Notre bilan économique et humain reste anormalement élevé, tandis que des modélisations de l’Institut Pasteur publiées le 6 septembre laissent craindre une nouvelle vague qui pourrait être pire que celles que nous avons déjà connues. Il nous faut retrouver le sens de l’investissement pour gérer cette crise et cesser de penser la prévention comme autant d’atteintes à la liberté insupportables au risque de les perdre encore davantage de libertés sous la poussée de la pandémie.
Au 2ème trimestre 2021, le PIB de la France était au niveau de celui du troisième trimestre de 2017, soit près de 4 ans en arrière. Notre maigre consolation vient de ce que nombre de pays sont aussi en mauvaise posture. Le Royaume-Uni avait un PIB au niveau de 2014, l’Italie était au niveau de 2015, l’Allemagne au niveau de 2017, la Belgique était au niveau de 2018, le Canada et la Suède étaient au niveau de 2019. Au niveau global, aucun des pays du G10 n’a récupéré le niveau de PIB trimestriel d’avant crise, à l’exception des Etats-Unis.
Quand on se penche sur la dynamique à l’œuvre depuis 18 mois, on observe que la trajectoire des pays du G10 connaît des oscillations, avec des rebonds de l’épidémie. Commentant récemment les chiffres décevants de création d’emploi aux Etats-Unis (235 000 au lieu des 725 000 attendus), le Président Biden reconnaissait la responsabilité de la reprise des contaminations liées au variant Delta. Nos pays subissent des mouvements de yoyo, au gré des contaminations, rendant toute projection dans l’avenir difficile. Ceci est particulièrement problématique pour les activités qui reposent sur des interactions sociales significatives comme dans l’hôtellerie, la restauration, la culture ou les loisirs.
Pour les économistes que nous sommes, le constat n’est pas totalement surprenant, tant les moyens mis en œuvre dans la lutte contre la Covid19 n’ont pas été alloués de manière économique afin de déployer efficacement le triptyque clé tester-tracer-isoler. Car la participation à la vie économique et sociale se réduit lorsque les individus craignent d’être contaminés ou de contaminer les autres. Ce ne sont pas seulement les mesures de restrictions décidées par les pouvoirs publics qui réduisent la mobilité. Les décisions volontaires des individus, qui face à une circulation élevée du virus se retirent en partie de la vie sociale, sont clef.
Nous subissons à répétition décès et déconvenues économiques. A ce stade, tout dépend de notre capacité à déployer de façon rapide et massive des vaccins. Or, les derniers mois ont montré que cette démarche n’est pas aussi simple qu’anticipé. Une partie de la population n’est pas ou pas encore vaccinable, en particulier les moins de 12 ans, et une autre est réticente. L’idée d’une immunité collective s’éloigne de plus en plus.
Tout cela est désolant bien sûr. Pour autant la situation est bien meilleure dans un nombre significatif de pays parvenus à maîtriser la dynamique de l’épidémie. Ces pays sont gagnants sur tous les tableaux : santé, économie, mobilité et liberté. Il s’agit des pays dits Zéro Covid qui plutôt que de faire l’objet de critiques, devraient au contraire soulever la curiosité et même l’enthousiasme. Certains nous ressemblent et montrent qu’il est possible d’aligner santé, économie et liberté.
Le nombre de morts par million d’habitants a été 44 fois plus élevé dans l’Hexagone que dans les pays de l’OCDE qui pratiquent la stratégie Zéro Covid (Australie, Nouvelle-Zélande) ou assimilée (Corée du sud), ce qui représentait 63 000 morts de trop, fin 2020. Au 30 juin 2021, il était 45 fois plus élevé depuis le début de la pandémie soit 107 000 morts de trop.
En 2020, le recul du PIB a été 5 fois plus prononcé, avec un écart de 6,3 points de PIB et un manque à gagner de création de richesse équivalent à 2 200 euros par habitant en France. Au premier trimestre 2021 l’écart de croissance par rapport aux pays Zéro Covid représentait 5,5 points de PIB, soit un manque à gagner de 400 euros par habitant. Alors que les pays Zéro Covid avaient un PIB en hausse de 1,4 % par rapport au dernier trimestre 2019, il était en recul de 4,2 % en France.
Le recul des libertés était plus prononcé. L’index de rigueur (Stringency Index) était en moyenne de 57 depuis le début de la pandémie en France, contre 52 en Australie, Corée du Sud et Nouvelle-Zélande. Alors que les pays Zéro Covid avaient un PIB en hausse de 1,4 %, il était en recul de 4,2 % en France par rapport au dernier trimestre 2019.
Le recul des mobilités était 3 fois plus prononcé. Les données de mobilité de Google montrent que le recul des mobilités associées aux lieux de travail et lieux de loisirs et commerce de détail était de de 29 et 33 % en France, contre 10 et 11 % en Australie, Corée du Sud et Nouvelle-Zélande.
A l’inverse de la stratégie d’atténuation menée en France et dans les pays du G10, la stratégie dite d’élimination vise zéro cas non contrôlé de covid. Le virus réussit évidemment à passer entre les mailles du filet de temps à autres mais, passé l’investissement initial (celui d’un confinement strict mené dans la plupart des pays), des mesures de protection ciblées permettent d’empêcher la reprise de l’épidémie, le retour à une vie normale étant la norme. La stratégie est moins exigeante que celle qui nous oblige à des périodes de confinements plus ou moins longues et strictes lorsque l’épidémie risque de saturer les capacités hospitalières avec décès, longs Covid et émergence de variants.
L’objectif est crucial, comme l’est le choix des moyens. Depuis le début de la crise, on sait qu’il faut pouvoir dépister, tracer et isoler. Pour que cela reste possible, il est devenu clair qu’un mauvais contrôle sanitaire aux frontières est synonyme de certitude de perdre la main sur la circulation du virus, comme a pu le montrer le cas de Taiwan en avril/mai dernier. Il n’existe d’ailleurs aujourd’hui aucun pays qui n’impose pas de contrôles frontaliers, sous une forme ou sous une autre.
Il faut aussi savoir tester de manière massive. Or, le dépistage en France, en dépit de la formidable montée en puissance des laboratoires en la matière, est devenu emblématique d’un pays qui ne sait plus investir. En effet, on insiste actuellement sur son coût (5,9 milliards en 2021), sans prendre en compte les économies qu’il génère. Plus de dépistage, c’est moins de contamination et d’arrêts de travail. Une semaine travaillée, c’est 2 500 euros de PIB en moins, soit 50 fois plus que le coût d’un test PCR (49 euros). De même, le séjour moyen à l’hôpital dans le cadre de Covid-19 coûte de 5 000 euros à l’assurance maladie. Le test PCR évitant à une semaine d’hospitalisation est donc rentabilisé 100 fois et fait économiser 4 950 euros à la collectivité. Les tests représentent une goutte d’eau par rapport aux pertes générées par Covid-19. Le manque à gagner en termes de création de richesse représentait 230 milliards à fin juin 2021, soit 3 400 euros par habitant.
Nous pensons trop souvent qu’il suffit de jeter la richesse sur un problème pour le résoudre, alors que l’argent n’est au final que la conséquence d’un investissement avisé qui a produit des résultats concrets. Nous avons oublié qu’il fallait une stratégie et se montrer tactique pour la déployer efficacement.
Il faudrait notamment tirer les leçons des derniers mois, en investissant dans les écoles où 6 millions d’enfants non vaccinés contre la Covid-19 se retrouvent chaque jour, sans dépistage massif ni autres moyens d’atténuer les risques de contamination (capteur de CO2, ventilation adéquate des cantines, etc.). Cela fait courir des risques à nos enfants, mais à toute la société dans son ensemble. Tant que Covid circule significativement, la vie sociale et économique est en pointillés. ■