La crise sanitaire a entraîné une chute globale de l’activité française de 8,2 % en 2020 : en mars 2021, les secteurs de l’hébergement et de la restauration subissaient ainsi une baisse cumulée d’activité sur un an de 44 % contre 7 % pour le secteur industriel. Et certains secteurs durement touchés étaient déjà fragilisés avant la crise : les entreprises de l’hébergement et de la restauration connaissaient un niveau d’endettement moyen très élevé (près de 250 %) tandis que 50 % des entreprises du commerce avaient une trésorerie inférieure à un mois de chiffre d’affaires.
Rapidement après le déclenchement de la crise sanitaire, deux types de mesures d’urgence ont été mobilisées pour soutenir les acteurs économiques : des transferts directs et des annulations de charges, conduisant à subventionner les entreprises, ainsi que des outils de trésorerie afin de renforcer leurs liquidités en augmentant leur endettement.
Au-delà de l’ampleur de l’encours pouvant être garanti censée incarner le « quoi qu’il en coûte » présidentiel, les PGE n’ont aucun effet budgétaire immédiat : c’est un soutien de trésorerie que les entreprises devront rembourser.
Dernièrement, plusieurs voix ont écarté le risque d’un « mur de la dette » auquel les entreprises pourraient être confrontées, en soulignant que leur endettement net est resté stable en 2020. Autrement dit, les emprunts souscrits auraient été conservés sous forme de trésorerie.
Ce constat mérite toutefois d’être précisé et nuancé. D’abord, la stabilité de l’endettement net des entreprises en 2020 s’accompagne de deux semestres très différents : un gonflement de la trésorerie jusqu’en juin, en grande partie grâce aux prêts garantis par l’État (PGE), puis des décaissements marqués jusqu’en décembre. Ensuite, que ce soit pour des prêts antérieurs ou des charges fiscales et sociales, les entreprises ont massivement recouru à des reports d’échéances qui devront, à terme, être honorés.
Surtout, un élément n’a jusqu’à présent guère été analysé : en dépit du soutien public, les entreprises françaises ont gardé à leur charge une part importante de la perte de revenus constatée en 2020. Celle-ci est évaluée à 22 %, contre 7 % en moyenne au sein de l’Union européenne et 0 % en Allemagne. Ces chiffres révèlent les différences de stratégies des Gouvernements face à la crise : proportionnellement à notre PIB, le recours aux PGE est cinq fois supérieur à celui constaté en Allemagne. Certaines aides publiques dont les PGE ont ainsi permis d’étaler les pertes, non de les compenser pleinement. En phase de reprise, les entreprises françaises partiront donc lestées d’un poids par rapport à nombre de leurs concurrentes étrangères.
Dès l’été 2020, le Sénat avait alerté sur ce choix en adoptant plusieurs outils de relance économique, notamment en élargissant les règles du report en arrière des déficits, ou « carry back », un mécanisme fiscal qui permet aux entreprises d’apurer leurs pertes avec effet immédiat. Il a aussi préconisé de longue date la transformation de l’aide forfaitaire du fonds de solidarité en une véritable compensation des coûts fixes des entreprises. Initialement rejetées, ces mesures portées par le Sénat sont finalement reprises, trop tardivement, par le Gouvernement.
Dans ces conditions, j’ai décidé de mener, en ma qualité de rapporteur général de la Commission des Finances du Sénat, un travail de contrôle sur les prêts garantis par l’État (PGE) afin d’étudier l’efficacité et les conséquences à long terme de ce dispositif et de l’endettement des acteurs qui en résulte sur le tissu productif français.
Le rapport « Comment réussir la sortie des PGE ? Identifier, Orienter et Traiter » repose sur les conclusions tirées des dizaines d’auditions effectuées auprès d’un vaste panel d’acteurs – institutionnels, économistes, chefs d’entreprises – ainsi que sur une étude inédite réalisée par l’Institut des politiques publiques (IPP). J’ai souhaité apprécier l’ampleur du risque associé à la souscription des PGE, et plus largement, à un surendettement des entreprises, pour ensuite déterminer les conditions qui permettraient d’éviter l’éventuel « mur de la dette » auquel elles pourraient individuellement faire face bien qu’elles soient viables.
Ce travail de contrôle tire un bilan globalement positif du dispositif à court terme : pour les 670 000 entreprises ayant souscrit un PGE, il a permis de sécuriser leur trésorerie en empruntant jusqu’à trois mois de chiffre d’affaires.
Mais les résultats à moyen et long termes sont plus incertains. À la différence des autres mesures de soutien, les PGE se distinguent comme une réponse à la première vague de l’épidémie : 80 % du total des PGE ont ainsi été accordés au cours du deuxième trimestre 2020.
L’allongement de la crise sanitaire met les entreprises sous tension pour le remboursement du PGE, ce à quoi l’année supplémentaire de différé de remboursement n’apporte qu’une réponse imparfaite. À cet égard, l’étude de l’IPP apporte un éclairage inédit sur les effets de la crise sur les bilans des entreprises : elle atteste d’une dégradation des bilans contenue au niveau agrégé mais potentiellement intense pour certains secteurs et certaines entreprises. Pour ces entreprises, le risque est double : que l’endettement supplémentaire soit trop lourd pour poursuivre leur activité ou qu’il compromette leurs capacités futures d’investissement. Dans les deux cas la vigueur du rebond de l’économie française serait compromise.
En réponse, je propose de donner un cap à ces entreprises, en les soutenant dans la reprise et en leur apportant des solutions adaptées, que j’ai rassemblées autour d’un nouveau triptyque : identifier, orienter et traiter.
Ainsi, je propose tout d’abord d’identifier les entreprises viables mais en difficulté, en s’appuyant sur les « thermomètres » traditionnels permettant de repérer les difficultés financières des acteurs économiques. En particulier, il convient d’accélérer les propositions de plans d’apurement des échéances sociales et fiscales reportées.
Orienter et accompagner les entreprises identifiées ensuite. Je propose de transformer les comités départementaux d’examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI) en comité partenarial de financement des entreprises en sortie de crise (COFISOC) afin de les ouvrir systématiquement aux acteurs privés et d’élargir la palette d’outils susceptibles d’être mobilisés pour accompagner une entreprise dans son redressement.
Traiter enfin par des solutions « cousu-main » les entreprises devant être soutenues. Des réponses appropriées doivent être apportées, en proposant un accompagnement sur-mesure et notamment l’autorisation du maintien de la garantie de l’État en cas de restructuration de l’endettement au-delà de 6 ans, ce qui est souvent le cas. Il s’agirait également de renforcer les fonds propres des entreprises en mettant en place à titre temporaire une déduction fiscale pour le capital à risque.
Le Gouvernement reconnait s’être largement inspiré de ces propositions dans le plan d’accompagnement des entreprises dans la sortie de crise qu’il a présenté mardi 1er juin. Le diagnostic est partagé : un accompagnement supplémentaire s’impose pour prévenir les risques associés à un surendettement des plus fragiles. Le Gouvernement reprend aussi le triptyque précédemment évoqué : identifier les entreprises en difficulté et viables, les orienter à l’aide d’un collectif d’acteurs et les traiter avec une solution « cousu-main ». Le projet de loi de finances rectificative présenté le 2 juin dernier, qui sera examiné par le Parlement au cours des prochaines semaines, sera l’occasion de concrétiser d’autres mesures présentées dans mon rapport permettant de soutenir efficacement les entreprises viables.
En effet, il s’agit désormais de répondre rapidement aux attentes des acteurs économiques afin d’assurer le « service après-vente » des PGE. ■