.
Une erreur de communication ?
Oui. Je fais confiance à Jean-Louis Debré pour rappeler les conclusions de son rapport. ■
Propos recueillis par Antoine de Font-Réaulx