À la croisée des enjeux climatiques et énergétiques, l’agriculture doit relever les défis de la production végétale et animale indispensable pour notre alimentation, de la baisse des émissions de gaz à effet de serre, du stockage du carbone dans les sols, du maintien voire de la reconquête de la biodiversité, de la récupération des déchets mais aussi de la production d’énergies renouvelables. L’agriculture permet en effet de mobiliser des terres et des matières premières nécessaires à la production d’électricité, de gaz, ou de carburants.
Ce n’est ni une question secondaire ni un enjeu conjoncturel, mais un sujet majeur aux implications multiples pour l’environnement et le climat, pour ses conséquences en matière d’aménagement des territoires, d’organisation des filières et des exploitations agricoles, y compris sur un plan économique. Pour autant, les productions d’énergies renouvelables issues de notre agriculture ne suffiront pas à redessiner le mix énergétique national ou international.
En France, le secteur agricole, avec au moins 50 000 exploitations concernées par la production d’énergie, assure déjà 20 % de la production d’énergies renouvelables (396 GWh, soit 3,5 % de la production nationale d’énergie). Certaines énergies sont davantage produites dans le secteur agricole : 96 % de la production nationale de biocarburants, 83 % pour l’éolien, 26 % pour le biogaz, 13 % pour le solaire photovoltaïque et 8 % pour la biomasse-chaleur. Selon les scénarios prospectifs de l’Ademe, de NégaWatt ou encore de Solagro, cette production est amenée à être multipliée par 3 pour atteindre l’objectif de la neutralité carbone en 2050.
Un rapport qui adresse la pluralité des enjeux
En 2020, avec mon collègue de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, le Sénateur Roland Courteau, nous avons rendu un rapport intitulé “L’agriculture face au défi de la production d’énergie”, qui présente le détail de ces potentialités de production d’énergies renouvelables dans le secteur agricole, énergie par énergie. Il montre la pluralité des enjeux : économiques, financiers, technologiques, d’acceptabilité sociale, de formation, d’usage et d’accès aux terres agricoles.
Dans ce rapport, nous en dressons le bilan en termes d’impacts environnementaux, de rendement, d’acceptabilité sociale et de perspectives technologiques.
Affirmer la priorité de la mission de production alimentaire
L’énergie ne doit jamais être en compétition avec la production de notre alimentation : lorsqu’une même production peut avoir les deux usages, sa vocation alimentaire doit primer sur sa valorisation énergétique. La priorité donnée à la production alimentaire doit limiter l’artificialisation des sols et la perte de biodiversité que peuvent occasionner le développement de certaines énergies.
A titre d’exemple, il est possible de limiter les conflits d’usage des terres en privilégiant l’agrivoltaïsme au photovoltaïque au sol. Cette pratique permet en effet, par l’installation de panneaux particuliers sur les bâtiments d’élevages, sur les serres, voire au-dessus des cultures, de coupler sur une même surface productions alimentaires et énergétiques, et doit donc faire l’objet d’un soutien accru.
De la même manière, les biocarburants de première génération qui sont directement produits à partir de cultures à usage alimentaires (betterave, maïs, huile de palme, de colza...) doivent être progressivement abandonnés au profit de biocarburants de deuxième et troisième générations, qui sont produit à partir de biomasse lignocellulosique (ex : paille, bois) ou de microalgues, et ne créent donc pas de conflit d’usage.
Le stockage d’énergie : la condition du développement de certaines énergies
Le progrès scientifique et technologique est la condition sine qua non du développement des énergies renouvelables intermittentes comme le photovoltaïque et l’éolien, qui posent aujourd’hui la question du stockage de l’énergie. Leur intégration et leur développement dans le monde agricole sont corrélés à diverses techniques de stockage telles que les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), les batteries et surtout l’hydrogène, pour lequel le plan France Relance déploie 9 milliards d’euros.
Un besoin de recherche et de formation
La recherche autour des énergies renouvelables est nécessaire. De récentes innovations montrent l’intérêt croissant des couplages : solaire-éolien, méthanisation-méthanation ou encore cultures agricoles et énergie photovoltaïque à travers l’agrivoltaïsme. L’usage des nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle permet d’augmenter le rendement de chacune de ces sources d’énergie.
Le monde agricole a besoin de davantage de formation et de conseil afin de préparer au mieux les agriculteurs à opérer cette transition agroécologique. Certaines productions d’énergie, comme la méthanisation, impliquent des connaissances et des savoir-faire qui doivent être renforcés, afin d’assurer une gestion efficiente des installations de production d’énergie. Ces compétences techniques doivent donc être enseignées dès la formation initiale, et faire partie de la formation continue, pour s’adapter au fur et à mesure de l’évolution des technologies.
Les propositions générales du rapport « L’agriculture face au défi de la production d’énergie »
1. Concilier la politique énergétique française et ses implications pour le monde agricole avec nos objectifs de production alimentaire, de lutte contre l’artificialisation des sols, de stockage du carbone dans les sols, de maintien de la biodiversité et de santé publique, en assurant la primauté de la production alimentaire sur les autres objectifs, afin de prévenir les conflits d’usage.
2. Clarifier notre stratégie énergétique nationale vis-à-vis du monde agricole et, plus généralement, améliorer la cohérence interne de la politique énergétique de la France en matière de développement des énergies renouvelables, en renforçant le rôle du Parlement.
3. Soutenir la recherche sur la production d’énergie dans le secteur agricole et encourager le financement de démarches innovantes, en dotant la stratégie de recherche en énergie d’un volet agricole.
4. Assurer un suivi régulier et rigoureux de la production d’énergie dans le secteur agricole, en intégrant autant que possible les approches en termes d’analyses de cycle de vie (ACV).
5. Favoriser la production d’énergie et sa consommation dans le secteur agricole, à travers des incitations, permettant d’encourager l’attractivité des modèles d’affaires pour les agriculteurs, en adaptant les tarifs réglementés, les appels d’offre et les guichets ouverts, en utilisant le levier de la fiscalité agricole et en levant certains freins réglementaires.
6. Déployer des projets de territoire pour la production d’énergie dans le secteur agricole, au sein de la politique d’aménagement des territoires.
7. Adopter une démarche de certification des projets conduits, par exemple sous la forme d’un label « Agroénergie ».
8. Améliorer l’offre de formation en matière de production d’énergie dans le secteur agricole, au niveau de la formation initiale (secondaire et supérieur) comme de la formation continue, certaines formations devant permettre l’apprentissage de compétences de haut niveau, y compris celles liées au montage et à la gestion des installations énergétiques.
9. Protéger le foncier agricole à travers un nouveau cadre législatif.
Le rapport contient également 11 propositions thématiques, qui visent notamment le développement de la méthanisation, de l’agrivoltaïsme, des biocarburants de deuxième et troisième générations, de l’hydrogène…
Pour une vision transversale
Il sera de plus en plus nécessaire, à la lumière de l’expérience de la pandémie de Covid-19, de repenser l’interdépendance entre notre microbiote intestinal, notre système immunitaire, notre alimentation, notre agriculture, notre politique de santé, les pollutions, la déforestation, l’artificialisation des terres, les atteintes à la biodiversité, le réchauffement climatique, la mondialisation et le développement des pandémies. C’est pourquoi le rapport plaide pour une vision transversale et systémique des enjeux interdépendants de la santé, de l’environnement et de l’agriculture. Le contexte actuel, avec le besoin d’accélérer la transition énergétique et de définir un plan de relance suite à la pandémie, offre une occasion à saisir. Un futur projet de loi sur le foncier agricole pourrait être le vecteur d’une réforme du monde agricole en intégrant certaines des propositions du présent rapport.
De façon grandissante, notre agriculture devra se tourner vers l’agroécologie et l’agroforesterie, seul mode d’exploitation des terres qui prévoit l’association des arbres et des cultures, ce qui présente de nombreux avantages, pour la protection des sols mais aussi pour la préservation de la biodiversité et la productivité des terres.
Tel est le bel avenir que je souhaite pour l’agriculture. ■