Ayant fait le constat d’une recherche française à la traîne pendant la pandémie en n’ayant notamment pas trouvé de vaccin contre le Covid, le Chef de l’Etat a souhaité en tirer toutes les conséquences. Devant les membres du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) réunis à l’Elysée le 29 juin dernier, Emmanuel Macron a notamment pointé du doigt le sous-investissement public dans la recherche de ces dix à quinze dernières années. Un discours qu’il a encore tenu lors de la présentation de son Plan « France 2030 » mi-octobre. Le président a déploré notre recul dans le secteur de la santé. En dix ans, la France est passée de la première à la quatrième place européenne des producteurs européens de médicaments. « C’est une réalité » a déclaré Emmanuel Macron.
En juin, le Chef de l’Etat a également regretté la segmentation des structures à travers le temps avec « des acteurs trop divisés et dispersés » ; « ce qui crée de la lenteur dans le système » a-t-il souligné. Un « couple lenteur-manque de moyens » qui a engendré un décrochage français vis-à-vis de nos voisins. « Quand on investit moins et qu’on est très lent par les procédures, parce qu’on a beaucoup d’acteurs, il est clair qu’on a un système qui devient très vite sous-efficace » a reconnu le président qui enfonce le clou : « On a un système qui, au total, est moins efficace qu’il ne devrait l’être : manque d’investissement, trop de divisions, trop de dispersion, trop de lenteur et des corporatismes et un manque de coopération entre nos acteurs ».
Pour autant, la France a des atouts a-t-il tenu à faire remarquer : « Nous avons une bonne formation qui demeure un énorme facteur d’attractivité. On a également un système hospitalier et hospitalo-universitaire, qui demeure, je crois, une vraie force » mais reconnaît le président « on a encore du chemin à faire ». Il nous faut donc « corriger nos faiblesses et faire levier sur nos forces ». D’où l’annonce de cette « stratégie innovation santé 2030 » issue des travaux du Conseil stratégique des industries de santé installé en janvier dernier pour tirer les leçons de la pandémie. « Avec ce plan de plus de 7 milliards d’euros, nous allons, comme rarement dans notre histoire, investir massivement pour soutenir celles et ceux qui prennent des risques et portent notre innovation » a insisté le Chef de l’Etat. L’objectif affirmé est de faire de la France la 1ère nation européenne innovante et souveraine en santé. « Nous n’avons pas d’autres choix que celui d’accélérer et de revenir vraiment dans les meilleurs, à la tête du secteur de la santé. Nous avons les capacités humaines nous avons les infrastructures de recherche et de pratique. Maintenant c’est une question de choix scientifiques et technologiques et d’investissement collectif » a confirmé le président mi-octobre.
Le premier axe de cette stratégie pour innover pour notre souveraineté, « c’est réinvestir dans la recherche massivement ». Même si, précise l’Elysée « nous avons déjà commencé à le faire » avec la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche dirigée par la Ministre de la Recherche Frédérique Vidal.
Près de 2 milliards d’euros d’investissements publics vont ainsi être répartis entre trois domaines clés : biothérapie, santé numérique et maladies infectieuses. Le plan prévoit d’affecter une enveloppe de 800 millions d’euros pour soutenir massivement le développement des biothérapies, domaine dans lequel la France dépend à 95 % des importations. Or, estime le Chef de l’Etat, « paradoxalement, le retard que nous avons pris peut, être une chance pour prendre la première place en matière de biothérapie qui ne vont plus être demain cantonnés aux maladies rares ». Et le président de citer, non seulement les vaccins ARN mais aussi « la biologie de synthèse, toutes les nouvelles technologies de bio production : modification de cellules, la production d’anticorps, sans compter le domaine du cancer ». Aux yeux d’Emmanuel Macron, il y a là, « une dernière fenêtre d’opportunité ». D’ici cinq ans, l’objectif assigné est donc de « produire au moins 5 nouveaux biomédicaments et doubler le nombre d’emplois du secteur ». « Je pense que cet objectif n’est pas irénique du tout, il peut permettre de mobiliser l’écosystème public et privé de financement. Je voudrais pouvoir être démenti à mi-parcours, en disant, en fait on va pouvoir faire beaucoup plus vite et beaucoup plus fort. Et je pense que si on se débrouille bien, c’est ce qui peut arriver ». (En octobre pour « France 2030 », le Chef de l’Etat a évoqué « un objectif concret d’avoir au moins 20 biomédicaments contre la cancer, les maladies émergentes et les maladies chroniques dont celles liées à l’âge, et de créer les dispositifs médicaux de demain en France » d’ici 2030).
Le deuxième axe fort de la stratégie innovation santé 2030 concerne la santé numérique qui « bénéficie déjà de la dynamique à la fois du Ségur numérique, du PariSanté campus, et de toute la stratégie numérique lancée avec le ministère, l’Inserm, les différents CHU, l’APHP et l’ensemble des acteurs du secteur ». « Très clairement, on le sait, c’est un levier absolument fondamental pour accélérer à la fois la recherche, mais surtout cette médecine plus personnalisée, plus efficace, plus prédictive, préventive et participative » assure le président qui annonce une enveloppe dédiée de 650 millions d’euros d’investissements publics.
Troisième champ prioritaire, les maladies infectieuses qui bénéficieront là aussi « d’un soutien extrêmement fort » (750 millions d’euros). « Le défi est clair. Nous devons à la fois anticiper les profils des 10 prochains virus les plus nocifs et donc avoir presque sur étagère, si je puis dire, les traitements et vaccins adaptés, au moins en phase préclinique. J’essaie d’apprendre de ce qu’on a vécu et je n’ai pas envie de revivre ce que j’ai vécu, comme vous tous » a expliqué, non sans inquiétude le Chef de l’Etat.
Le Plan entend également permettre une équité d’accès aux soins pour les patients et offrir aux innovations un cadre d’accès au marché accéléré et simplifié. « L’enjeu est d’améliorer la diffusion des thérapies onéreuses aux patients, d’accélérer la prise en charge de tous ces traitements (actes compris), de permettre aux patients et établissements de santé de bénéficier plus largement des solutions innovantes de télésurveillance et de rendre l’ensemble du système beaucoup plus dynamique en tenant compte de la durée de vie d’une innovation ».
La nouvelle stratégie prévoit encore de faire de la France le pays leader en Europe sur les essais cliniques en simplifiant et en accélérant leur système d’autorisation, « tout en conservant un haut niveau de qualité, mais aussi un pilotage resserré des appels à projets nationaux ».
L’ambition française est aussi d’attirer les « meilleurs talents internationaux ». Ainsi, « Quinze à 20 talents bénéficieront de subventions de trois à cinq millions d’euros » a indiqué Emmanuel Macron. Des start-up et les PME pourront bénéficier d’une enveloppe d’un milliard d’euros en prêts et subventions provenant de la Banque publique d’investissement (BPI), qui fournira un autre milliard pour l’investissement. Les fonds proviendront principalement du programme d’investissement d’avenir auquel s’ajouteront des crédits européens.
Le Chef de l’Etat a aussi annoncé la création d’une agence d’innovation en santé qui a manqué cruellement pendant toute la pandémie, selon l’exécutif, elle sera le fer de lance de cette nouvelle stratégie. L’agence ambitionne d’être ainsi « un guichet unique » pour les entrepreneurs. « Il est important d’avoir un pivot qui pourra faire le lien entre différentes agences, entre le secteur pharmaceutique et la recherche publique » souligne l’Elysée. « Il s’agira de gagner en efficacité, de remédier à une trop grande fragmentation des intervenants et plus globalement de relancer un secteur souverain qui a souffert ces derniers mois ». ■
Une stratégie claire
1 milliard d’euros pour renforcer notre capacité de recherche biomédicale.
• Soutenir des projets de recherche intégrés en santé.
• Attirer ou maintenir en France les chercheurs de très haut niveau.
• Mettre en place de nouvelles formations pour accompagner les mutations de la recherche et des industries de santé.
Investir dans les domaines en santé de demain.
• 800 millions d’euros pour soutenir le développement de biothérapies.
• 650 millions d’euros pour passer à la médecine 5P (préventive, personnalisée, prédictive, participative et basée sur les preuves) et faire émerger des champions français.
• 750 millions d’euros pour se préparer aux pandémies.
Soutenir l’industrialisation des produits de santé sur le territoire français.
• 1,5 milliard d’euros supplémentaires pour pérenniser l’investissement et la relocalisation en France des industries de la santé.
• 2 milliards d’euros pour renforcer l’investissement de Bpifrance dans le domaine de la santé en 5 ans.
Créer l’agence d’innovation en santé, une structure d’impulsion et de pilotage stratégique de l’innovation en santé.
• Définir une stratégie nationale d’innovation en santé et assurer sa mise en œuvre.
• Être l’interlocuteur privilégié et connu des acteurs de l’innovation en santé.