Comment Transdev a traversé la pandémie et la période de confinement ? Comment se porte votre société aujourd’hui ?
Avant la crise Covid nous permettions annuellement à 11 millions de personnes à travers le monde de se déplacer quotidiennement. L’an dernier ce sont 6 millions de passagers que nous avons pu transporter, soit une baisse de 40 %, qui s’explique par les périodes de confinements successifs. En termes de chiffre d’affaires, cela représente une perte de près de 9 % pour notre groupe, c’est donc un impact important. Il faut savoir que l’impact du Covid sur le secteur des transports publics en Europe s’élève à environ 40 Mdse !
Cette crise nous a permis de montrer l’engagement de nos salariés, attachés à ce service public de transports du quotidien, attachés à leurs territoires. Elle nous a poussé à innover chaque jour avec les collectivités pour assurer la sécurité sanitaire des conducteurs et des voyageurs, et nous avons même contribué directement à la lutte contre la pandémie avec nos autocars sanitaires et nos vaccibus.
Nous sortons progressivement de cette crise depuis la fin du premier semestre 2021, et nous sommes actuellement dans un moment de vérité avec cette rentrée, pour laquelle nous espérons un retour d’un maximum de voyageurs sur nos réseaux.
Le nombre de passagers a-t-il retrouvé son niveau d’avant la crise ?
En France nous en sommes à 85 % du trafic en semaine, et 78 % le week-end, en comparaison avec la période pré-covid. A l’échelle internationale, la fréquentation moyenne n’est que de 70 % sur une base 2019 (avec seulement 50 % aux Etats-Unis notamment).
Nous ne retrouverons sans doute pas la même situation qu’avant la crise, puisque des changements de comportement sont d’ores et déjà perceptibles. Il faut désormais tabler, à offre constante, sur un retour à « seulement » 90 % des niveaux de fréquentation d’avant crise. Attirer de nouveaux clients est un challenge mais également un impératif, pour la survie du modèle économique et davantage pour la décarbonation des mobilités.
Avec le télétravail, la crise sanitaire a modifié les habitudes de transport. Quel regard portez-vous sur ces nouveaux comportements et qu’induisent-ils pour Transdev ?
L’augmentation du télétravail induit une baisse des déplacements domicile-travail quotidien, qui est un élément essentiel de la mobilité, mais les choses bougent encore et les conclusions ne peuvent être tirées pour l’heure.
L’arrivée des modes actifs est à suivre de près, avec le vélo et la marche notamment, qui en centre-ville ont « enlevé » des utilisateurs aux transports publics, plus que des utilisateurs de la voiture. Dans les centres urbains, le potentiel de développement du transport public est faible, car ils sont déjà très performants et désormais concurrencés. En revanche dans les déplacements entre périphéries et centres, ou entre périphéries et périphéries, là où la part modale de la voiture peut attendre jusqu’à 80 %, de nouveaux services publics de mobilité doivent être déployés afin de convaincre les autosolistes d’adopter des modes partagés. Une des solutions que nous proposons, ce sont les lignes de bus express ou de cars à haut niveau de service, sur voies dédiées qui permettent à moindre coûts et très rapidement, de renforcer le lien avec les périphéries, de réduire les phénomènes de congestion et de répondre aux impératifs de diminution des émissions. C’est ce type de service express que nous exploitons en Île de France à partir de Briis sous Forge ou entre Bordeaux et Creon, et qui connaissent un véritable plébiscite.
En termes de transports, vers quoi nous orientons-nous ? Quels sont les enjeux ? Quel rôle peut y jouer Transdev ?
Plusieurs phénomènes sont à présager ou à craindre, et sont parfois déjà perceptibles : une crise de confiance envers les modes partagés et les espaces confinés, un renforcement de l’usage de la voiture individuelle, une possible « fuite » durable des habitants des centres urbains et donc une augmentation des distances quotidiennes parcourues… Les transports collectifs vont donc devoir engager une adaptation de leur modèle et de leurs objectifs pour la décennie à venir : amélioration significative de la qualité de service (gain de temps utile et agréable pour les usagers), redistribution de l’offre des centres urbains vers les périphéries, renforcement de l’articulation des modes partagés et actifs, utilisation du potentiel du numérique des mobilités….
Le fait de pouvoir prendre les transports publics représente un gain de pouvoir d’achat pour ses utilisateurs, puisque c’est 4 à 5 fois moins cher que prendre sa voiture. Nos enjeux, en lien avec les collectivités, c’est de proposer partout aux Français des alternatives à l’utilisation de leur voiture individuelle : c’est la seule voie qui permet de concilier l’urgence climatique avec la cohésion sociale et territoriale.
Vous venez de remporter l’appel d’offre sur la ligne TER Marseille-Nice*. Que représente pour vous cette ouverture à la concurrence ? Qu’est ce qui, selon vous, vous a permis de remporter la mise ?
L’enquête IPSOS pour Régions de France et Transdev menée en 2019 révélait que 75 % des Français sont favorables à l’ouverture régulée des marchés ferroviaires régionaux. Ils en attendent une amélioration de la qualité de service. Attractivité, décentralisation, intermodalité, cohésion et développement durable des territoires : voilà les principaux bénéfices de cette ouverture.
Nous nous différencions par notre fort ancrage territorial et une posture d’écoute : des équipes implantées en régions, attentives aux enjeux de mobilité sur le territoire. Ces équipes mixent des compétences nationales et internationales, en capitalisant sur l’expertise ferroviaire du groupe acquise depuis plus de 20 ans, active dans 5 pays où nous exploitons 70 lignes ferroviaires.
Notre expérience en Allemagne souligne combien l’ouverture à de nouveaux opérateurs peut sauver des lignes de desserte fine au bénéfice des territoires et de la mobilité durable.
L’objectif pour l’exploitation de la ligne Marseille-Nice, c’est d’augmenter considérablement la qualité de service avec de nouveaux trains et une maintenance optimisée, ainsi que la fréquence qui sera multipliée par deux. Toutes ces améliorations ont pour objectif d’inciter les voyageurs à faire le choix du train au quotidien plutôt que de la voiture individuelle, le tout pour un coût plus compétitif pour la collectivité.
La protection de l’environnement est une priorité. Dans les transports aussi… et surtout. Quelles actions mène Transdev dans ce domaine ?
Si nous voulons être au rendez-vous des objectifs fixés par l’UE, avec une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, il faut donner aux transports publics une place à la hauteur de leurs bénéfices pour l’environnement. La montée en puissance des mobilités électriques et décarbonées ne doit pas nous conduire à l’erreur d’opposer les différentes solutions technologiques. Il faut au contraire développer des capacités de bonne gestion du mix énergétique : déploiement de véhicules électriques, hydrogènes, au BioGNV ou hybrides.
Assurer une équité sociale, territoriale et une accessibilité durable des territoires est notre priorité, et pour cela, l’irrigation structurante du territoire autour des lignes régionales routières et ferroviaires est primordiale. En effet, la réduction des émissions ne passera pas par l’exclusion totale de la voiture mais par son intégration dans un système intermodal de déplacements.
Pour décarboner les transports de personnes qui représentent 16 % des émissions de CO2, il faut éviter deux erreurs : n’avoir qu’une approche technologique qui néglige les questions d’aménagement du territoire et d’urbanisme et se contenter d’électrifier le parc automobile. L’urgence climatique selon le dernier rapport du GIEC, impose une transformation écologique des mobilités, cela passe obligatoirement par le développement des transports publics. ■
* L’attribution du marché par la Région Sud sera officielle le 29 octobre après délibération du Conseil régional.